Professeure de marketing- ISGA Campus Fès Bien que l'inflation et sa pression persistent, les habitudes de consommation au Maroc restent relativement analogiques. Ce phénomène peut être instrumentalisé par une armada de facteurs psychologiques, culturels, économiques et sociaux. Il est donc capital d'analyser ces éléments pour comprendre les fondements sous-jacents de ce comportement. Coutumes et traditions : le comportement humain est naturellement habituel. Une fois que les individus adoptent des habitudes de consommation, ils ont tendance à s'y tenir, vu le confort et la prédictibilité qu'elles offrent. Cette tendance est étayée par des recherches indiquant que les habitudes, une fois formées, sont résistantes au changement (Verplanken et Aarts, 1999). Au Maroc, cette tendance est particulièrement visible dans la consommation des produits de base et des produits d'usage courant. Ces articles font partie intégrante des routines quotidiennes, rendant difficile toute modification des préférences, même en cas de hausse des prix due à l'inflation. Préférences culturelles : les préférences culturelles jouent également un rôle crucial dans la formation des habitudes de consommation. Au Maroc, les aliments traditionnels et les marques locales sont profondément ancrés dans les pratiques culturelles et les normes sociales. Par exemple, la consommation de couscous, un aliment de base de la cuisine marocaine, demeure stable malgré les fluctuations de prix. Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), l'alimentation représente 40% du budget des ménages marocains, avec une part importante dédiée aux aliments traditionnels (HCP, 2022). L'importance culturelle de ces aliments rend difficile leur remplacement par des produits moins chers Absence de produits de substitution : la disponibilité de produits de substitution influence significativement la flexibilité de la consommation. Pour plusieurs produits, particulièrement alimentaires, il peut ne pas exister de substituts adéquats répondant aux critères de qualité ou de préférence des consommateurs. Ce manque d'alternatives est vu comme un frein par les consommateurs, ce qui les oblige à continuer d'acheter les mêmes produits malgré la hausse des prix. Une étude de la Banque mondiale (2021) indique que 70% des ménages marocains ne modifient pas significativement leurs habitudes alimentaires en réponse aux variations de prix, principalement en raison de l'absence de substituts satisfaisants. Elasticité du revenu : l'élasticité de la demande vis-à-vis du revenu expose la sensibilité de la quantité demandée d'un produit à un changement de revenu. Pour les biens indispensables, la demande est généralement inélastique, c'est-à-dire que la consommation ne baisse pas de manière saillante même si les prix augmentent. Au Maroc, les biens essentiels tels que le pain, le lait et l'huile de table sont indispensables à l'essence quotidienne, et leur demande reste stationnaire malgré l'inflation. Selon le HCP, l'élasticité-prix de ces produits de base est faible, ce qui signifie que les ménages continuent de les acheter malgré l'augmentation des coûts (HCP, 2021). Prix psychologique et valeur perçue : la perception des consommateurs vis-à-vis du prix et de la valeur influence fortement leurs décisions d'achat. Des prix plus élevés peuvent parfois être perçus comme un indicateur de meilleure qualité. Cette perception est particulièrement forte pour les produits de marque. Ainsi, la valeur perçue des marques reconnues au Maroc peut entraîner un comportement d'achat soutenu malgré l'inflation. Une enquête de Nielsen (2022) a révélé que 60% des consommateurs marocains associent des prix plus élevés à une meilleure qualité, les poussant à payer plus, même en période de crise économique. Contraintes économiques : les contraintes économiques, en particulier pour les ménages à faibles revenus, limitent la capacité à opter pour des alternatives plus économiques. Ces ménages disposent souvent de ressources financières limitées, ce qui rend difficile l'adaptation de leurs habitudes de consommation. De plus, les consommateurs à faible revenu peuvent ne pas avoir accès aux informations ou aux ressources nécessaires pour faire des choix plus économiques. Le HCP rapporte que 40% des ménages marocains vivent avec moins de 4 dollars par jour, ce qui restreint leur capacité à répondre aux fluctuations de prix en optant pour des alternatives moins chères (HCP, 2021). Influences sociales : les normes sociales et l'influence des pairs façonnent de manière significative les habitudes de consommation. Au Maroc, le maintien de certains niveaux de vie ou modes de consommation est souvent influencé par les cercles sociaux. En effet, la consommation de certaines marques ou de certains produits peut être motivée par le désir de se conformer aux attentes sociales ou de signaler un statut social. Cette pression, issue de la comparaison sociale, peut conduire les individus à maintenir leurs habitudes de consommation en dépit de l'inflation. Une étude de la Banque africaine de développement (BAD) a révélé que les influences sociales représentent 30% des décisions d'achat dans les zones urbaines marocaines (BAD, 2022). Manque de sensibilisation ou de compréhension : le manque de sensibilisation ou/et de compréhension des répercussions de l'inflation sur le pouvoir d'achat peut bloquer les consommateurs, les empêchant d'adapter leurs habitudes. Tous les consommateurs ne sont pas pleinement conscients de l'érosion de leur pouvoir d'achat due à l'inflation ou de la manière dont ils peuvent modifier efficacement leurs habitudes de consommation pour atténuer cet effet. Des campagnes d'éducation et de sensibilisation sont souvent nécessaires pour les aider à faire des choix éclairés. Le HCP indique que 50% des consommateurs marocains ne comprennent pas clairement l'impact de l'inflation sur leur budget, soulignant la nécessité d'améliorer les programmes d'éducation financière (HCP, 2022). En conclusion, la persistance des habitudes de consommation au Maroc, en dépit de l'inflation, peut être attribuée à une interaction complexe de comportements habituels, de préférences culturelles, de manque de substituts, d'élasticité des revenus, de prix psychologiques, de contraintes économiques, d'influences sociales, de manque de sensibilisation et surtout de politiques gouvernementales. Pour s'attaquer à ces facteurs, il faut adopter une approche à multiples facettes qui comprend le renforcement de la culture financière, l'amélioration de l'accès à des solutions de rechange accessibles et la mise en œuvre de politiques sociales et économiques efficaces. Il est important de comprendre cette dynamique pour élaborer des stratégies susceptibles d'aider les consommateurs à s'adapter avec plus de flexibilité aux changements économiques.