Pourriez-vous nous parler des valeurs qui animent votre combat ? Je suis à la tête d'un parti qui a connu un certain nombre de péripéties. Je suis animé par des valeurs profondément nationales. Dans ma région d'origine, ce sont les valeurs du terroir qui prévalaient, la générosité, l'amour du pays et du travail et elles sont celles du Mouvement depuis sa création. Notre parti a d'ailleurs beaucoup souffert de son positionnement, parce qu'à l'époque, les idéologies reconnues étaient celles du bloc socialiste ou du bloc capitaliste. Le Mouvement populaire était essentiellement marocain et militait pour tout ce qui pouvait renforcer l'indépendance nationale. Les gens l'oublient souvent, alors que c'est écrit dans la charte de notre parti depuis sa création, nous sommes d'ardents défenseurs de l'ouverture, mais dans un cadre d'authenticité avec un accent particulier sur la dimension amazighe et la défense du monde rural, qui était considéré à l'époque comme le Maroc inutile. Ce qui a forgé, non pas un nationalisme étroit, mais un patriotisme assez exacerbé. Aujourd'hui quelle est votre lecture de la situation politique marocaine ? Dès janvier 2011, les gens avertis savaient que quelque chose se passerait au Maroc, la question était de savoir sous quelle forme, parce que les exemples tunisiens et égyptiens étaient plutôt inquiétants. Dieu merci, ce qui s'est passé a montré que la jeunesse marocaine – que tout le monde considérait comme non politisée – avait son mot à dire. En sortant dans les rues, ils ont montré trois choses : d'abord leur intérêt pour la politique, même s'ils sont méfiant vis-à-vis des partis, puis leur sens des responsabilités en faisant la part entre le constant et le variable. Ils ont respecté ce qui constitue le ciment du Maroc, à savoir la monarchie. Enfin, leurs revendications, en dépassant le social, ont touché le cadre démocratique qui embrasse les attentes de toute la société. Je voudrais simplement nuancer un point important. L'expression de toutes ces doléances n'est pas nouvelle. Le fait est que les partis politiques travaillent sur une échelle rythmée par les échéances électorales et les chantiers étaient entamés. La prochaine échéance était fixée à 2012… Ensuite on a fait une focalisation sur la Constitution depuis les premières marches… Enfin il faut rappeler que ce n'était pas une revendication des jeunes dans la rue. Tout le monde considère, à tort à mon sens, qu'il fallait bien séparer chaque chose avant de discuter de la corruption, de la non-transparence des élections, etc. En réalité, et c'est le message que nous avons passé auprès de la commission Mennouni, il ne faut pas croire que la modification de la Constitution va réduire tous les problèmes. Ce n'est qu'un cadre normatif qui énoncera des principes. Les réformes, elles, sont plus importantes, au même titre que les comportements individuels. Vous avez parlé d'échéance, ne risque-t-on pas d'alimenter les frustrations ? La révision ou la ré-écriture d'une Constitution, ne pose pas de problème et peut se faire rapidement. Cela ne fera pas disparaître la corruption du jour au lendemain, pas plus que le chômage. Ce changement donnera simplement des outils qui demanderont du temps et un travail sérieux. Aujourd'hui malheureusement, on parle davantage des modalités de modification de la Constitution, que de ce qui viendra après. D'ailleurs, certaines réformes n'ont pas besoin d'attendre la nouvelle Constitution. La preuve ? Il suffit de regarder les décisions du roi sur le Conseil de la concurrence, la lutte contre la corruption ou les droits de l'Homme. En tant que porte-parole du Mouvement populaire quelles sont les actions symboliques qui doivent être prises ? Le principal problème est celui du chômage. Il est vrai que personne n'a de solution toute prête, que les finances de l'Etat ne sont pas extensibles indéfiniment et que nous avons d'autres problèmes à gérer. Il faut cependant un plus grand effort de pédagogie. Rappelez-vous les échecs de programmes comme Moukawalati, qui ont dû échauder plus d'un candidat. Du coup, ils souhaiteraient intégrer l'administration. Il faut ouvrir le dialogue avec eux et leur expliquer que l'on ne fait plus carrière aujourd'hui comme il y a trente ans. On doit saisir les opportunités et s'améliorer en permanence. Il faut tout de même desserrer l'étau. La seconde urgence, plus facile et plus délicate, c'est le problème de la Justice. Il faut accélérer le passage en justice des dossiers délictueux en souffrance, mais en prenant garde à ne pas tomber dans une chasse aux sorcières improductive. Il faut laisser la Justice faire son travail, tout lui soumettre et ne rien lui soustraire. La société marocaine attend cela. Il ne s'agit pas de donner les gens en pâture à l'opinion publique. Ce n'est pas parce qu'on fait l'objet d'une enquête que l'on est forcément coupable. Prenons le cas de la Cour des comptes ; sur une centaine de dossiers, moins de dix sont susceptibles d'être transmis à la justice, pour les autres, ce sont des remarques relatives au fonctionnement. Le troisième point qui, lui, doit attendre la réforme de la Constitution est celui des élections. Si on ne réussit pas avec la nouvelle Constitution et le choc de la société à modifier le profil des parlementaires, c'est qu'on aura raté le coche. Parmi les articles que vous souhaiteriez voir revus ? Au Mouvement populaire, nous avons essayé de travailler dans la sérénité, sans