Au scrutateur des événements qui secouent certains pays arabes, une pléthore d'analyses, d'éclairages et d'avis s'offrent. Divers, rationnels ou passionnels soient-ils, ils s'entendent sur la contestation d'un ordre et de la volonté de sa suppléance par un autre. Aussi versent-ils dans la certitude de l'émergence d'un élan citoyen, sans précédent, comme genèse de ces événements. Un élan affranchi des institutions traditionnelles que peuvent être les partis politiques ou d'autres instances complètement dépassées tant dans l'anticipation, la gestion que dans la canalisation de ces événements. Les questions tributaires aux circonstances de ces événements diffèrent, certes, de par les pays mais renferment en elles les dissensions entre les régimes et leurs assises populaires. De tels décalages ne peuvent, assurément, perdurer sans logiques implacables de schismes et de confrontations parfois dramatiques comme ce qui est en train de se passer en Libye. Les légitimités liantes classiques et locales n'ont plus raison d'être. Elles ne peuvent contenir la colère déçue et frustrée des rues bouillonnantes, surtout par du «slogantisme», des déclarations de sympathie ou de bonnes intentions. Indubitablement, le bouleversement du régime tunisien a levé l'«obstacle psychologique» de l'intemporalité des régimes désuets. Le regain de confiance citoyen a bien eu lieu pour devenir transfrontalier, puis secouer bien ailleurs : là où les anachronismes politiques et leurs corrélats sévissent, là où la corruption et l'atteinte à la dignité se banalisent en toute impunité. Toutefois, il serait restrictif d'occulter derrière ces événements une modification substantielle de l'ordre mondial qui met en branle la géopolitique, la géostratégie et bien entendu la démocratie «traditionnelle» liée à une «cité» et un temps défini.Tout se joue désormais dans un temps universel qu'est l'instantanéité. Le temps réel et universel l'emporte sur le local, supprimant les distances et les frontières. Par ailleurs le temps mondial des médias interactifs s'impose à celui local de l'activité des régions et des pays. Le local devient, par la force des choses, global . Une telle configuration n'est pas sans déstructurer la relation du citoyen aux instances qui le représentent. Elle n'est pas non plus sans atteindre la dynamique démocratique car la «cyber-démocratie» ou la démocratie d'opinion se substitue à celle des partis, en manque d'inspiration et de légitimité. Dans cette perspective tout se passe dans le cadre d'un temps désormais unique, communiquant et interdépendant. L'histoire qui se déroulait dans des espaces locaux «isolés», dans des régions ou dans des nations, intègre un temps immédiat auquel prédisposent la mondialisation et l'émergence des médias interactifs. Du coup, les prises de positions s'inscrivent dans une forme de stéréo-réalité au sein de laquelle le citoyen réagit instantanément. Le primat du temps réel, de l'ici et du maintenant sont désormais un fait accompli avec lequel il va falloir composer. Nul ne peut aller contre le sens naturel des choses et de cette évolution citoyenne imperturbable. Elle aspire à de véritables implications dans la gestion de la chose publique aussi qu'à une re-crédibilisation de nos institutions par leur ancrage intègre et passionné dans la modernisation de notre pays. Bien loin de nous, l'expression «Weiguan» se répand comme une traînée de poudre entre les internautes chinois. Elle exprime une «vigilance tournante» et militante afin de contrecarrer sur Twitter et sur d'autres médias les violations des lois par les autorités locales. Elle permet aussi, en temps réel, de se rendre sur les lieux d'une arrestation ou d'un abus quelconque et de les dénoncer... L'expérience partagée devient ici un acte fondateur d'une nouvelle citoyenneté, une forme de «colle sociale» érigée en bloc contre les dépassements du pouvoir. La longévité de l'impunité et des injustices en tous genres est mise en doute au sein de ces nouveaux contours qui se dessinent. La prise de conscience citoyenne n'est aucunement une exception culturelle à nos régions. Elle est une évolution naturelle de conscientisation des masses qu'il faut savoir incorporer dans nos processus efficients de justice et de démocratisation, afin de réussir la consolidation de nos acquis et la marche de notre pays vers un développement serein et équitable. Mounir Ferram Directeur de recherches et professeur universitaire.