Le réseautage ou networking (en mode virtuel ou réel), est aujourd'hui le joker brandi pour être performant et réussir une carrière. Cadres et dirigeants s'y mettent à fond, ralliant notamment des mouvements associatifs et des organisations professionnelles. Pour autant, ce phénomène de réseautage, qui consiste à créer des liens, à échanger, à faire du lobbying et à saisir des opportunités d'affaires, n'a pas encore fini de livrer tous ses secrets. À côté des réseaux et organisations professionnelles classiques comme la CGEM, le CJD, l'AFEM... d'autres cercles, appelés clubs de dirigeants, ont fait leur apparition et attirent également de plus en plus des patrons d'entreprises. En vogue en Europe, le phénomène des clubs commence également à prendre racine au Maroc. Ces clubs de dirigeants appelés aussi «clubs de pairs», sont des espaces d'échange assez particuliers, tant en ce qui concerne leur mode de fonctionnement que les objectifs qu'ils poursuivent. Contrairement au modèle répandu des réseaux et organisations professionnelles, ouverts à un plus grand nombre d'adhérents et porté sur une forme de «militantisme» socio-économique comme c'est le cas de la CGEM, du CJD, de l'AFEM ou d'ESPOD, les clubs de dirigeants sont des cercles fermés, sélectifs et plus ou moins discrets. L'association pour le progrès du management (APM), créée il y a 25 ans par Pierre Bellon, le fondateur du groupe Sodexho, est l'un des clubs de dirigeants les plus emblématiques dans l'espace francophone. Présent essentiellement en Europe, l'APM a ouvert l'année dernière son premier club au Maroc et compte aujourd'hui une dizaine d'adhérents basés à Casablanca. Small beautiful world Expliquant le fonctionnement des clubs APM, Philippe Foursy, directeur général de Cetelem et président du Club de Casablanca, indiqué que, «par principe, un club APM ne doit pas dépasser 20 à 25 adhérents, mais que dans une ville comme Casablanca, plusieurs clubs peuvent être créés. Ce nombre limité d'adhérents est une masse critique qui permet aux clubs de fonctionner en maintenant un niveau continu de qualité d'échanges», soulignent Karim Benomar, directeur général de Gymnasia et membre du club de Casa et Stéphane André, directeur du pôle expertise de l'APM en France. Mais si le respect de cette masse critique fait partie des principes des clubs APM, comme l'ont confirmé plusieurs autres adhérents, c'est surtout parce qu'elle préserve une autre de leurs valeurs cardinales : le caractère sélectif et «intime» des clubs. En ce sens que, n'adhérent à ces clubs que les numéros 1 des entreprises et l'accession se fait par cooptation en fonction des affinités et des liens sociaux et professionnels. Ces propos de Philippe Foursy marquent bien la nécessité pour les membres d'entretenir la sélectivité et l'intimité au sein de leur club. «Lors des rencontres du club, souligne Foursy, on ne porte pas de cravate, et on se tutoie. Le club est aussi un endroit où on lie des amitiés et des liens forts. On s'appelle en dehors du cadre du club, on se conseille et on s'entraide. C'est donc un espace de vie intime, transparent (on se dit tout), mais fermé». En somme, l'adhésion au club est avant tout basée sur le copinage et la communauté de valeurs. Pour préserver cet aspect, chaque membre du club dispose d'un droit de veto qui lui permet de refuser l'accès à un nouvel adhérent, dès lors qu'il juge cela nécessaire pour son confort personnel ou pour la tranquillité du groupe. En matière de confort et de tranquillité, en effet, le small beautiful world ne lésine pas sur les moyens. Chaque membre du club cotise 3.500 euros (un peu plus de 35.000 dirhams) par an. Ces cotisations servent essentiellement à financer le fonctionnement du club et ses activités. Mais quelles sont au juste ces activités et quel en est le but ? Se déconnecter à tout prix Selon les membres de l'APM, contrairement aux autres organisations professionnelles, leurs clubs n'ont pas pour objectif de mener des actions «militantes», mais de créer un cadre au sein duquel les dirigeants se retrouvent entre pairs dans le seul but de briser leur solitude, de se déconnecter du boulot et d'apprendre de nouvelles choses à travers différents types d'activités, généralement à caractère ludique et récréatif. L'essentiel des ressources des clubs est donc utilisé pour réaliser des activités ludiques, mais utiles sur le plan managérial et entrant de le cadre du développement personnel de leurs membres. Cette approche, explique-t-on, se base sur le principe selon lequel «plus le dirigeant se développe sur le plan personnel, plus il est capable de faire progresser son entreprise». Ainsi, une fois par mois, les membres des clubs APM font appel aux services d'experts d'horizons divers (champions sportifs, politiques, chercheurs, magiciens, guides de montagne, chefs d'orchestre...) pour venir leur faire vivre des expériences exceptionnelles, en leur faisant découvrir un autre univers. Ces séances, de par les analogies avec les réalités de l'entreprise qu'elles recèlent, constituent pour ces dirigeants une source d'inspiration, leur permettant de réfléchir