Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et l'investissement locatif à usage d'habitation demeure le parent pauvre des politiques locales de l'habitat. Et ce malgré les propositions d'équipes gouvernementales, qui sont restées malheureusement lettre morte. Une chose est sûre: tout le monde ne peut devenir propriétaire de son logement. Le locatif se veut donc l'unique alternative. Encore faut-il résorber le déficit cumulé qui est de l'ordre de 1,2 million de logements et auquel il faut ajouter annuellement les nouveaux besoins estimés à 270.000 unités. Le fameux logement social peut être une solution pour les petites bourses. Après deux ans de gel, le voila ré-officialisé, en grande pompe, dans la loi de Finances 2010. Mais répond-il aux besoins de tous ? Nombre de ménages n'y trouveront pas leur compte même s'ils ne peuvent accéder aux crédits pour prétendre à un standing plus élevé. Que reste-il ? Le locatif. Professionnels et officiels s'accordent à dire que le secteur du locatif connaît une «sérieuse récession». Il s'agit d'un déséquilibre entre une offre «rare et timide» et une demande très importante. Le marché du locatif au Maroc est modeste et dominé par les particuliers. «Aucun opérateur que ce soit public ou privé n'existe sur ce marché», nous assure Ahmed Taoufik Hejira, ministre de l'Habitat et de l'urbanisme. Cet état de fait se trouve accentué par le manque de confiance entre locataires et bailleurs. «D'abord, c'est un problème de confiance. En plus, le marché du locatif n'est pas encore rentable ni motivant pour attirer les investisseurs», explique Driss Effina, chercheur en économie d'habitat. De plus, «l'Etat suit la logique d'accès à la propriété comme si c'était la potion magique». Or suivant cette logique, il appuie l'idée selon laquelle devenir propriétaire est la priorité des priorités. «L'Etat suit la logique d'accès à la propriété. Dans ces conditions, il sert les intérêts d'un lobby qui s'engage à fond à maintenir le statu quo» Dans ces conditions, «il sert les intérêts d'un lobby qui s'engage à fond à maintenir le statu quo», se désole l'économiste Lahcen Daoudi, par ailleurs vice-secrétaire général du PJD. En conséquence, le marché perd chaque année 15.000 ménages au profit de la propriété dont le taux s'élève à 65%. Plus encore, «une étude sur le locatif menée il y a deux-trois ans par la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) a montré, selon Driss Effina, que le marché ne présente pas de véritables opportunités». Ajoutons à cela la faiblesse du pouvoir d'achat des ménages. «La solvabilité des clients est mise en doute», selon le responsable d'une agence immobilière. Outre ces entraves, la question juridique et réglementaire se pose également avec acuité. C'est même le nœud du problème. Preuve en est que plus de 164.000 logements sont vacants. Aux yeux de Driss Effina, il n y a pas de cadre juridique approprié. «La loi qui vient d'être votée par le Parlement n'est qu'une coquille vide incluant des amendements qui consacrent un schéma trop classique», déplore-t-il. A son avis, il est inconcevable de regrouper dans le même projet de loi 13-08 le locatif à usage d'habitation et celui à usage professionnel, car ils ne suivent pas la même logique. Pour le PJDiste Daoudi, «cette nouvelle loi ne fait que renforcer le rapport de force en faveur du propriétaire». Avis que ne partage pas Alami Nafakh Lazraq, PDG du groupe Alliances. «Je pense que la nouvelle loi favorisera la résolution des conflits contractuels entre bailleurs et locataires même s'il faut creuser davantage la question de la lenteur administrative dans le traitement des litiges. En France par exemple, la jurisprudence tranche dans ce genre de conflits dans un délai maximum de deux à trois mois». A côté du volet juridique, il y a aussi le foncier. Les besoins sont estimés à 4.500 hectares par an dont 1.500 pour l'industrie. Un déficit qualifié d'«artificiel» par Daoudi. «L'Etat et les collectivités locales devraient assumer leur responsabilité. Cette situation n'est que le résultat de l'inexistence d'équipements d'infrastructures (eau, électricité, assainissement, voirie…) dans les zones périurbaines ou rurales, ce qui nourrit la hausse des prix. Autrement dit, l'absence de toute instance de régulation ne fait qu'encourager la spéculation. Il fallait donc repenser les médinas, les espaces libres… », souligne-t-il. A son tour, la politique de crédits n'est pas en mesure d'encourager le logement locatif et de résorber ainsi le déficit existant. Paradoxalement, les clients qui achètent des logements bénéficient de bonifications des taux d'intérêts. «On leur accorde des ristournes d'intérêts », précise l'économiste. Au défaut d'incitations financières s'ajoute celui des incitations fiscales. Cela étant, quid maintenant de l'autre partie de l'équation, la demande ? Ce n'est un secret pour personne : la demande dépasse, et de loin, l'offre. Résultat : les prix atteignent des niveaux record sans aucune relation avec le niveau de vie des ménages. Dans les grandes villes, par exemple, comme Casablanca, Rabat, Tanger et Marrakech, le loyer d'un logement «décent» affiche des prix allant de 2.000 à 20.000 dirhams par mois, suivant les segments (haut de gamme, moyen standing ou économique) et selon les quartiers. Pour les loyers en dessous de 2.000 dirhams/mois, c'est la descente aux enfers à proprement parler. Ce «non sens» invite à s'interroger sur la méthode de fixation des prix. A vrai dire, l'anarchie dicte ses lois. «Il n'existe pas de système de régulation», déplore Daoudi. Et en fin de compte, c'est souvent le locataire qui en supporte les frais. Dans la foulée, et dans ce contexte d'absence d'une offre suffisante et à bon marché pour les couches à revenus limités, c'est la fête pour l'habitat non réglementaire et clandestin. Les banlieues connaissent un éclatement de constructions clandestines pour accueillir le déferlement des flux migratoires. Ainsi, les propriétaires préfèrent louer chaque chambre à part au lieu de donner en location l'appartement dans son intégralité. A écouter certains propriétaires, il s'agit d'un investissement rentable : «moins d'argent, pas de contrats, bénéfice certain et à court terme». Qui dit mieux !? Finalement, quelles perspectives pour le secteur du locatif ? Selon bon nombre d'observateurs et de professionnels de l'immobilier, c'est la formule d'accès à la propriété qui prévaudra encore, du moins pour les quatre ou cinq années à venir. Et ce, malgré les grandes opportunités d'investissement dont regorge le locatif. A en croire Saïd Sekkat, secrétaire général de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), il est intéressant d'investir dans ce créneau, d'autant que plus de 50% du marché sont encore inexploités. Mounia Lahlou, directrice de la Promotion immobilière au ministère de l'Habitat, qui présentait les axes d'intervention 2009-2012 du ministère, lors d'une rencontre à Casablanca, a mis l'accent sur l'émergence d'une nouvelle génération de promoteurs dans ce secteur. Mais où en sont les projets de code pour la promotion de l'habitat locatif prévoyant des incitations financières et fiscales et de système de leasing immobilier pour les particuliers ? Mounia Lahlou ne donnera aucune réponse. Les non propriétaires devront prendre leur mal en patience