Transparency Maroc ne mâche pas ses mots. Lors d'une conférence qu'elle a tenue, hier à Rabat, elle a tiré à boulets rouges sur l'inertie du gouvernement face à la corruption au moment même où la revendication de la transparence gagne de plus en plus le terrain populaire. «Les dizaines de milliers de personnes qui ont arpenté les rues de nombreuses villes marocaines le 20 février ont exprimé les mêmes aspirations au changement démocratique en dénonçant les différentes formes d'abus de pouvoir et d'injustice que subissent les citoyens», rappelle le secrétaire général de Transparency Maroc, Rachid Filali Meknassi. Et de constater qu'il existe toujours un énorme écart entre les promesses de lutte contre la corruption et la réalité où aucun effort responsable n'est consenti dans ce sens. A présent que la réforme de la Constitution est annoncée par le roi, la gouvernance publique et l'indépendance de la justice doivent trouver leur voie à la concrétisation. Ce n'est qu'à cette condition que la revendication de transparence et de reddition des comptes aboutira enfin, selon Transparency Maroc. «Cette revendication ne saurait s'apaiser par la seule promesse de changements institutionnels futurs», tient tout de même à souligner le secrétaire général de Transparency Maroc qui s'interroge, aujourd'hui, sur son rôle et sa participation au sein de l'Instance centrale de prévention de la corruption. «Nous l'avons déjà déclaré, cette instance n'est pas outillée pour accomplir sa mission. Elle n'a pas les compétences non plus d'agir. Nous menons une évaluation de notre travail au sein de cette instance afin de réviser notre rôle et nous appelons aussi toutes les autres composantes à faire de même», lance Rachid Filali Meknassi. Une fois ce travail terminé, Transparency Maroc se prononcera «sur la poursuite de sa participation à cette structure administrative ainsi que sur les conditions que doit réunir un cadre institutionnel en mesure de répondre valablement aux attentes des citoyens, aux engagements internationaux du pays et à l'ampleur du fléau», affirme encore ce responsable. Statut inadéquat et ressources insuffisantes L'instance, aux yeux de Transparency Maroc, fait face à de nombreuses limites. «L'instance mène sa mission dans des conditions très difficiles. Il arrive à son staff de travailler 15 heures par jour étant donné la difficulté d'accès aux données et au manque de moyens», indique Kamal Mesbahi, membre de Transparency Maroc et de l'ICPC. Pour ce dernier, l'Etat n'accorde pas l'importance nécessaire à l'instance centrale en limitant son budget annuel à 15 millions de dirhams. «Ce montant ne peut même pas suffire à créer un système d'information pour un seul secteur. Je vous invite à dresser une comparaison entre ce budget et celui d'un festival de musique et de danse d'une semaine ! », s'exclame Kamal Mesbahi. Au volet des ressources humaines, le constat n'est pas plus optimiste. «La Primature nous a promis 25 postes budgétaires en 2010, mais jusqu'à ce jour il n'y a rien eu», fait remarquer ce membre de cette instance. En un mot, l'instance souffre de réels handicaps, dont le premier, d'après le militant acharné Azzedine Akesbi, ex- secrétaire général de Transparency Maroc, demeure son incompétence en matière d'investigation. «Nous assistons, actuellement, à la constitutionnalisation des possibilités de corruption. Le discours royal appelant à la réforme depuis deux années n'a pas eu de répercussions. D'ailleurs les scandales dont font écho les médias en sont une preuve tangible», insiste Azzedine Akesbi. Et de revendiquer la nécessité de s'attaquer aux origines même du fléau. «Dans la réforme de la Constitution, il faudra revoir la procédure de nomination des responsables. Elle ne doit plus obéir à un dahir, car cela devient une immunité pour ces responsables qui jouissent de privilèges dont l'impunité», estime-t-il. La volonté d'agir ne suffit pas. Transparency Maroc espère que la réforme de la Constitution permettra à la lutte contre la corruption de s'institutionnaliser, de mener des actions et de se doter d'outils de suivi et d'exécution. «L'ICPC a présenté son rapport au Premier ministre le 6 juillet 2010. Depuis, silence total, nous n'avons même pas été conviés à une réunion pour en discuter», s'indigne Kamal Mesbahi. Et d'ajouter que l'instance n'a toujours pas le droit d'accès aux rapports effectués sur les différents secteurs, ce qui rend impossible d'éventuels partenariats avec telle ou telle administration. Bref, Transparency Maroc estime que la lutte contre la corruption a besoin d'une stratégie globale, d'un cadre juridique clair, d'une volonté et surtout d'une action efficace. Tout reste à faire…