Adoptée après huit ans d'attente et un marathon législatif de 18 heures, la loi organique sur le droit de grève franchit un nouveau cap. Mercredi matin, à l'issue d'un débat intense débuté la veille et qui s'est poursuivi jusque tard dans la nuit, la Commission des secteurs sociaux à la Chambre des représentants a validé, à la majorité, le projet de loi organique n°97.15. Ce texte, attendu depuis plus de huit ans, définit les modalités d'exercice du droit de grève, un droit garanti par la Constitution, mais resté jusque-là sans cadre légal précis. Adopté par 22 voix contre 7, le texte a néanmoins dû subir d'importants aménagements, en raison des amendements et critiques apportés par divers acteurs politiques et sociaux. Lors de la session marathon, et pour moins studieuse, à la deuxième chambre du Parlement, en présence du ministre de l'Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l'Emploi et des Compétences, les 334 amendements apportés au texte ont fait l'objet d'un examen exhaustif. À l'issue de 18 longues heures de débats et de négociations, Younes Sekkouri a salué le sérieux des députés, qui ont travaillé sans relâche, pour aboutir à une version révisée du texte. «Le projet de loi a été ramené de 49 à 35 articles, dans la perspective de le revoir à la baisse à l'avenir», a-t-il précisé. Le ministre a défendu l'équilibre du texte. Pour lui, la mouture du texte validée par les conseillers «protège à la fois le droit à la grève et les droits des grévistes, tout en veillant à préserver les intérêts des citoyens». Sekkouri a également insisté sur l'importance des avancées introduites. L'intégralité de la mouture validée, ainsi que le détail exhaustif des amendements posés sur la table, n'étaient pas tous publiés à l'heure où nous mettions sous presse. Néanmoins, Sekkouri a mis en avant la suppression des sanctions pénales, l'élargissement du droit de grève aux professionnels non salariés et la fin des interdictions sur les grèves politiques ou de solidarité. «L'employeur est désormais interdit de licencier un gréviste ou de prendre des mesures discriminatoires à son encontre», a-t-il relevé à l'issue de la séance de vote, tout en saluant l'élargissement du champ des syndicats autorisés à appeler à la grève. Sur la base des détails disponibles à l'heure où nous mettons sous presse, les principaux amendements concernent la définition, dans le premier article faisant office de préambule, des fondements, principes généraux et principales références du projet de loi organique sur la grève. Cela concerne aussi l'ajout d'une première section consacrée aux définitions, d'une deuxième portant sur les domaines d'application et d'une troisième section relative aux principes généraux, en plus d'une formule consensuelle de l'article 4 de la loi, servant à déterminer les parties habilitées à exercer le droit de grève. Ajoutons-y aussi l'adoption d'une formule consensuelle de l'article 5 abrogeant la disposition relative à l'interdiction des grèves à des fins politiques. La formule retenue est la suivante : «Tout appel à la grève en dehors de cette loi est considéré comme illégal». Autre amendement : l'abrogation des dispositions contenues dans l'article 12 et relatives à l'interdiction des grèves par alternance, qui ont été remplacées par d'autres dispositions déterminant les motifs et délais à respecter pour lancer un appel à la grève dans les secteurs public et privé. Soulignons aussi la réduction des délais de négociation et de préavis, l'élargissement du spectre des parties autorisées à lancer l'appel à la grève pour englober l'ensemble des syndicats représentatifs, ainsi que la suppression des sanctions pénales et des peines privatives de liberté dans le texte d'origine et abrogation de la procédure de réquisition. Les amendements ont aussi inclus la nécessité de mettre en adéquation les dispositions relatives aux catégories exclues de l'exercice du droit de grève avec les législations internationales en la matière. En attendant davantage de détails, il reste utile de souligner que les prochaines étapes pour ce texte seront notamment celle de la soumission à la Cour constitutionnelle, conformément à l'article 132 de la Constitution. L'autre cap, tout aussi crucial, sera celui du passage de cette nouvelle mouture à la deuxième Chambre. Une phase de négociations qui sera certainement tendue, les syndicats et le patronat devant aussi donner leurs avis sur ce cadre législatif révisé. Contactée pour un commentaire, une source au sein de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) affirme ne pas être en mesure de se prononcer, en l'absence de détails clairs sur le texte. «Il est difficile de commenter pour l'instant, car nous n'avons toujours pas accès à la version définitive du texte», nous dit notre interlocuteur. Du côté des syndicats, certaines positions semblent d'ores et déjà tranchées. Bouchta Boukhalfa, vice-secrétaire général de la Confédération démocratique du travail (CDT), exprime sans détour sa colère. Il dénonce une procédure inédite, où «les amendements ont été simplement énoncés à l'oral sans qu'aucun texte écrit ne soit communiqué, à l'issue du vote». Il fustige un travail «unilatéral» du ministère, réalisé «sans aucune concertation», et affirme que le rejet de ce projet est catégorique. De son côté, le ministre Sekkouri assure que le texte garantit l'encadrement des grévistes, protège les biens et la sécurité tout en maintenant un dialogue social ouvert et constructif. Younes Sekkouri Ministre de l'Inclusion Economique, de la Petite Entreprise, de l'Emploi et des Compétences «Le projet de loi a été ramené de 49 à 35 articles, dans la perspective de le revoir à la baisse à l'avenir. Nous avons écouté tous les avis, opposés comme favorables, et cette loi a connu un progrès majeur par rapport à l'ancienne version. Elle protège à la fois les grévistes et les travailleurs non-grévistes tout en préservant l'équilibre entre les droits des citoyens et ceux des travailleurs». Les constats du CESE Le vice-secrétaire général de la CDT tient à rappeler que les réserves du Conseil économique, social et environnemental (CESE), exprimées en septembre dernier, restent d'actualité. Malgré les nombreux amendements introduits, le CESE avait critiqué l'orientation répressive du texte. Il avait souligné que 12 des 49 articles de la précédente version du texte étaient consacrés aux sanctions, donnant l'impression d'un projet plus punitif que régulateur. Le CESE avait également pointé un déséquilibre frappant entre les secteurs public et privé, avec seulement 4 articles dédiés aux agents publics contre 22 pour les salariés du privé, renforçant l'idée d'une réglementation asymétrique. Autre point central des critiques de l'institution, la définition du droit de grève, jugée trop étroite, excluait les travailleurs indépendants et les professions libérales. Enfin, la liste des secteurs jugés «vitaux» pour lesquels un service minimum est obligatoire avait été jugée trop large, menaçant de limiter l'exercice effectif de ce droit fondamental. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO