Mon opérateur téléphonique m'a envoyé un SMS de vœux sans âme pour le Nouvel an. Ma femme a eu plus de chance avec son fournisseur de produits de beauté. Il lui a envoyé une carte bien plus chaleureuse. Je ne m'explique pas cette différence de traitement alors que je suis bien meilleur client que ma femme. J'ai l'impression que mon fournisseur est pétri dans une culture qui considère les vœux de Nouvel an avec beaucoup de mépris. Pourtant il est facile de se prêter au jeu des vœux. Les entreprises peuvent, aujourd'hui, s'offrir des manuels avec autant de modèles de textes que de situations. Elles peuvent ainsi s'inspirer d'un modèle spécifiquement lié à la crise. Des vœux adressés aux clients et fournisseurs à qui elles souhaitent insuffler un peu de confiance. Les patrons, s'adressant au personnel, peuvent mettre l'accent sur la détermination, quand ils sont en situation de crise, ou tenir un discours « dynamique ». Avec de tels manuels il est difficile de se cacher derrière le manque d'inspiration. Les vœux de Nouvel an sont un moment privilégié pour les décideurs, aussi bien économiques que politiques, pour communiquer avec leurs clients, employés ou électeurs, c'est-à-dire des personnes à qui ils doivent leur réussite. Une tradition occidentale ? Oublier la traditionnelle cérémonie de vœux est une faute impardonnable en Occident. Ni Obama, ni Sarkosy n'ont hésité à interrompre leurs vacances pour s'en acquitter. Tous les hommes politiques occidentaux en font de même. Une tradition occidentale donc pensez-vous! Dans nombre pays africains, les chefs d'Etat et de gouvernement présentent leurs vœux pour le Nouvel an. Même le président guinéen, Dadis Camara, hospitalisé chez nous, n'a pas manqué de faire lire son message de vœux par son Premier ministre. Pourquoi alors nos acteurs économiques, nos politiques ne sacrifient-ils presque jamais à cette tradition? Pourquoi ne viennent-ils pas devant leurs clients, leur personnel et leurs électeurs dire, avec plus ou moins de sincérité, tous les vœux de réussite et de prospérité qu'ils leur souhaitent? Serait-ce parce que c'est une tradition trop liée à l'Occident et souvent confondue à la religion chrétienne ? C'est vite oublier que la nouvelle année est une date «laïque» et que le 31 décembre, bien qu'il porte le nom de «Saint Sylvestre», ne représente pas moins la fin et le début d'une année calendaire. C'est le calendrier que nous utilisons très bien et sans complexe pour nos écoles, nos universités, nos sociétés et notre loi de finances. Et puis, même pour notre nouvel an hégire les vœux sont pratiquement absents. Déficit communicationnel En réalité, si nos politiques et nos patrons d'entreprises ne sentent pas le besoin de présenter des vœux pour le Nouvel an, c'est qu'ils n'ont pas encore développé suffisamment cette culture de la communication qui lie le patron à son personnel, ses clients et fournisseurs et le politique à ses électeurs. Nos patrons ne se sentent probablement pas redevables envers leurs clients avec lesquels ils entretiennent des rapports lointains qui se limitent à des chiffres dans des bilans. Avec le personnel, le mot d'ordre est souvent de dresser des barricades et de bâtir des murs infranchissables pour séparer les deux mondes. Un patron est d'autant plus « grand » qu'il est lointain de son personnel. Ils n'ont que des ordres à donner et jamais un message à transmettre à des personnes qu'ils ne reconnaissent pas. Du manque de reconnaissance au manque de considération, il n'y a qu'un pas. Cette attitude, que trahit l'absence des vœux, est aussi grave économiquement que politiquement. On ne peut rien construire dans un monde dominé par la communication, quand on est si peu communicant. On s'étonnera après que les citoyens boudent la politique, et que nos entreprises trouvent tant de difficultés quand elles sont en situation de concurrence avec des multinationales. Faisons des vœux Puisqu'on ne