Bien que le scandale qui secoue Renault soit loin géographiquement, il pose les questions que nous devons adresser pour pérenniser notre tissu économique. abdelmalek alaoui* D epuis une semaine, l'on a vu apparaître à la Une de l'actualité une résurgence de la guerre économique à travers les soupçons d'espionnage industriel au sein du constructeur Renault, qui a procédé dans la foulée au limogeage de trois de ses hauts responsables. Soupçonnés d'avoir livré des éléments confidentiels de l'entreprise relatifs au développement d'un programme stratégique lié à un véhicule électrique en cours d'étude, les trois dirigeants du constructeur français auraient perçu des commissions de l'un de ses concurrents via une multitude de sociétés-écrans. Cette affaire digne d'un roman noir aurait, in fine, bénéficié à un constructeur chinois qui peinerait à développer des technologies compétitives pour des batteries de véhicule propre. En moins de quatre jours, le monde automobile hexagonal s'est retrouvé au cœur d'un scandale d'intelligence économique de dimension internationale, les dommages se chiffrant probablement en milliards d'euros si des fuites conséquentes ont effectivement eu lieu. A première vue, l'on pourrait penser que le Maroc n'est en rien concerné par cette affaire, ne disposant pas d'un constructeur automobile et encore moins de centres de recherche et développement de la dimension de celui de Renault. Néanmoins, cette assertion peut être très rapidement tempérée. Au niveau des conséquences directes, rappelons que Renault est en train de construire sa future usine de Tanger Méditerranée, vaisseau amiral d'une stratégie de développement méditerranéo-africaine au cœur du programme dessiné par Carlos Ghosn. Autour de cette usine, les pouvoirs publics marocains ont imaginé un véritable environnement industriel intégré, Tanger Automotive City, qui devrait accueillir dans la plaine de la Melloussa les sous-traitants du géant français et plus globalement des acteurs du milieu automobile. Or, c'est précisément au niveau de l'environnement de protection économique de ces sous-traitants qui seront présents dans Tanger Automotive City que l'on n'a vu aucune initiative des autorités concernées visant à protéger leur patrimoine informationnel . Pourtant, ces entreprises seront appelées à développer des techniques et savoir-faire qui, à un degré ou un autre de leur développement, devront être protégés, voire sanctuarisés. Ainsi, si l'une d'entre elles venait à être victime d'une tentative d'acquisition illégale de ses données, de quelle alternative disposerait-elle pour faire valoir ses droits, et surtout, à qui pourrait-elle s'adresser pour déclencher une enquête ? En effet, l'espionnage industriel n'est pas adressé spécifiquement par le droit marocain, alors même que le pays affiche de grandes ambitions pour le développement de son économie. C'est là un sujet majeur sur lequel doit se pencher le législateur, car le renforcement de l'attractivité globale du pays passe aussi par une mise en confiance des investisseurs internationaux quant aux réponses juridiques apportées par le Royaume aux risques liés au pillage industriel. Parmi les conséquences indirectes de la crise chez Renault, cette dernière fait ressortir le manque de protection des biens immatériels des entreprises marocaines, qui ont pourtant développé des techniques novatrices dans divers secteurs. Ainsi, dans le bâtiment par exemple, le Maroc est l'un des rares pays à maîtriser des techniques de construction d'habitat social à très bas coût, que d'autres peinent à reproduire ailleurs. Dans les secteurs minier ou portuaire également, des techniques uniques développées par le Maroc doivent faire l'objet d'une protection active -à travers l'utilisation de brevets de barrage par exemple- au risque de les voir reproduites demain par des entreprises étrangères. Pour cet ensemble de raisons, le Maroc se trouve désormais à la croisée des chemins en termes d'adoption d'une doctrine d'intelligence économique. En devenant un acteur économique continental de premier plan et bientôt un acteur global, le Maroc sera en effet dans l'obligation de se déterminer en termes de sûreté économique, car ses compétiteurs -ne nous y trompons pas- s'activent. Ces derniers n'hésiteront pas à profiter du retard pris par le Maroc en termes de développement de l'intelligence économique pour améliorer leur position et rafler des marchés qui auraient pu nous revenir. En termes pratiques, le Royaume a déjà développé des savoir-faire qui doivent être protégés, il ne lui manque plus que de formaliser le cadre général de ce que sera l'intelligence économique marocaine. Pour ce faire, la prise de conscience par les autorités de tout ce que nous avons à perdre si nous ratons ce virage crucial doit être érigée en nécessité absolue, et des réponses pragmatiques tout autant qu'adaptées doivent être trouvées sans attendre. Parmi ces pistes, évoquons-en une seule qui aurait le mérite d'être immédiatement effective : la mise en place, au sein du ministère du Commerce, d'un numéro vert et d'un site Internet pour dénoncer les pratiques d'espionnage industriel, à l'image de ce qui a été effectué par l'Instance centrale de répression de la corruption (ICPC). L'enjeu est en effet du même niveau, car la corruption comme l'espionnage industriel constituent ni plus ni moins que des crimes économiques commis à l'encontre de la productivité globale du pays. *Abdelmalek Alaoui est consultant, associé-gérant du cabinet Global Intelligence Partners (www.global-intel.com ) spécialisé dans le conseil en intelligence économique. Il est également auteur du livre «Intelligence économique & guerres secrètes au Maroc» (Editions Koutoubia, Paris).