sur leur propre attitude managériale et de changer leur perception du monde. Elles leur permettent aussi de rompre avec le stress quotidien et de s'aérer l'esprit. Pour les dirigeants membres de l'APM, s'engager dans une telle voie vient d'une prise de conscience sur le fait que la fameuse formule «Seul au sommet» (longtemps perçue comme signe de grandeur et de charisme pour un chef), est à la fois fatale pour eux et pour leur entreprise. «Tout comme leurs équipes, ils vivent eux aussi sous le poids du stress, et le gèrent souvent beaucoup plus difficilement que leurs collaborateurs», expliquent-ils. Incertitudes croissantes, surcharge de travail et difficulté à lever la tête du guidon, à se déconnecter... sont autant de pressions qui les polluent. Ce qui complexifie davantage leur situation, soulignent-ils, est que les enjeux auxquels ils font face les mettent constamment à l'épreuve, exigeant d'eux de prendre souvent dans l'urgence des décisions délicates, et d'en assumer les conséquences. À cette réalité s'ajoutent aussi les révélations des analystes, qui ont montré qu'il y a une forte corrélation entre la performance du dirigeant et celle de l'entreprise et qu'un patron isolé et perdant de vue l'évolution de son environnement court à la catastrophe et sa société avec lui. Donc, pour se prémunir contre ce risque qui les guette en permanence, le remède qui semble le plus adéquat pour les adhérents de l'APM (lesquels, en tant que dirigeants, vivent plus ou moins les mêmes réalités), c'est de se soutenir mutuellement. S.S.M Point de vue : Philippe Foursy, Directeur général de Cetelem et initiateur du club APM de Casablanca J'ai connu l'APM quand j'étais en poste à Bucarest, et j'ai vu tout l'intérêt qu'on pouvait tirer de ce club, à travers la qualité des intervenants et surtout du fait qu'on puisse au travers de sujets externes à l'entreprise, dans le pays où on vit et dans notre quotidien, se rapprocher de gens de cultures différentes et pouvoir partager les problèmes qu'on vit tous ou se projeter ensemble sur de nouvelles perspectives. Dans le club on ne travaille pas forcément pour son entreprise, on travaille pour soi-même. On ressort toujours avec un état d'esprit nouveau après une séance, avec les experts intervenants. Tout cela nous permet à un moment donné de faire un pas en avant dans notre démarche personnelle et de voir les choses différemment. Cela nous permet aussi, nous dirigeants, souvent enfermés dans notre métier, dans notre quotidien, de prendre une bouffée d'oxygène. Point de vue : Assia Aiouch,DG d'Optimum Conseil Personnellement, j'étais sur le point d'aller m'inscrire dans un MBA à l'étranger, car j'avais besoin de m'oxygéner et n'en pouvais plus de Casablanca et du stress. Et puis finalement, je me suis rendu compte qu'avec le club, en termes de budget et de proximité, on a de superbes experts, on partage et apprend des choses intéressantes tout en se «déconnectant» de la routine du travail.Il y a aussi autre chose que le club nous apporte, c'est que nous sommes très complémentaires, parce que nous avons des parcours et des vécus différents. Nos points communs résident dans le fait que nous sommes tous des patrons d'entreprises, extrêmement pris, et se retrouver une fois par mois permet à chacun de souffler. Ce que nous partageons nous apporte toujours quelque chose, soit dans notre mode de management ou dans notre vie personnelle. Mounir Essayegh,«La valeur ajoutée est dans l'enrichissement personnel» Les Echos quotidien : Vous avez été invité à la présentation du club APM de Casablanca tenue récemment. Comment trouvez-vous le concept ? Mounir Essayegh : Le concept APM me paraît intéressant par son approche de la formation plutôt induite que conduite. Je veux dire par là que contribuer au développement personnel des dirigeants à travers des thématiques qui ne sont pas forcément techniques et en liaison directe avec le quotidien ou la direction des entreprises. L'autre point fort est la limitation des membres d'un club APM à une taille qui permet réellement l'échange et le tissage de liens forts permettant au-delà des rencontres programmées de lier des amitiés nouvelles. Ce cadre vous paraît-il réellement approprié pour bien se déconnecter et sortir du stress du quotidien ? Oui, même s'il va falloir s'organiser pour libérer une bonne demi-journée par mois pour les rencontres de l'APM. Le fait que chaque membre contribue au choix des thématiques des rencontres force l'intérêt à la participation et par conséquent la possibilité de s'affranchir momentanément du stress quotidien. Quelle est, pour vous, la valeur ajoutée essentielle de l'APM, comparativement aux autres réseaux qui existent (CGEM, CJD, Maroc Entreprendre...) ? La valeur ajoutée se retrouve dans l'enrichissement personnel à travers le partage d'expériences entre personnes dont les quotidiens se ressemblent beaucoup mais dont les formations et les vécus sont très différents, alors que les rencontres dans le cadre des autres réseaux sont normalement orientées business et par conséquent ne sont pas totalement déconnectées du quotidien du haut manager.