nous présente pas de vœux, faisons-les nous-mêmes. Mais rappelons-nous d'abord que 2010 est cette année magique et lointaine d'il y a dix ans. Nous y sommes arrivés aujourd'hui avec les difficultés et les échecs qui sont les nôtres: moins de 10 millions de touristes initialement souhaités, un système d'enseignement sous perfusion d'un plan d'urgence, un système de santé en souffrance, une justice qui se cherche, etc. Mais aussi, il faut le reconnaître, des réussites: plus de liberté, même si ce n'est jamais assez, plus d'autoroutes, plus de ports et de barrages. Est-ce suffisant? Nos ambitions doivent être toujours plus grandes que nos moyens. Si on ne prend pas de résolutions ambitieuses on ne risque en effet pas grand-chose. Une nouvelle décennie s'ouvre à nous. Prenons d'autres paris, d'autres défis et soyons à la fois optimistes et réalistes. C'est toujours une bonne résolution de décider de travailler même quand les résultats ne sont pas complètement au rendez-vous. 2010 c'est l'année qui prolonge une année de crise, arrivée chez nous avec un léger décalage. Nous espérons qu'elle ne restera pas plus longtemps chez nous sous prétexte qu'elle est arrivée en retard. Les frémissements d'une reprise commencent à se faire sentir en Occident. Faudrait-il attendre que cette reprise s'affirme là-bas pour en espérer des retombées chez nous? Ce sont les aléas d'une économie trop dépendante de l'extérieur. Il faut espérer que les Marocains retrouvent la confiance, qu'ils puissent travailler, gagner correctement leur vie, investir dans l'éducation de leurs enfants, s'épanouissent culturellement, qu'ils s'engageront dans la construction de leur pays en s'intéressant plus à la politique. Souhaiter une bonne année, ce n'est pas tracer un programme d'actions, c'est d'abord faire preuve d'un peu d'humanisme. C'est un moment où on montre aux autres qu'ils existent pour nous, que nous souhaitons qu'ils soient heureux car leur bonheur fait le nôtre. Je vous souhaite donc, avec quelques jours de retard, une très bonne et heureuse année. Oublier pour vivre Les Américains, qui adorent jouer avec les symboles, ont installé au « Time Square » à New York une machine à broyer les mauvais souvenirs. Les New-Yorkais étaient invités à y jeter leurs mauvaises expériences de 2009. Cette catharsis est souvent l'occasion d'étudier les frustrations collectives ou individuelles des gens pour l'année écoulée. La fournée 2009 ne fut pas particulièrement passionnante. Ce ne sont certainement pas les problèmes qui ont manqué, mais l'arrivée de Barack Obama a dû jouer le rôle de soupape d'évacuation des frustrations cumulées durant l'ère Bush. Cette année, les Américains ont jeté aux orties de banales lettres d'amour, des factures non réglées, des photos de personnes haïes... Rien à voir avec 2008, qui était un excellent cru politique pour les mauvais souvenirs. Il faut dire que l'administration Bush a bien travaillé dans ce sens. Il était normal qu'elle fasse les frais de la vindicte populaire. S'il nous était donné de disposer d'une machine similaire, qu'aurions-nous aimé oublier en 2010? Difficile de lister tous nos malheurs de 2009. Non qu'ils soient particulièrement nombreux, mais parce que nous disposons d'une formidable capacité à oublier... ou à pardonner. Certains diront que nous ne sommes tout simplement pas rancuniers. Nous oublions les promesses non tenues de nos politiques, les services publics non rendus, les augmentations des tarifs non justifiées. Nous oublions l'état de nos routes après chaque précipitation et pardonnons les erreurs de diagnostics de nos médecins. Nous comprenons les aberrations de nos juges et les écarts de notre administration. C'est loin d'être une tare. Les psychologues affirment que l'oubli des souvenirs au fil du temps est une manière d'économiser notre mémoire pour d'autres activités. C'est bon aussi pour le moral, surtout quand les frustrations sont quotidiennes.