Tanger fête le cinéma national. Le Festival est l'occasion de faire le point sur le bilan d'un secteur. Devant une salle comble de représentants des médias marocains et étrangers et de professionnels du secteur réunis pour présenter le bilan 2009 du CCM, le directeur général du Centre cinématographique marocain (CCM), Noureddine Saïl, a révélé hier que le contrat-programme du cinéma était très avancé et qu'il n'attendait plus que «l'accord du ministère des Finances». À partir de cette année, le CCM a décidé de présenter un rapport d'activité annuel complet. Investir n'est pas un gaspillage Pédagogue, Saïl a rappelé que le contrat-programme était un engagement de l'Etat à travers lequel le ministère de la Communication s'engage à défendre les produits du CCM. Ce contrat-programme est également un accord entre le CCM, le ministère et les professionnels et enfin, un accord financier et fiscal donné par le ministère des Finances à l'ensemble. Le DG du Centre a abordé les points de la fréquentation des salles, «encore à améliorer, mais en forte hausse pour les productions marocaines» et le dossier des salles avec une évolution en trois tendances : rénover les petites salles historiques, faire 4 à 5 écrans dans les grandes salles historiques et développer des multiplex de 8 à 12 écrans. «Il faut élargir l'offre», a martelé Saïl qui, sans oublier ni l'art ni l'émotion, a revendiqué une approche de gestionnaire et de marché pour maintenir la courbe actuelle du développement du cinéma marocain. Il a révélé que des négociations étaient en cours avec des investisseurs français, espagnols, belges et néerlandais. Objectif: L'implémentation des multiplexes sur une demi-douzaine de villes en 2010, avec un début d'exploitation prévu en 2011. Tanger, Fès, Meknès, Kénitra et Oujda sont concernées dans un premier temps. Confiant, Saïl a indiqué que «dès 2010, nous aurons rénové d'anciennes salles et lancé des projets de nouvelles salles». Il parie aussi sur une progression de la production grâce aux aides publiques et à l'exploitation en salles et à la télévision. «Chaque dirham consenti pour un film marocain n'est pas une dépense, mais un investissement» a-t-il insisté. Saïl juge positive et nécessaire pour attirer investisseurs et tournages, la présence de l'industrie du film marocain à Cannes, Venise et Berlin. Ce n'est pas seulement de présence que le directeur général du CCM parle mais aussi du fait que «la promotion est importante et les compétences techniques marocaines constituent un vrai capital»,comme il a tenu à le rappeler. Une étude remise en question Le CCM a lancé une «étude de faisabilité marketing pour la création de multiplexes» en décembre 2008. Réalisée par le cabinet Créargie, cette enquête s'est déroulée de janvier à avril 2009. Elle part du constat que le déclin des salles de cinéma est dû à la responsabilité des propriétaires qui n'ont pas suffisamment investi dans la mise à niveau et seuls les multiplexes peuvent relancer le secteur. Il s'agit de séduire «les publics cibles prioritaires», c'est-à-dire la population qui fréquente déjà les multiplexes. L'étude les définit précisément: catégories socioprofessionnelles A et B et plus particulièrement les 15-24 ans. L'étude évalue la cible à 3 millions de personnes, soit 10% des Marocains. Clairement, il ne s'agit donc pas de permettre à tous d'avoir accès à des salles de cinéma de qualité. Pour le responsable de Créargie, qui a piloté cette étude, «Le CCM sait ce qu'il fait. Le choix d'une telle cible est normal. Il faut faire ses preuves sur un segment spécifique pour entraîner un noyau dur et le fidéliser autour du concept pour ensuite le diffuser sur une cible plus large, en s'adaptant alors à ses besoins spécifiques». Un échantillon réparti entre Fès et Rabat, villes qui ne disposent pas de multiplex et qui ne possèdent que de peu de cinémas de quartier, a servi à cette étude. Pour comprendre l'intérêt que cette population pourrait avoir pour les multiplexes, la fréquentation du cinéma est comparée à d'autres activités de loisirs telles que le café, le restaurant, la salle de jeu ou la discothèque. On est loin ici de la perception du cinéma comme activité culturelle non commerciale. Interrogé sur le choix de réaliser une seule étude sur les multiplexes, le directeur du CCM se défend : «Nous n'avons pas encore assez d'expérience avec les multiplexes. Pour les autres salles, nous savons ce qu'il faut faire». Pourtant le benchmarking s'est fait avec des pays européens alors que le public marocain n'a ni les mêmes habitudes culturelles ni le même niveau de vie. «Le deal vise à faire revenir les investisseurs et les banques au cinéma»:Mohamed Bakrim, Chargé de communication au Centre cinématographique marocain Les Echos: Quel jugement portez-vous sur l'année 2009 ? Mohamed Bakrim : 2009 est la concrétisation d'une dynamique, puisque nous avons 15 long métrages en compétition. Le CCM a instauré la pratique d'ouvrir le festival par une conférence de presse-bilan de l'année précédente. C'est un document écrit, chiffré, présenté en toute transparence. C'est un rapport d'activité et un diagnostic en même temps ? Exactement. On y inclut des chiffres qui nous déçoivent comme le nombre des spectateurs dans les salles. Je peux ainsi vous dire que nous sommes sous les 3 millions de spectateurs, ce qui est décevant. Que comptez-vous faire en 2010 pour améliorer les chiffres de fréquentation ? On ne s'arrête pas au constat. Les chiffres présentés doivent être lus à deux niveaux. En termes absolus, la tendance inaugurée depuis la fin des années 80 continue. C'est une baisse tendancielle des chiffres de fréquentation des salles et c'est lié à la réduction du nombre de salles au Maroc. Mais, une lecture plus attentive des chiffres des spectateurs permet de faire ressortir que ce chiffre des spectateurs pour les films marocains a doublé. On est passé d'une moyenne de 350 à 400.000 spectateurs par an à 750.000 en 2009. Cela veut dire que s'il y a des salles qui résistent aujourd'hui, c'est notamment grâce à la production marocaine. Vous connaissez la domination du cinéma de Hollywood, de Bollywood et de Nilewood. Au Maroc, le cinéma national a pris la 2e place devant les cinémas indien et égyptien. La part du cinéma marocain est de 26%. Pour maintenir cette situation, il faut des multiplex. Le CCM et la profession du cinéma ont mené une étude stratégique qui a abouti à un même constat dans les grandes villes marocaines. Le public est prêt à revenir s'il y a une offre variée, c'est-à-dire au moins 8 salles avec une offre autre que le cinéma comme des espaces de jeux, de la restauration et des commerces. Mais vous êtes aussi dans un contexte marocain où il y a une forte tradition de salles historiques... La réflexion ne s'est pas arrêtée aux multiplex. Je dirais que c'est la locomotive qui va tirer la production et l'exploitation. Mais notre politique d'exploitation englobe le volet des multiplex et celui de la sauvegarde des cinémas de quartier. Que comptez-vous faire pour lutter contre le piratage qui prend de l'ampleur ? C'est le combat de David contre Goliath. Le piratage est un phénomène international avec des réseaux mafieux. C'est une bataille qui doit mobiliser l'ensemble des composantes de la société marocaine. Mais, ce n'est pas qu'une bataille «sécuritaire» de gendarmes et de voleurs; le volet pédagogique est très important. Le piratage n'atteint pas seulement les droits légitimes des auteurs, mais elle atteint aussi le goût. Le produit cinématographique marocain sera-t-il taxé comme un produit culturel ? Les Finances sont-ils à votre écoute pour cela ? À notre écoute oui, et heureusement que le cinéma est un peu à la mode. La question de la TVA pour l'industrie du film et le produit cinématographique est inscrite dans le contrat-programme. Quels sont les objectifs du contrat-programme ? La profession, le CCM et le ministère de tutelle, celui de la Communication, ont beaucoup avancé. Maintenant, la décision est politique, c'est-à-dire qu'elle est entre les mains du gouvernement et du ministère des Finances. Le cinéma a le soutien de S.M. le Roi, qui est un grand cinéphile. Le deal du contrat-programme entre l'Etat et les professionnels du cinéma, c'est d'encourager les investisseurs et les banques à revenir au cinéma. Le secteur de la production en studios au Maroc a-t-il souffert de la crise depuis deux ans ? Oui...pendant les années 2000, la moyenne était de 500 millions de DH par an avec un pic d'un milliard de DH en 2008. Nous sommes retombés à 450 millions de DH en 2009. On peut dire que le Maroc a bien résisté. Nous avons des sociétés de production performantes et crédibles, des techniciens compétents et un guichet unique pour les tournages étrangers. Avoir aux côtés des professionnels du cinéma marocain des gens comme Mélita Toscan du Plantier ou Jamel Debbouze, ça aide à braquer les projecteurs sur le Maroc pour les tournages internationaux par exemple ? C'est clair, parce que le cinéma est une affaire d'image et de visages. Que des stars viennent, c'est un plus. Mais ces stars ne viendraient pas s'il n'y avait pas déjà un socle. Les Américains Martin Scorcese et Oliver Stone ou l'Iranien Abbès Khorastami savent que les Marocains aiment le cinéma. Quelles sont les tendances pour 2010 ? Intéressantes, surprenantes... ? Ce sont des tendances intéressantes avec des surprises. Il y aura de la diversité. Le cinéma continue de puiser dans les sujets «chauds» qui concernent la société marocaine. Il y a une diversité d'approche artistique. Ce que je trouve aussi pertinent et prometteur, c'est une diversité générationnelle avec un Latif Lahlou qui continue à produire et à travailler à côté de l'arrivée d'une jeune génération, comme Hakim Ayouch, Mohamed Mouftakir et Hicham Lasri. L'autre tendance importante est que nous assistons à l'arrivée de beaucoup de premières œuvres, de premiers films.