L'un des principaux acquis du printemps arabe aura été d'avoir poussé chacun à s'interroger sur ce qu'il offrait à cette société à laquelle il est en train de demander des comptes. Dans ce tableau, il se trouve que la femme a un rôle très important dont elle a justement pris conscience depuis quelques temps et qu'elle revendique pleinement. Les mouvements féminins sont de plus en plus mobilisés et se sont positionnés à une échelle plus grande que les «réformettes» demandées jusqu'ici, sur les questions d'ordre politique, socio-économique et géopolitique. Elles étaient, depuis des années, soucieuses d'orienter les politiques étatiques en faveur de l'égalité, de la démocratie et du respect des droits humains. Aujourd'hui, ces femmes veulent intervenir et être partie prenante aux décisions majeures qui les touchent. Avec la globalisation, les forces de frappe des mouvements féminins et féministes se sont aussi mondialisées. Les frontières se sont ainsi estompées pour que les actions d'échange, de réflexion, de lobbying et de revendication s'opèrent de manière coordonnée. Ces militantes de la Méditerranée sont en contact de façon régulière et coordonnent leurs démarches. Aucun axe majeur de la vie en société (économie, paix, justice sociale, développement durable...) n'échappe désormais à leur action combative. Sur le terrain, la réalité n'est certes pas toujours facile, mais l'évolution actuelle du monde (notamment du monde arabe) semble jouer en leur faveur. «Les femmes participent en nombre aux révolutions. Elles jouent un rôle important et savent que les transitions vers la démocratie sont une formidable opportunité pour faire progresser leurs droits pour une plus grande égalité», explique Simone Susskind pour démontrer à quel point les femmes espèrent s'approcher du bout du tunnel. Mais les mouvements féministes ne s'accrochent pas de façon passive à cet espoir. Ils redoublent de vivacité et multiplient les initiatives audacieuses. Les femmes du Maroc et d'Algérie, par exemple, sont en ce moment à pied d'œuvre, avec comme objectif commun d'organiser une grande marche vers les frontières des deux pays et d'en réclamer l'ouverture. Les préparatifs côté marocain sont bien avancés, confie Sabah Chraibi Bennouna, il ne reste que la confirmation du côté des consœurs d'Algérie. Quelque temps auparavant, le même type d'action avait été entrepris au Moyen-Orient, où un groupe de femmes d'Israël et de Palestine sont parties réclamer à l'ONU, la levée du blocus de Gaza et alerter par la même occasion l'opinion publique internationale sur les atrocités que vivent les populations dans cette zone. D'autres actions de cette portée, réunissant les militantes de tous les pays du pourtour de la Méditerranée sont également prévues d'ici 2012. Nous nous proposons, ici, de brosser les profils de certaines de ces militantes qui ont compris que l'enjeu féminin se joue à l'international. Espod en modèle Voilà, l'un des exemples qui montrent comment les associations et réseaux des femmes quadrillent le monde depuis bien des années et arrivent à orienter les politiques étatiques en faveur de l'égalité, de la démocratie et du respect des droits humains. Le 26 mars 2011, à Casablanca, l'association Espod conviait les acteurs des mouvements féministes à un séminaire pour réfléchir sur le rôle et les perspectives de la femme dans les changements sociaux en cours au Maghreb et au Moyen-Orient. Autour de la table, étaient présentes entre autres, d'une part, des représentantes de ces mouvements (Simone Susskind venue de Bruxelles, Malida Benaouda d'Algérie, Leila Khaiat de Tunisie, Sabah Chraibi Bennouna du Maroc), et d'autre part, des acteurs politiques et médiatiques sensibles à leurs causes (Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la famille et de la solidarité, Jinghu Xu, ambassadrice de Chine au Maroc, Farida Moha, journaliste). Quelques jours plus tard, certaines des militantes se sont encore retrouvées sur l'autre rive de la Méditerranée avec leurs homologues à Madrid et à Lisbonne, toujours pour des échanges autour de leurs préoccupations. Maha Abu Dayyeh Directrice du WCLAC (Women's Centre for Legal Aid and