Une nouvelle étude menée dans la grotte aux pigeons de Taforalt permet de mieux comprendre l'une des révolutions diététiques les plus importantes de l'histoire de l'humanité, celle du passage de la chasse-cueillette à l'agriculture. Elle nous révèle qu'à l'ère préagricole, nos ancêtres dépendaient en réalité très fortement de la consommation de plantes. Avant l'avènement de l'agriculture et la domestication des plantes, les humains se sont appuyés sur la chasse et la cueillette pour assurer leur survie. Mais une nouvelle étude, menée à Taforalt, a permis d'aboutir à des découvertes étonnantes sur les habitudes alimentaires des chasseurs-cueilleurs ibéromaurusiens (culture archéologique préhistorique qui s'est développée dans l'actuel Maghreb, occupant une bande littorale allant du nord de la Tunisie au sud du Maroc). L'étude intitulée «Les premières preuves isotopiques d'une forte consommation de plantes chez les chasseurs-cueilleurs du Pléistocène supérieur à Taforalt», menée par une équipe internationale de chercheurs marocains, français et allemands, confirme «une consommation précoce de plantes» chez ces populations, contrairement à leurs contemporains de la fin de l'âge de pierre. Proportion importante de plantes La mission n'a guère été simple en raison de la rareté des restes humains bien conservés datant de cette période, d'autant plus que les restes de plantes sont moins susceptibles d'être bien préservés et identifiés, contrairement aux os d'animaux. Les chercheurs ont utilisé 25 dents permanentes et sept échantillons d'os appartenant à sept individus identifiés et dix individus non assignés, datant d'il y a 13.892 à 15.077 ans. Ils ont effectué une analyse du zinc et du strontium sur l'émail dentaire, le carbone en vrac et l'azote ainsi que le soufre sur la dentine et le collagène osseux. Ils ont également procédé, dans le cadre de leurs recherches, à une analyse des acides aminés simples sur les restes humains et fauniques de Taforalt. Les principales conclusions de l'étude montrent «clairement que le régime alimentaire de ces chasseurs-cueilleurs comprenait une proportion importante de plantes appartenant à des espèces méditerranéennes, avant l'avènement de l'agriculture dans la région de plusieurs millénaires». Plus encore, les résultats indiquent que ces groupes humains sélectionnaient et stockaient probablement certaines espèces végétales comestibles. Ainsi, cette étude permet de «donner un aperçu de la complexité des stratégies de subsistance humaine dans les différentes régions» et prouve qu'une «intensification progressive de la consommation végétale a commencé bien avant la domestication au Néolithique ». Domestication de plantes tardive Par ailleurs, cette découverte majeure remet en cause la notion dominante de forte indépendance aux protéines à l'époque, ainsi que les questions encore sans réponse sur le développement agricole en Afrique du Nord au début de l'Holocène, s'étendant sur les 12.000 dernières années. Car, si les Ibéromaurusiens consommaient tout de même de la viande et, moins régulièrement, des aliments aquatiques, les preuves sont contradictoires concernant une dépendance à la viande ou aux aliments végétaux. L'instauration d'un régime alimentaire à base de viande pourrait indiquer une stratégie de subsistance transitoire vers la sédentarisation. Le fait que cette consommation n'ait pas conduit à une domestication et à un développement agricole de la région reste un mystère malgré tout. «Il est crucial de reconnaître que d'autres enquêtes approfondies sont nécessaires pour bien comprendre ces conclusions et leurs implications», estiment les auteurs de l'étude. l'un des plus anciens cimetières d'Afrique du Nord L'étude a été menée par une équipe internationale de scientifiques de l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionnaire, en Allemagne, du Laboratoire de recherche de géosciences environnement Toulouse (GET), en France, et de l'Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine à Rabat, au Maroc. Le choix du site de Taforalt n'est pas anodin. Il s'agit, en effet, de l'un des plus anciens cimetières d'Afrique du Nord, avec le plus grand nombre d'inhumations humaines (adultes, adolescents et nourrissons). Il contient ainsi la séquence d'occupation la plus longue et la mieux datée pour la période ibéromaurusienne. En 2018, les plus anciennes traces d'ADN, d'un Homo sapiens en Afrique, datant de 15.000 ans, y ont était découvertes.