S es yeux pétillent quand il parle d'art. Le dessin et la peinture, ce sont des passions qui ont longtemps mûri sous les doigts de Abdelaziz Mouride. Ses premières planches de bande dessinée, il les a réalisées alors qu'il était prisonnier politique au Maroc de 1974 à 1984. Lorsqu'il retrouve la liberté, il reprend ses dessins et publie son premier album de bande dessinée intitulé «On affame bien les rats». A coups de crayons énergiques, le noir et blanc dessinent les tortures, les grèves de la faim, les parodies de justice, la mort des compagnons. Pendant que le corps subit privations et brimades, les lectures nourrissent l'esprit. «Nous étions les hommes les plus libres du Maroc tout en étant en prison. J'avais tout le temps pour lire, je n'avais rien à faire» déclare-t-il. Grâce à l'aide d'Amnesty International, il se plonge alors dans les romans, les héros de «Guerre et paix» de Tolstoï ou du «Père Goriot» de Balzac jaillissent des pages pour habiter le vide des années qui s'écoulent lentement entre les murs. Un jour, sous une édition française alors interdite au Maroc, un livre passé sous le manteau arrive entre ses mains. Il découvre alors «Le pain nu» de Mohammed Choukri. Le texte le marque fortement, il voit dans cet ouvrage «une parabole, qui raconte mon histoire, celle de mon pays. L'histoire d'une renaissance après la chute». Ce n'est qu'en 2006 qu'il commence à travailler l'adaptation du texte dépouillé de Mohammed Choukri. Ces 4 ans ont été le temps pour le dessinateur de se glisser dans la peau du personnage, déconstruire le texte pour l'adapter, puis choisir la technique, crayon et aquarelle, avec «des couleurs sombres qui collent à l'œuvre». Sur les raisons qui l'ont poussé à adapter ce texte audacieux, Abdelaziz Mouride cite une phrase du grand juriste tunisien Yadh Achour : Dans nos sociétés arabes, «nous pensons des choses non vécues et nous vivons des choses non pensées. La force des tabous fait que nous avons tendance à taire nos problèmes liés à la misère, comme la prostitution ou les enfants des rues». En travaillant sur cet ouvrage, le dessinateur veut s'attacher au message qu'incarne «Le pain nu» : l'espoir. «Ce qui m'a frappé le plus dans ce livre, ce n'est pas la vie dissolue du jeune Choukri, c'est le fait qu'un garçon qui a passé sa vie aux fonds des rues, dans la prostitution et l'alcool, renaît à 20 ans de ses cendres» nous confie-t-il. La bande dessinée transcende alors le texte et se construit à partir du moment clé où Mohammed Choukri découvre l'envie de lire et d'écrire lors de son incarcération. Au travers des 30 planches déjà réalisées, les dessins retracent alors son parcours, ses errances, la violence, croquant à grands traits le portrait à vif d'un Maroc des années 50. Une vingtaine de planches restent encore à dessiner avant d'écrire le mot «FIN» sur l'adaptation de cette vie de phénix. A l'occasion du Festival universitaire de la bande dessinée de Kénitra, le dessinateur Abdelaziz Mouride a exposé son adaptation en bande dessinée de l'ouvrage de Mohammed Choukri, «Le pain nu». Esquisse d'une rencontre avec un homme habité par des bulles de liberté et d'espoir.