Counselling) - Palestine Au cœur de la Palestine et des territoires occupés, Maha Abu Dayyeh et son organisation sont une bouffée d'oxygène pour les femmes. Au plan international, elle est considérée comme l'une des avocates réputées de la cause féminine en Palestine. Comme Noami Chazan (sa consœur d'Israël), son créneau c'est également la conquête d'une paix juste et durable, entre Israël et Palestine. Son organisme œuvre à faire bouger les lignes des législations et des institutions pour promouvoir les droits des femmes et mettre fin aux violences dont elles sont victimes, particulièrement dans les territoires occupés. Mais ce combat se fait également, et de plus en plus, en collaboration avec les mouvements féminins d'Israël qui, réunis dans différents réseaux comme Jerusalem Link, ont décidé d'agir ensemble pour une coexistence pacifique des deux peuples. Simone Susskind Présidente de Actions In the Mediterranean (AIM)-Belgique Depuis Bruxelles où elle vit, Simone Susskind est au cœur de toutes les actions militantes en faveur des femmes dans le contour méditerranéen. La capitale européenne est, dans une certaine mesure un terrain neutre, surtout lorsqu'il s'agit d'aborder des questions épineuses comme le conflit Israélo-palestinien mais c'est aussi le centre névralgique du lobbying féminin. De là, Simone Susskind joue, souvent... de façon officieuse, le rôle de coordinatrice et de porte- parole dans des mouvements associatifs et militants œuvrant pour la cause féminine. En 1989, durant la première Intifada, elle était l'une des instigatrices de la rencontre entre les femmes israéliennes et palestiniennes pour réclamer la paix. En 1994, elle participera au sommet des femmes de la Méditerranée tenu à Maroc, dont l'objectif était de réfléchir à la manière de renforcer leur rôle dans la construction de la paix dans la région. Par la suite, elle contribuera également, avec l'appui du gouvernement belge à la mise sur pied du programme Euro-méditerranéen de la Commission européenne pour les femmes dans le développement économique. En 2004, lorsque le Maroc réalise la réforme de la Moudawana, Simone Susskind était de ceux qui ont tout de suite perçu la portée du nouveau Code de la famille en termes d'avancées. Elle s'est faite avocate de ce type d'exemples dans divers pays de la Méditerranée, avec l'appui d'Amazone, une ONG belge qui soutient les mouvements féminins. Leïla Khaïat Sénateur et présidente honoraire avec mandat de l'Association mondiale des femmes chefs d'entreprise (FCEM)-Tunisie Ancien professeur d'université et dirigeante d'entreprise, Leïla Khaïat est convaincue, à l'heure où, presque partout dans le monde, l'entité féminine représente plus de la moitié de la population, qu' il ne peut y avoir de développement, sans elle. Ses actions militantes portent essentiellement sur l'intégration des femmes dans la sphère de l'économie. Sur ce créneau, elle a été la première femme arabe à diriger l'Association mondiale des femmes chefs d'entreprise, fondée en France au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Elle restera pendant 8 ans à la tête de ce réseau réunissant des femmes entrepreneurs et militantes de 70 pays, des cinq continents. Elle continue aujourd'hui encore d'être au coeur des campagnes de sensibilisation et de lobbying pour la cause féminine, toujours sur le terrain économique. Les questions généralement abordées lors de ces actions, sont aussi multiples que variées, elles vont de l' accès à l'information, à celui du crédit et des marchés, en passant par la lutte contre les discriminations jusqu'à l'incitation des femmes à l'entreprenariat. Pour Laïla Khaïat, c'est aussi de leur intervention économique que dépendra leur émancipation sociale. Naomi Chazan, Présidente du New Israël fund En Israël, cette militante et femme politique (ancienne membre du parlement dans le Parti Meretez), a longtemps été un cas à part. Depuis 40 ans, la paix entre Israël et Palestine a été le combat de sa vie. Pour cette paix qu' elle veut, avec sa consœur palestinienne Maha Abu Dayyeh, juste et durable, Noami Chazan a été de toutes les initiatives. Elle a été l'une des fondatrices, en 