La visite du président de la République française marque une étape importante dans la relance des relations entre les deux pays, après une période de tensions. Repoussée à plusieurs reprises, elle se déroule dans un contexte diplomatique particulier, notamment en raison du soutien explicite de la France au plan d'autonomie du Maroc pour le Sahara occidental, un enjeu crucial pour Rabat. Jean-Charles Damblin, directeur général de la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc (CFCIM), nous éclaire sur les enjeux économiques sous-jacents et l'évolution des échanges commerciaux entre le Royaume et la France. Quelle forme est en train de prendre le partenariat entre la France et le Maroc, à la lumière du récent réchauffement des relations diplomatiques ? Jean-Charles Damblin : Les relations entre la France et le Maroc sont construites essentiellement sur deux piliers, les échanges commerciaux et les investissements directs étrangers. Au terme de l'exercice 2023, sur les 14 milliards d'euros de biens et services échangés entre nos deux pays, le Maroc a exporté pour environ 7,7 milliards d'euros de produits vers la France, tandis que la France a expédié pour près de 7 milliards d'euros vers le Maroc. Aujourd'hui, le déficit commercial est du côté français, car nous importons plus de produits marocains. Ce déséquilibre n'est pas nouveau, il s'est amorcé en 2012 avec l'essor de l'industrie, notamment des filières automobile et aéronautique. Ce qui est assez remarquable, c'est de constater l'évolution des échanges. Entre 2016 et 2023, ils ont presque doublé, passant de 7,5 à 14 milliards d'euros. La France a fait le choix de travailler étroitement avec le Maroc, non seulement en tant que partenaire commercial, mais aussi en tant qu'allié stratégique dans la chaîne de valeur de plusieurs industries. Cette coopération a créé des milliers d'emplois des deux côtés. Comment la France se positionne-t-elle en matière d'investissements au Maroc ? En 2023, le flux net d'investissement français au Maroc s'est élève à 6,8 milliards de dirhams (MMDH), selon les données de l'Office des changes, ce qui vient compléter un stock d'investissements français qui culmine à plus de 204 MMDH, soit 30,8% du stock d'IDE au Maroc. À cela s'ajoute la présence de près de 1.000 entreprises françaises, des grands groupes aux petites et moyennes entreprises, qui participent activement à la création d'emplois et de valeur. Au-delà des chiffres, il s'agit d'une relation forte, ancrée dans l'histoire et le respect mutuel. La concurrence avec d'autres pays, comme l'Espagne ou la Chine, n'est-elle pas un défi ? L'Espagne est effectivement le premier partenaire commercial du Maroc, avec des échanges d'environ 17 milliards d'euros. Toutefois, le Maroc importe davantage de produits espagnols qu'il n'en exporte, avec un déficit commercial d'un milliard d'euros. La relation avec la France, elle, se distingue par une approche plus qualitative, avec un accent sur la création de valeur. Il est aussi important de noter la montée en puissance de la Chine, qui décroche de nombreux marchés au Maroc, notamment dans le secteur du génie civil. Qu'attendez-vous de la visite d'Emmanuel Macron au Maroc, notamment sur le plan économique ? L'énergie sera probablement un dossier central. La France est déjà bien implantée dans ce secteur au Maroc, notamment dans les projets d'hydrogène vert. Lors du salon Power to X à Marrakech, nous avons vu une présence française forte, ce qui montre l'intérêt manifeste pour accompagner le Maroc dans sa transition énergétique. D'autres sujets, comme la santé, devraient également être abordés. Le Royaume a engagé une réforme importante de la protection sociale, et cela nécessite des infrastructures hospitalières adaptées, dans lesquelles des entreprises françaises pourraient jouer un rôle clé. Comment voyez-vous l'évolution des relations après cette période de turbulences diplomatiques ? Nous sommes optimistes. La relation entre la France et le Maroc dépasse les simples échanges économiques. Il y a une dimension humaine indéniable. De nombreux Français vivent ici, ont des attaches profondes avec le Royaume. La reconnaissance par la France du Sahara marocain est un tournant important, qui renforce cette relation. Ce n'est pas seulement une question de marchés ou d'investissements. C'est une relation de confiance qui se construit sur le long terme, et nous sommes convaincus que le meilleur est à venir. Le Maroc se positionne de plus en plus comme un hub pour l'Afrique subsaharienne. Quel rôle peut-il jouer pour les entreprises françaises dans cette région ? Le Maroc est effectivement un point d'ancrage pour les entreprises françaises souhaitant se développer en Afrique. Il entretient des liens très étroits avec des pays comme le Sénégal ou la Côte d'Ivoire, et cette proximité culturelle et géographique est un atout pour les entreprises qui cherchent à s'implanter sur le continent. Le Maroc se positionne comme un tremplin, un lieu où les entreprises peuvent s'établir avant de se développer plus largement en Afrique. La francophonie a traversé une phase de remise en cause, avec la montée de l'anglais. Quel est votre ressenti là-dessus ? Le français reste la langue des affaires au Maroc, et il joue un rôle central dans nos échanges. Bien sûr, l'anglais gagne en importance, mais la francophonie conserve une place prépondérante. C'est une langue qui relie les deux pays, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan humain. Beaucoup de liens personnels et professionnels entre Français et Marocains s'expliquent par cette proximité linguistique. Le français n'est pas en déclin, il évolue dans un monde où l'anglais est davantage utilisé, où l'arabe occupe de plus en plus d'espace, mais il reste un catalyseur puissant dans nos relations. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO