Ils sont la propriété du maître. Ils n'ont pas d'état civil. Ils ne voient pas leur autorité parentale reconnue. Ils n'ont pas accès à l'argent et ne peuvent hériter. Tel est le statut social de plusieurs dizaines de milliers d'esclaves en Mauritanie, dernier pays au monde à avoir promulgué une loi, en août 2007, qui criminalisait, enfin, la pratique esclavagiste. À défaut de modifier cette pratique ou de l'éliminer comme le recommandent les enseignements de l'islam, les groupes dominants se préoccupent surtout de renforcer l'arsenal juridique et idéologique susceptible de légitimer et de perpétuer la condition servile. L'émotion de la Conférence sur «Le quotidien des esclaves en Mauritanie», particulièrement forte, à laquelle j'avais été convié au nom du journal «Les Echos, Quotidien», le 29 décembre 2009, au Centre de réinsertion sociale de Paris, avait été amplifiée par le témoignage émouvant d'un jeune esclave mauritanien (Y.B), qui avait tout dit sur sa vie d'esclave et les traitements qu'il a subis, à commencer par les travaux domestiques jusqu'à la veille sur les enfants, en passant par le gardiennage des bêtes, le puisage de l'eau, le soin des habits du maître et autres tâches et corvées quotidiennes. Tout cet effort n'impliquant aucun salaire ou rémunération, mais souvent accompagné de brimades, de maltraitances et de punitions corporelles. Il était né de parents esclaves dans le sud de la Mauritanie et très jeune, son maître est venu le prendre et son quotidien était fait de travaux durs et de châtiments corporels. Son petit frère et sa petite sœur subissaient le même sort, elle étant chez la fille du maître mariée quelque part, et lui chez le fils du maître dans sa maison. Il a fui, raconte-t-il, parce que son maître le punissait pour rien à longueur de journée. Il l'empêchait aussi de rendre visite à sa mère âgée, malade et solitaire. Animée par des membres français et mauritaniens de l'Association «Tous contre l'esclavage», la conférence a été marquée par une forte présence des médias français (chaînes de télévision, radios et presse écrite), visiblement choqués par ces antagonismes de classes entre maîtres et esclaves dans un pays où la pensée sociale d'une manière générale, continue d'appréhender l'esclavage comme un phénomène normal et contre lequel on ne doit ni s'insurger, ni se révolter... En effet, les communautés arabo-berbères de Mauritanie, de par leur mode de vie, leurs coutumes et valeurs, ont développé tout au long de leur histoire un système social basé sur l'exploitation des populations asservies, esclaves et appelées communément les Haratine. Ils constituent plus de 50% de la population totale du pays. La plupart d'entre eux ne vivant plus une situation effective d'esclavage mais souffrant, en majorité, de discriminations fondées sur leur statut de naissance. L'autre partie constituée d'esclaves proprement dits (environ 300.000), sont des propriétés de leurs maîtres. Ils sont un bien meuble et immeuble au même titre que les troupeaux et les domaines cultivables de ces derniers. Ils travaillent sans salaire, ne vont pas à l'école, subissent des châtiments corporels les plus inhumains. Ils sont cédés, loués et n'ont aucun droit sur leurs enfants ou leurs épouses esclaves. Pour M. Ould Abeid, qui milite en coordination avec plusieurs organisations anti-esclavagistes, la loi d'août 2007 criminalisant l'esclavage et les pratiques esclavagistes a été limitée par le gouvernement à sa simple expression symbolique. En témoigne, dit-il, le refus des autorités de prononcer la moindre sanction aux dizaines de cas graves et avérés d'esclavage devant les tribunaux. Un instant d'espoir s'était installé en 2006 avec un président démocratiquement élu. Mais le coup d'Etat militaire du 06 août 2008 est venu, selon lui, anéantir toute chance de voir éclore une volonté officielle de reconnaissance des préjudices subis par une partie intégrante du peuple mauritanien. Cette connivence des pouvoirs publics et judiciaires avec les segments tribaux et claniques esclavagistes s'est traduite, à en croire ses dires, par la poursuite des pratiques esclavagistes d'une manière massive et revêtant trois formes : esclavage domestique, esclavage agricole et esclavage sexuel. Le premier se traduit par le rattachement de l'esclave à la famille du maître, par son emploi à tous les travaux et corvées domestiques avec comme seule rémunération les maltraitances et les punitions corporelles. L'esclavage agricole ou servitude foncière consiste en la codification ou l'enregistrement de tous les espaces territoriaux cultivables ou habitables sous les noms tribaux ou familiaux des groupes dominants esclavagistes. Ceci implique qu'un homme, une famille, un clan ou une fraction des groupes des maîtres peuvent se prévaloir de la propriété foncière, légale et officielle, des domaines agricoles ou d'habitations dont les exploitants ou habitants sont des esclaves ou des anciens esclaves, occupant parfois par plusieurs villages. Ainsi, à travers cette discrimination économico - terrienne, l'axe administration - tribunaux - groupes dominants esclavagistes procède à une expropriation foncière systématique des populations serviles. S'agissant de l'esclavage sexuel, le conférencier révèle que la coutume autorise aux maîtres hommes, de disposer sexuellement de toutes les femmes esclaves «sans restriction du nombre de celle-ci, sans demander le consentement de ces dernières, sans obligation de dot, ni témoins, ni acte de mariages comme ça doit être le cas dans les mariages avec des femmes libres». Lumière L'esclavage en Mauritanie continue à exister, bien qu'il ait été aboli en 1981. Il concerne les descendants des Noirs asservis il y a des générations qui sont appelés aujourd'hui «Maures noirs» ou Haratines et travaillent en partie encore comme esclaves pour les «Maures blancs», ou Bidhans. Ces esclaves et descendants d'esclaves représentent environ 45% de la population estimée à 5 millions d'habitants. Deux types d'esclavage s'y côtoient : l'esclavage négro-mauritanien qui sévit dans les communautés pulaar, soninké, wolof, bambara, et l'esclavage maure. Quant au gouvernement mauritanien, il nie vigoureusement l'existence de l'esclavage dans son pays. Le 8 aout 2007, il a adopté la loi criminalisant l'esclavage et prévoyant des sanctions pénales allant jusqu'à 10 ans d'emprisonnement. Cette loi est née dans un contexte politique favorable marqué par le retour de la démocratie en Mauritanie. De par son processus d'élaboration et la précision de sa teneur, elle dépasse toute la législation en vigueur jusqu'alors. Cependant, malgré la démarche inclusive, avec l'implication des ONG antiesclavagistes dont SOS-Esclaves, l'Association mauritanienne des droits de l'homme (AMDH), l'Association des Femmes Chefs de Familles (AFCF) et autres organisations, des faiblesses subsistent encore, comme l'avait souligné la rapporteuse spéciale des Nations-Unies sur les formes contemporaines de l'esclavage, Gulnara Shahinian. «Le gouvernement et les organisations de la société civile ont pris des mesures significatives pour lutter contre l'esclavage en Mauritanie. Toutefois, une approche plus globale, concertée et soutenue, traitant toutes les formes de discrimination, en relation avec la pauvreté, est requise», avait-elle dit.