2002, de la coalition israélo-palestinienne pour la paix, puis de la commission internationale des femmes (en 2005), toujours pour la même cause. Des actions qui lui ont valu plusieurs distinctions dont le prix pour la liberté et les droits humains de la Fondation suisse des droits de l'Homme et la médaille de bâtisseur de paix décernée par l'«American Friends of Neve Shalom», une association œuvrant pour la paix entre le peuple arabe et juif. Aujourd'hui âgée de 65 ans, Naomi Chazan n'est pas prête de prendre sa retraite. Actuellement, elle est à la tête du «New israel fund», une organisation intervenant dans plusieurs domaines, dont celui des droits de l'Homme pour la démocratie et pour et la paix, couvrant les actions de près de 800 autres associations. Malika Benaouda, Professeure de Droit à l'université de Blida et proche des mouvements féminins-Algérie Malgré l'accès aux espaces publics rendu difficile pour les femmes et la répression souvent atroce qu'elles subissent lors des manifestations (ou probablement à cause de cela), Malika Benaouda est devenue une des porte-voix des causes féminines. Depuis des années, cette intellectuelle va de conférence en conférence à travers le monde et publie articles et ouvrages pour sensibiliser l'opinion publique aux souffrances de la gent féminine dans le monde arabe et dans son pays particulièrement. Ses combats et réflexions portent essentiellement sur la lutte contre l'exclusion sociale et économique, la violence envers les enfants et la protection de ces deux catégories dans les zones de conflits armés, mais toujours en s'appuyant en tant que juriste sur les principes du droit international. Dans ce cadre, elle a notamment été co-auteure de deux ouvrages. L'un publié en 2007, avec le « Amman Center for Human Rights Studies» (Jordanie) qui porte sur la justice pénale et les droits de l'homme, et l'autre avec la Croix-Rouge en 2008, sur le droit international humanitaire. Nawal El Saadaoui, Ecrivaine, militante et médecin- Egypte Prison, censure et répression, Nawal El Saadaoui a payé de tout cela son action militante, sous le régime de Hosni Moubarak. Figure emblématique du mouvement féminin dans le monde arabe, elle a toujours été à l'avant-garde, à la limite de l'opposition politique, pour remettre en cause le poids des traditions et des systèmes politiques qui écrasent les femmes. Aujourd'hui âgée de 80 ans, la farouche militante garde toujours son mordant. Lors de la révolution égyptienne qui a fini par balayer le système de Moubarak, elle jubile et déclare dans une entrevue publiée par les éditions Sisyphe: « Je suis dans la rue tous les jours. Je n'ai pas entendu autant d'espoir et de passion depuis plusieurs années. J'ai 80 ans et je suis si heureuse de vivre de tels moments». Sur la question féminine, elle réaffirme ses positions de toujours et assène, «Le régime nous a enlevé beaucoup de droits depuis la dernière révolution en Egypte. Maintenant, nous sommes très prudentes. Nous ne voulons pas que cela se reproduise»... et elle met en garde par la même occasion les autres mouvements féministes, «Je dirai la même chose aux Tunisiennes. Qu'elles soient conscientes des dangers et qu'elles ne prennent pas leur victoire pour acquise». Sabah Chraibi Bennouna, Présidente d'Espod- Maroc Volontairement discrète dans ses actions, Sabah Chraibi est pourtant une militante influente, qui joue des rôles clés dans les mouvements et réseaux féministes à l'échelle internationale. Cette reconnaissance dont elle jouit est largement liée à l'efficacité de ses actions au plan national. Car, directement ou indirectement, elle a marqué de son empreinte la majeure partie des avancées réalisées par le Maroc sur les questions liées aux droits de la femme. En œuvrant pour la mobilisation citoyenne et la mise en place de réseaux pour le développement participatif à travers l'association Espod, Sabah Chraibi a été l'une des chevilles ouvrières de la réforme de la Moudawana. Sa conception de l'action militante réjoint celle de Leila Khaiat et table sur l'indépendance économique des femmes comme garant de leur liberté d'action et d'évolution au sein de la société. Pétrie de cette