«L'art est fait par tous et non par un». Cette citation du poète franco-uruguayen, le Comte Lautréamont, datée au 14 octobre 2003 par Jacques Villeglé, traduit parfaitement le travail de ce plasticien français aux fameuses affiches lacérées. Pour sa première exposition au Maroc et «sur le continent africain», précise-t-il, ce précurseur du pop art en Europe offre aux amateurs d'art une collection inédite de ses plus belles œuvres d'affiches et de graphismes sociopolitiques à voir sur les murs des Matisse Art Gallery, de Casablanca et de Marrakech. Retrouvailles À 84 ans, ce petit monsieur au chapeau noir que vous verrez circuler sagement entre ses travaux garde en mémoire sa première rencontre avec deux des plus grandes figures de l'art plastique marocain, à savoir Gherbaoui et Cherkaoui. «Je les ai rencontrés une année avant leur mort», se rappelle Villeglé. «Autrement dit, au début des années soixante, lors de la biennale de Paris. À l'époque, il y avait beaucoup moins d'artistes qui participaient à l'événement, il était donc plus facile de s'y rencontrer». Fait surprenant, cinquante ans plus tard, c'est autrement que le trio se retrouve. Un étage plus haut, Jacques Villeglé retrouve les œuvres de ces deux Marocains qui l'auront marqués de leur talent, mais également de leur différence. Pop art pop-lytique «Aux Etats-Unis, le pop art était plus optimiste que ce qui se faisait en Europe». Loin des œuvres «comico-iconiques» de Roy Lichtenstein ou de la célèbre Maryline quadrichomique d'Andy Warhol, le pop art de Villeglé, lui, raconte l'histoire d'une Europe déchirée et d'un peuple lacéré par la guerre. À l'image de ses morceaux d'affiches arrachées des murs et superposées sur toiles, de ces bribes de mots, de titres, ces parties de visages déchiquetés, les travaux de l'artiste français se souviennent des années 60 barcelonaises, parisiennes ou berlinoises où les capitales s'éclairaient de ces imprimés. «Il y a des affiches totalement différentes... des styles de conception que l'on ne retrouve qu'à cette époque», explique le plasticien. «Certains travaux comptent même des affiches de peintres», ajoute Villeglé. Probablement une manière pour lui de maintenir ce qu'il décrit comme «une conversation avec la peinture». Aujourd'hui, il peut l'avouer, amoureux de la gouache Villeglé, il n'a jamais osé en faire «professionnellement» puisqu'il ne se sentait pas à la hauteur de grands maîtres du surréalisme, en l'occurrence Picasso et Matisse. «Les affiches lacérées étaient pour moi une façon de me distinguer du reste. Avec ces affiches, je créais quelque chose qui pouvait faire une véritable œuvre artistique». À voir ses œuvres, on regretterait presque qu'il n'ait jamais osé tremper le pinceau. Et pour cause, si Jacques Villeglé a su donner à ses vieilles planches de papier collé une nouvelle vie par sa vision, les faisant voyager à travers les plus grands musées et galeries du monde, dont le MoMa (Museum of Modern Art) de New York, c'est bien grâce à une force de caractère artistique incontestable. Et que dire de ces graphiques sociopolitiques ? Tout un alphabet «villeglésque» pour le moins surprenant. Derrière chacune de ces étoiles de David, ces demi-cercles, ces bombes à moitié allumées, tous ces signes (ostentatoires) de revendication sociopolitique, se cachent une lettre, un mot, une expression, tout un sens. Et même lorsqu'il reprend les mots des «autres», Jacques Villeglé sait s'en approprier le verbe. Lorsqu'il retranscrira en crayon de couleur sur papier Conson «La lecture est l'apothéose de l'écriture», on en oublierait presque que ces mots sont d'Alberto Manguel.