Le choix d'installation des ports, leur nature et leur emplacement sont décisifs pour la viabilité de ces infrastructures. Vu les sommes pharaoniques qu'exige la mise en place d'une plate-forme portuaire, toute erreur peut être fatale, à court ou long terme. Et des erreurs, il y en a eu tout au long de l'histoire portuaire de notre pays. Ces erreurs monumentales ont conduit à la fermeture de plusieurs ports à la navigation. Le dernier en date est celui de Kénitra. Boueux, le bassin du port de la ville ne pouvait plus accueillir de bateaux, au risque de les voir s'échouer dans son enceinte. Tarfaya, Saïdia ou encore Boujdour ont déjà connu le même sort. En cause, des «erreurs monumentales» et une «ignorance de la chose maritime», selon Najib Cherfaoui et Hamadi Doghmi, auteurs de «Résiliences», un recueil sur l'histoire portuaire du Maroc depuis sa naissance. Dans leur ouvrage, les deux auteurs mettent le doigt sur les «erreurs stratégiques», les « bêtises» de certains choix et l' «entêtement» des officiels à répéter les mêmes «ratés» au niveau d'une dizaine de ports marocains. Moyennant des témoignages, des documents inédits et études scientifiques, «Résiliences» tente d'attirer l'attention des officiels sur l'urgence de sauver un secteur stratégique pour le pays. Passé presque inaperçu, l'ouvrage publié en 2009 ouvre le débat sur un secteur hautement coûteux. La «foire aux erreurs» Tarfaya, Tan Tan, Kénitra, Larache, Saïdia, Sidi Ifni... des villes mais aussi des ports construits durant le siècle dernier, mais vite mis «hors service» (voir encadrés ci-dessous), pour la simple raison que la conception de ces infrastructures s'est révélée souvent «inadaptée». «Les archives ne sont pas pleinement associées lors des études de faisabilité», assène Najib Cherfaoui. En conséquence, les dysfonctionnements sont multiples et répétitifs : zone de mouillage non définie (port de Safi), chenal d'accès tortueux (port de Larache, ouverture du port implantée dans la mauvaise direction (port de Jorf Lasfar), passerelles Ro-Ro incorrectement orientées par rapport aux vents dominants (port de Nador), hangars avec des portes trop basses pour les élévateurs à fourches (port de Tanger), portique presque jamais utilisé (port de Casablanca), ensablement du plan d'eau abrité (port de Tan Tan), effondrement d'un quai par oubli des tirants d'ancrage (port de Larache en 2005)... «Résiliences» cite des exemples à ne plus en finir. «Mais il y a plus grave : à force de commettre des erreurs, les responsables finissent par s'y habituer jusqu'à l'abrutissement. Au point d'en faire un critère de normalité !», s'indigne Cherfaoui, expert en infrastructures portuaires, que l'Algérie avait consulté pour la mise en place d'un grand port de transbordement à Alger (projet en suspens). Cet «analphabétisme portuaire» est ainsi source d'innombrables fautes dans la construction des ports, notamment de 1980 à 2009. Les pertes seraient saisissantes et considérables. «Si tout de même, on cherche à évaluer le préjudice social et le coût humain, on trouve en dollars un chiffre qui nous donne le vertige (ndlr : des milliards)», lit-on dans «Résiliences». Beaucoup d'ouvrages portuaires ont ainsi subi des dommages irréversibles, quelque mois seulement après leur mise en service (caissons des quais du nouveau port d'Agadir -1989- et ceux du terminal de commerce de Jorf Lasfar -2000). Même Tanger Med 1 n'échapperait pas à quelques erreurs en la matière. «Sachant que le béton utilisé est vulnérable, c'est-à-dire prédisposé à la fissuration et donc à l'infiltration de l'eau de mer, on prend la décision de munir les caissons d'une protection cathodique. Mais on oublie de défendre le système contre la foudre, aléa dont l'occurrence est tout à fait importante, vu que la région est montagneuse», explique l'expert maritime. Des enjeux stratégiques Si les auteurs mettent en exergue les erreurs précitées, c'est qu'ils veulent attirer l'attention des officiels pour en éviter d'autres à l'avenir. Ils appellent ainsi à la création d'un «Conseil national des ports» pour évaluer les ratés et demander des comptes aux responsables publics, bureaux d'études et ingénieurs qui ont contribué à ces réalisations qui ont coûté des centaines de millions de dollars. Les enjeux sont de taille. Le pays parie en effet sur ces infrastructures pour se tailler une place dans le trafic portuaire international. Or, des changements à l'international sont justement en train d'être opérés. Les auteurs de «Résiliences» s'inspirent ainsi d'une étude relative à l'ouverture d'une route maritime au pôle nord, favorisée par le réchauffement de la planète pour tirer la sonnette d'alarme. «C'est un danger potentiel pour les parts de marché de la Méditerranée. Le Maroc gagnerait à militer, grâce à son futur conseil national des ports, pour que les pays du bassin défendent les acquis commerciaux de la région», écrit Cherfaoui. Cela est d'autant plus important que d'immenses projets d'infrastructures ont été initiés, notamment l'extension de Tanger Med et le lancement de Nador Med : des projets qui méritent une pérennité. Devant l'étendue du «désastre», l'urgence est triple, selon les deux experts marocains : identifier les fautes, modifier le comportement et rattraper le retard. Leurs projections font état d'une prochaine émergence de notre système portuaire qui ne devrait intervenir que vers... 2060. Cependant, il existe l'alternative de la ramener à l'horizon 2020 si l'on arrête de «répéter les erreurs du passé et l'on institue une veille portuaire et maritime», concluent les deux auteurs.