La question du chômage revient en force sur le devant de la scène nationale. Elle n'a, en réalité, jamais cessé d'être une question d'actualité, mais les récents événements qui secouent les pays arabes lui ont donné un sens particulier. La sortie de la CGEM avec des propositions pour «vaincre le chômage» s'inscrit certainement dans ce contexte. Le titre lyrique du rapport du patronat est assez révélateur de cet «état d'urgence». Nous étions jusque-là dans une logique où il fallait presque se féliciter d'un taux de chômage à 9,1% quand d'autres pays arabes affichaient des taux de 35%. Cette «satisfaction» cache en réalité des souffrances humaines derrière des chiffres. Nos 9,1%, c'est 1 million 37 mille personnes en détresse. Soit plus que les habitants de la ville de Marrakech. Nous ne pouvons continuer d'avancer sur le chemin de la croissance et du développement en laissant à la traîne les plus vulnérables. Nous risquons d'être rattrapés par cette étourderie. Deux cas de pays où ces contradictions ont été portées très loin nous sont offerts aujourd'hui. Trop de richesse d'un côté, de bons indicateurs macroéconomiques de l'autre et une majorité de personnes oubliées dans la misère. Il est vrai que la conjonction de cette misère et le manque de liberté d'expression ont beaucoup joué dans la constitution de ce cocktail explosif, mais le fait de disposer d'un seul ingrédient dangereux devrait nous inciter, par mesure de sécurité, à travailler à sa neutralisation. Il faut croire qu'on finit parfois par oublier qu'il y a des gens qui souffrent du chômage. La routine installe une sorte de normalité qui apaise nos consciences et cache la responsabilité de chacun. Comme s'il suffisait de détourner la tête pour que le mal soit conjuré. C'est ainsi que cette réalité n'apparaît plus que sous forme de chiffres dans des rapports sans âme. Ni vus ni connus, les jeunes chômeurs doivent faire beaucoup de bruit pour attirer l'attention sur eux. Réalité économique Le chômage est une réalité liée au système économique libéral. Pour l'entreprise, la force du travail est un capital qu'il faut utiliser au mieux pour augmenter le profit. Sa mission n'est pas de créer des emplois. C'est sa volonté de se développer qui lui impose ce choix. Dès que le coût de la production peut être baissé, soit par des solutions techniques ou par une main-d'œuvre moins chère, les entreprises licencient ou arrêtent d'embaucher. C'est pourquoi on ne s'étonnera pas de voir la CGEM revendiquer des incitations fiscales et des réductions de charges sociales pour presque chacun des vingt points qui, selon son rapport, pourraient vaincre le chômage. «Un civisme économique» qui a un coût. Sur ce point, le rapport n'a pas manqué de réalisme, mais on ne peut pas affirmer que ce soit le cas partout. Le rapport reproduit des propositions parfaitement irréalisables. Le 4e point, notamment, parle de l'obligation des stages en entreprise et préconise pour cela 25% du temps de la scolarité. Ce chiffre n'a pris en considération ni le nombre réel de personnes en formation qu'il faudrait mettre en stage, ni la disponibilité des entreprises sur tout le territoire national et encore moins la disposition de ces entreprises à accepter des stagiaires. Quand on connaît les difficultés que rencontrent les étudiants de certaines filières dans la zone Casa-Rabat pour trouver des stages, sans parler de leur qualité et de leur apport réel, la proposition laisse réellement rêveur. Croire qu'il suffit d'aider les entreprises pour qu'elles recrutent, c'est aller contre le bon sens économique. Les chiffres montrent que la croissance ne se traduit pas forcément par plus de création d'emploi. Le paradoxe d'une économie performante vivant avec du chômage est en passe de devenir la règle et non l'exception. Le chômage est aussi une question humaine. Le Maroc a lancé différents plans sectoriels dont les initiateurs attachent une attention particulière aux noms qu'ils leur donnent. Généralement ceux-ci expriment de l'optimisme. Il en est ainsi des Plans Azur, Maroc Vert, Maroc Solaire, Numeric, Halieutis... Il n'y a pratiquement que la formation et l'enseignement où le nom sonne le catastrophisme : «Plan d'urgence» ! La CGEM n'a pas pu faire mieux que le ministère de l'Enseignement. Elle parle «d'état d'urgence pour vaincre le chômage». Dès qu'on évoque le chômage, les regards se tournent vers l'enseignement. Non sans raison d'ailleurs. L'autre jour, un étudiant s'est présenté devant moi pour un examen oral. Il peinait à trouver ses mots, hésitant parfois entre le masculin et le féminin. Quand je lui ai fait part de mon étonnement de voir un étudiant maîtrisant si mal une langue essentielle à son apprentissage, il m'a souri et m'a dit sur le ton de la confidence que se font deux complices : «Je ne cherche qu'à avoir un diplôme !». L'université donne le diplôme, et la formation se fera probablement, comme le préconise la CGEM, en entreprise.