Non, je ne vous écrirai pas de lettre, car je sais que vous n'allez jamais la lire, peut-être, parce que vous n'en aurez pas le temps. Et comme je vous comprends! Avec tout ce que vous aviez à faire ces derniers jours, vous n'avez pas que ça à faire maintenant. Et puis, il faut le dire, ce n'est pas tous les jours qu'on devient Président. Quand ça arrive, on n'est plus jamais le même. Oui, Président, ça vous change un homme! Président, ce n'est pas une consécration, c'est une intronisation. Tout le monde en meurt d'envie, et certains sont prêts à sacrifier leur vie pour rester Présidents... à vie. Oui, vous, je le sais, je vous ai vu, Monsieur le Président, vous avez dû batailler dur pour en arriver là. Ça n'a pas été facile du tout. C'est normal : en général, un Président ne quitte sa place que quand on le chasse. En tout cas, chez nous, c'est souvent le cas. J'en sais quelque chose car, moi aussi, j'ai été Président. Dans une autre vie. D'ailleurs, ceux qui s'en souviennent - et pas seulement les fils de pub - se rappellent bien que j'avais eu beaucoup de mal à, justement, détrôner mon cher prédécesseur et néanmoins confrère. C'était un gars au demeurant sympathique et débonnaire, mais, qu'est ce qu'il s'est accroché à son trône! Il y était resté, affaissé jusqu'à en être effacé, durant presque 20 ans! J'avais tenté en vain, par tous les moyens administratifs et légaux et toutes les voies démocratiques et civilisées pour l'inviter à aller voir si l'herbe était plus verte ailleurs (C'était, d'ailleurs, m'avait-on rapporté, un très excellent joueur de golf). À la fin, excédé par son entêtement et son attachement déments à son poste pourtant qu'honorifique, et après avoir crié sur tous les toits au point d'en perdre la voix, j'ai dû faire appel, moi aussi, à qui de droit. Et, croyez-moi, comme vous, j'avais tapé très fort et très haut. Et, aujourd'hui, puisqu'il y a prescription, je peux annoncer que c'est grâce au très discret mais très efficace A.A. que notre Président têtu avait été obligé de rendre le tablier et de le remettre à son successeur qui n'était autre, vous l'avez sûrement deviné, que votre humble et aimable serviteur. Oh, surtout, n'allez pas croire que j'avais fait tout ça pour ça. Comme vous, Monsieur le Président, c'était la base qui m'avait prié et supplié de prendre la place de Monsieur l'ex-Président, mais j'avais tenu à passer par les urnes pour être élu démocratiquement. Exactement comme vous, Monsieur Le Président. Mais là, je pense, va s'arrêter la comparaison. Je ne sais ce que vous, Monsieur le Président, vous avez l'intention de faire, mais moi, ayant senti très vite le peu d'entrain de mes amis à soutenir mon «combat» (quel gros mot!) et la fébrilité manifeste de ma mission pourtant arrachée en toute légitimité, j'avais fini par rendre les clés, un an, jour pour jour, après mon élection. Mais, tout ça, c'est de la vieille histoire. Maintenant, revenons à vous, Monsieur Le Président. D'abord, pardon, j'avais oublié, je vous présente mes félicitations les plus chaleureuses et mes vœux les plus sincères pour la réussite de toutes vos si nobles missions de réconciliation, de réorganisation et de... comment dirais-je?... de... redistribution. Je n'ai pas besoin de vous le dire, la tâche ne sera pas facile, et je vous souhaite bon courage de tout cœur. Franchement, Monsieur le Président, je n'aimerais pas être à votre place. Quoique, à bien réfléchir... En tout cas, si jamais, on ne sait jamais, vous aviez envie de passer la main, je suis votre homme. D'ici là, Monsieur le Président, bon vent!