Initiative constructive ou simple effet d'annonce ? La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) vient de lever le voile sur sa «Déclaration du 1er mars 2011», livrée à l'issue du conseil d'administration du patronat, qui s'est tenu mardi après-midi. Cette déclaration est censée «apporter une réponse aux aspirations légitimes de la jeunesse marocaine», exprimées par les slogans qui ont retenti lors des marches du 20 février. «Cette déclaration vient formaliser les conclusions de la réunion du 23 février, suite aux revendications des jeunes du 20 février», contextualise Mohammed Horani, président de la CGEM. Ainsi, la problématique du chômage et de la création d'emploi est-elle portée à la tête des priorités de la confédération patronale. Pour autant, aucune initiative concrète n'a été proposée dans le cadre de cette déclaration, ne serait-ce que pour donner l'exemple et mettre l'Etat devant le fait accompli. «C'est une déclaration comme les précédentes... toutes les mesures proposées figurent déjà dans le livre blanc de la CGEM», déplore Hammad Kassal, économiste et ex-vice président de la CGEM. L'effort de l'Etat par contre est, sans surprise ni nouveauté, au cœur des revendications du patronat. Il est certes au cœur des débats, pour remplir son rôle de formateur de ressources humaines suffisantes, aux profils adaptés aux besoins du marché. Toutefois, le discours de la CGEM au lendemain du 20 février n'apporte pas de nouveautés concrètes, ni d'actions unilatérales à mettre en œuvre pour donner du sens à la fameuse responsabilité sociale de l'entreprise. No man's land politique De fait, cette «Déclaration du 1er mars» ressemble à s'y méprendre à un programme de parti politique, les mesures à prendre se limitant à des généralités et des éléments conceptuels, alors que le patronat devrait s'exprimer en objectifs chiffrés et concret, comme il l'avait formulé, dans le cadre de sa vision 2020. «Cette déclaration s'inscrit dans la continuité, et montre bien que nous avons anticipé les problématiques, notamment par notre Vision (...). On ne peut toutefois pas se substituer au rôle du gouvernement ou du Parlement et encore moins à celui des partis politiques», explique le patron des patrons. La vision 2020 sert d'ailleurs de base à cette dernière déclaration : maintenir une croissance soutenue d'au moins 6,5%, pour être en mesure de créer entre 2,5 et 3,5 millions d'emplois additionnels à l'horizon 2020 et ramener le PIB par tête de la région la plus pauvre à 60% de celui de la plus riche. Ce n'est donc en aucun cas une nouveauté de mettre l'emploi et l'équité sociale au cœur des préoccupations affichées par le patronat. Cependant, dans un Maroc où les partis politiques jouent la chaise vide, le secteur privé ne fait en quelque sorte que prendre possession du vide béant laissé par nos politiciens sclérosés. Est-ce là le rôle d'une confédération patronale ? Il faut dire que la situation est claire : l'entreprise a besoin de l'emploi autant que l'emploi, notamment celui des jeunes, a besoin de l'entreprise. Ainsi retrouve-t-on comme mesures pour l'incitation à la création de l'emploi dans la «Déclaration du 1er mars», la création de contrats de première expérience, de contrats d'intégration professionnelle, l'incitation à l'insertion des handicapés, la mise en place de l'indemnité perte d'emploi et la réforme du code du travail en favorisant la flexibilité de l'emploi. L'entrepreneuriat sur la touche Nombre de propositions vont dans le sens de plus de marge de manœuvre en faveur des entreprises, pour disposer d'un capital humain salarié qui pèse un minimum sur les sociétés, répondant au premier objectif de la Confédération en matière d'emploi et de formation, celui d'«une meilleure productivité en vue de baisser le coût du travail». Pendant ce temps, le second objectif, qui prône «l'insertion des jeunes dans le monde économique, que cela soit dans le cadre du salariat ou de l'entrepreneuriat», reste cantonné aux mesures salariales, hormis une recommandation générique visant «le développement de partenariats entre les grandes entreprises et les PME marocaines, affin d'assurer une intégration optimale de notre tissu économique». Il ne fait aucun doute que la clé de l'emploi est d'abord dans l'entrepreneuriat, comme cela a été récemment martelé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), accueillie par Nizar Baraka pour débattre du financement des micros, petites et moyennes entreprises. Force est d'insister sur ce parent pauvre de notre tissu socioéconomique. Or, il reste encore une fois oublié par le patronat. «Nous restons ouverts à toutes les catégories d'entreprises, mêmes aux affaires individuelles, pourvu qu'elles se prennent en main, car il n'est pas question de faire de l'assistanat», souligne Horani. C'est ainsi que dans les faits, les mesures proposées se focalisent sur le salariat et laissent l'entrepreneuriat de côté. C'est maintenant autour des fédérations professionnelles, chacune de son côté, de montrer l'exemple et de proposer des actions concrètes et mesurables, pour promouvoir l'emploi, sans oublier l'auto-emploi. O.Z Point de vue : Hammad Kassal, Economiste, ex-vice président de la CGEM En lisant le contenu de cette nouvelle déclaration, ma première réaction à chaud est de constater qu'elle ne contient ni chiffres, ni objectifs, ni actions concrètes. L'on dirait que c'est une déclaration de parti politique, non celle d'une confédération patronale. En tout cas, alors que les revendications des jeunes du 20 février étaient concrètes, la CGEM les a plus instrumentalisées qu'autre chose. En substance, aucune nouveauté n'a été relevée, que ce soit par rapport aux précédentes déclarations ou par rapport au livre blanc de la CGEM. À mon sens, le patronat devrait mener des actions concrètes et des initiatives propres, avant même d'obtenir des mesures incitatives de la part du gouvernement. Lorsqu'on voit la difficulté des jeunes entrepreneurs à trouver des financements, pourquoi, par exemple, ne pas créer un fonds dédié pour soutenir la création des TPE ? Un fonds perdu qui serait alimenté par une proportion des bénéfices générés par les banques. Ou alors, pourquoi les promoteurs immobiliers ne réserveraient-ils pas une partie de leurs locaux aux jeunes entrepreneurs qui lancent leur entreprise ? La CGEM doit capitaliser sur ce qui a déjà été fait, faire un état des lieux et montrer l'exemple par des actions concrètes.