conviction, Sabah Chraibi rebute à l'assistanat et prône l'idée selon laquelle l'action associative et militante des femmes ne doit pas être basée sur une logique purement caritative, mais sur l'incitation à l'acte d'entreprendre. Situation actuelle des femmes au Maghreb et au Moyen Orient Maroc, Tunisie, Priorités, maintenir et consolider les acquis En Tunisie, en ce moment de reconstruction de la démocratie, les mouvements féministes sont plus que jamais vigilants. Selon Leila Khaiat, leur préoccupation majeure, c'est de protéger les acquis obtenus à travers le Code de statut personnel,qui rejaillissent sur toute la famille. «La sauvegarde de ce statut de la femme tunisienne», explique-t-elle, est l'un des gages pour renforcer le progrès et le développement du pays. Mais dans le climat actuel, les mouvements féministes craignent une dégradation de leur situation. «Il y a une poussée conservatrice (certes minoritaire, jusque là) qui émerge, avec comme but de remettre en question certaines des avancées, comme le droit des femmes au travail et leur accès à l'espace public», explique Leila Khaiat. Au Maroc aussi, c'est la consolidation des acquis qui est au centre des préoccupations des mouvements féministes. Les attentions sont focalisées sur la nouvelle Constitution en gestation et où comme le souligne Sabah Chraibi, la principale attente est la participation des femmes à la vie publique par la suppression des entraves à l'accès aux postes de responsabilité. Israël-Palestine, Les femmes,espoir de paix S'il y a encore des chances de voir la paix naître entre Israël et Palestine, elles sont aujourd'hui de plus en plus recherchées du côté des mouvements associatifs et des réseaux féministes actifs dans la région. La situation a peu évolué par rapport à il y a un plus de vingt ans (en mai 89) où durant la première Intifada, des femmes israéliennes et palestiniennes se sont réunies pour lancer ce cri du cœur : «Give peace a chance- Women speak out», réclamant l'arrêt des hostilités et la paix entre les deux communautés. Mais les mouvements féministes n'entendent pas baisser les bras. Aujourd'hui, leurs actions toujours fondées sur la conquête de la paix et le droit des peuples à vivre ensemble font grand écho, car ce sont les femmes des deux côtés qui se mobilisent et bénéficient des soutiens de leurs homologues des autres pays. Dans ce sens, explique Simone Susskind, «il y a encore quelques semaines, des femmes Israéliennes et Palestiniennes se sont rendues aux Nations-Unies pour demander la levée du blocus de Gaza». Egypte, Algérie, Retournez à vos cuisines ! C'est à la faveur des récents mouvements sociaux que l'injustice sociale et la souffrance dont sont victimes les femmes en Egypte et en Algérie, sont apparues au grand jour. Au pays des Pharaons, selon les témoignages des mouvements féministes, alors qu'elle avait joué un rôle clé dans les manifestations ayant conduit à la chute de Hosni Moubarak, les vieilles habitudes sont revenues au galop et la gent féminine a vite perdu voix au chapitre. À en croire Malika Benaouda, professeure de Droit à l'université de Blida et proche des mouvements féministes, aucune femme ne figure dans la commission chargée d'élaborer la nouvelle Constitution en Egypte. Pire, «le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale de la femme, les Egyptiennes ont même été brutalement attaquées dans les rues du Caire, par des assaillants leur enjoignant de retourner à leur cuisine», témoigne Simone Susskind. En Algérie, la situation n'est guère meilleure. «L'espace public reste encore une affaire d'hommes et la présence des femmes dans les dernières protestations est plutôt discrète», explique aussi Malika Benaouda. Pour exercer leur liberté d'expression, celles-ci se tournent vers le Web où elles sont de plus en plus nombreuses à animer des blogs. Commentant cette situation, la professeure de droit à l'université de Blida souligne que, «les Algériennes vivent un malaise dû à leur statut dans une société fondée sur les textes sacrés». Selon elle, la remise en cause de ce statut doit passer par une interrogation sur la place de la religion dans le domaine politique.