chercher à chevaucher le courant contestataire. Il y a bien entendu la question de l'amazighité, sur laquelle nous sommes en train de faire un travail d'explication. Il s'agit de donner une garantie que l'on ne reviendra pas en arrière et qu'elle trouvera une véritable place dans la vie de tous les jours. Sur d'autres points, nous considérons que le Maroc a besoin de la monarchie pour sa stabilité et son unité, et que le roi a des prérogatives qui font l'unanimité, comme le champ religieux ou la Défense nationale. Nous estimons que beaucoup de législations par dahir sont une mauvaise interprétation de la Constitution. L'article 19 par exemple, qui existe chez tous les chefs d'états (l'article 5 en France), ne donne aucun pouvoir de légiférer. Il faut limiter les domaines; prenons la nomination de certains hauts responsables : il faut séparer la nomination à portée symbolique des attributions et du contrôle qui doivent relever des prérogatives du gouvernement. Par ailleurs, on doit redonner un certain attrait au Parlement, d'abord sur son travail puisqu'il doit être le véritable législateur, la source de la loi. Ensuite, sur son fonctionnement, il faudrait que son rôle soit élargi à l'évaluation de toutes les politiques de l'état, y compris les établissements publics, et avoir des séances mensuelles de débat de la politique gouvernementale avec le Premier ministre et ses pairs, qui viendraient exposer leurs propositions dans les différents domaines, comme la Santé, le Tourisme, l'énergie ou autres. Enfin, la bonne gouvernance est indispensable. Elle doit être organisée par la loi, sous le contrôle du Parlement. Vous restez dans le cadre du discours du 9 mars… Le roi a levé les tabous en ouvrant la voie à plusieurs initiatives, mais la Constitution doit rester générique. Changeons de sujet. Parlons du Mouvement populaire. D'abord, une question pratique, vous maintenez votre décision de ne pas briguer un autre mandat ? Tout à fait. Rien à ce jour ne me pousse à revoir ma position à ce sujet. Qu'est-ce qui caractérise et différencie le MP des autres partis ? A l'origine, notre parti était essentiellement rural. A l'image de la population de l'époque. Notre mouvement avait été créé par les anciens membres de l'armée de libération nationale. Beaucoup de partisans de l'Istiqlal parlaient de parti berbère en parlant de nous. C'est l'Histoire qui a voulu que l'essentiel des combattants pour la libération soient berbères. Depuis, les choses ont changé et nous sommes un parti national avec un fort ancrage régional. Si vous regardez la carte de nos élus, nous sommes aussi présents en milieu rural qu'en milieu urbain. Nous avons toujours notre sensibilité rurale, ainsi que la volonté de nous occuper des problèmes ruraux mais nous ne sommes pas un parti ethnique. Quant à la question de l'amazighité, nous avons toujours voulu qu'elle soit traitée au niveau national et de manière dépolitisée. Nous nous retrouvons donc dans notre élément naturel quand on parle du projet de régionalisation. En revanche, si nous devions parler d'une différence, nous sommes un parti du centre, ancré dans les aspirations du pays. Nous avons toujours été pour la liberté d'entreprendre, constitutionalisée en 1992. C'est notre culture. Pourtant, vous avez connu un grand recul aux dernières élections. Tout à fait, mais pour des raisons purement artificielles. Nous avons subi une attaque frontale pour avoir rechigné à intégrer le gouvernement à la baisse. Malgré cela et notre déficit organisationnel, nous avons maintenu notre cinquième place. Mais les choses devraient rentrer naturellement dans l'ordre, puisque les personnes qui nous ont quittés pour aller dans un nouveau parti, ne s'y retrouvent pas. Qu'en est-il de la jeunesse au MP ? C'est curieux, nous souffrons d'un déficit de communication, alors que nous sommes l'un des rares partis à posséder une section jeunesse presque depuis le début. Hélas, les jeunes des années 60 n'ont pas voulu céder leur place dans les années 80. Depuis trois ans ça change et nos jeunes ont repris du poil de la bête comme nous l'avons vu avec la présidence des libéraux arabes par exemple. Notre jeunesse ne se voit pas encore beaucoup, mais on y travaille. Pensez-vous qu'il y aura un remaniement après le référendum ? Je ne le pense pas, du moins sur le plan théorique. Toutefois, après le référendum nous pourrions revenir à une pratique pas très démocratique, mais qui fut utilisée jadis, avec la nomination d'un gouvernement de transition technocrate. Si vous étiez parmi les candidats pour le poste de Premier ministre ? Tous les partis y pensent. En 2007, la situation s'est présentée, mais nous n'avions pas digéré la fusion des trois partis et nous avions commis quelques erreurs d'appréciation pour tenir compte de certains équilibres. Nous travaillons pour récupérer ce que nous avons perdu en 2009. Je dirais que ma priorité est d'amener le parti à une position honorable. Ensuite, on verra. En guise de conclusion, les gens qui se sont exprimés l'ont fait en dehors des partis politiques, que souhaiteriez-vous leur dire ? Faire attention à ne pas se focaliser sur la Constitution qui n'est pas un sésame. Ensuite, vos revendications face à la méfiance qu'inspirent les partis ne peuvent aboutir que de l'intérieur. Il faut vous engager. Quitte à créer vos propres partis, car il n'est pas possible de faire avancer les choses en restant sur le banc de touche.