« Enquête Exclusive », magazine d'investigation hebdomadaire de la chaîne française M6, très suivie dans le monde francophone, a consacré son dernier numéro diffusé, dimanche soir, à « L'Algérie, le pays de toutes les révoltes », dans lequel elle a brossé un tableau sombre des libertés et de la démocratie dans ce pays. L'émission, d'une durée de 75 minutes, tournée discrètement pendant près de deux ans en Algérie, donne la parole à des jeunes de différents horizons pour évoquer leur malaise et leurs aspirations dans le contexte du Hirak, dans une « Algérie où la révolte gronde depuis plus de 18 mois ». Le commentateur évoque un « régime corrompu en place depuis plus de 60 ans », faisant observer que quelle que soit leur orientation politique, sont nombreux les jeunes algériens qui « ne cherchent qu'à quitter le pays ». L'émission relève que le chômage touche 20% des jeunes, « l'un des plus élevé dans le monde », notant que « sans espoir », certains jeunes « ne pensent qu'à fuir le pays » clandestinement au risque d'encourir jusqu'à six mois de prison ferme et au péril de leur vie. Rien qu'en 2018, « 500 candidats algériens à l'immigration clandestine seraient morts noyés », souligne l'émission. Enquête exclusive s'arrête également sur les manifestations qui secouent l'Algérie depuis des mois, soulignant que les jeunes "rêvent de démocratie » et que « les 42 millions d'habitants ne veulent plus d'un régime autoritaire et corrompu qui gangrène le pays depuis l'indépendance ». "Leur rêve est que l'Algérie devienne une vraie démocratie, un Etat de droit", souligne le commentateur, qui affirme que "difficile de savoir quel chemin prendra l'Algérie, mais dans la rue, une chose est sûre, tout le monde veut du changement, car le pays traverse une grave crise économique", qui s'est aggravée avec le Covid-19. "En Algérie, un habitant sur trois vit sous le seuil de la pauvreté. Pourtant le pays est riche. Dans ses sous-sols, d'immenses réserves d'hydrocarbures, du pétrole et du gaz à profusion. Mais le problème, est que la majorité de la population n'en profite pas ». Pour s'en rendre compte, « Enquête exclusive » propose de quitter la capitale Alger et de se diriger à Ouargla, une ville d'à peine 200 mille habitants et où "aucune caméra n'y est autorisée". Car "c'est ici que sont installées les plus grosses entreprises qui exploitent l'or noir". A Ouargla, la commune la plus riche du pays et où le "piston est la règle", comme partout en Algérie, et où les jeunes diplômés ne trouvent pas de travail, 50 % parmi eux sont au chômage. "Pas de logement, pas de travail, un pouvoir corrompu, pour beaucoup d'Algériens, l'avenir paraît sombre, alors ils sont nombreux à vouloir fuir le pays", souligne le commentateur, faisant observer qu'"à cause de la corruption, et du coronavirus, le système est à bout de souffle". En Algérie, « les manifestations se sont interrompues à cause de la crise du coronavirus, mais les espoirs restent les mêmes. Et malgré la répression qui s'est intensifiée ces dernières semaines, la population algérienne continue de réclamer un changement en profondeur", relève l'émission. Cette révolution mobilise jusqu'en France. Alors qu'en Algérie, la révolte s'est arrêtée depuis le mois de mai, en France, « elle redouble d'intensité". "Chaque dimanche depuis la levée du confinement, ils sont des centaines à se réunir place de la République, en plein coeur de Paris, associations et collectifs de la diaspora algérienne". Selon Enquête exclusive, participer à une manifestation en Algérie "peut coûter cher" et le "gouvernement arrête les opposants à tour de bras". Citant la Ligue algérienne des Droits de l'Homme, le commentateur fait savoir qu'il y aurait une arrestation par jour et plus de 200 détenus d'opinion de l'autre côté de la Méditerranée. "Dans la plupart du temps, il n'y a pas de procès équitable" dans ce pays. L'émission revient sur le cas de Khaled Derareni, correspondant de TV5 monde en Algérie, "symbole de la résistance face à la censure du régime". Le 15 septembre, Khaled Drareni a été condamné à deux ans de prison ferme en appel pour avoir couvert les manifestations du Hirak, ce qui représente "la peine la plus lourde prononcée contre un journaliste depuis 30 ans en Algérie". "L'indignation est française et internationale", affirme-t-on. Et de rappeler que début septembre, une dizaine de journalistes français se sont retrouvés devant l'ambassade d'Algérie à Paris pour demander la libération de Derareni, qui "dérange" aussi le gouvernement algérien parce qu'il est le porte-parole de RSF en Algérie. « C'est un dossier vide qui a été monté contre Khaled pour le faire taire", affirme à Enquête exclusive, le Secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Selon lui, il "n'est pas certain que la situation change, le gouvernement algérien voit dans la crise du coronavirus l'opportunité de museler encore un peu plus la liberté et de refermer au public la parenthèse de la contestation ouverte il y a près de deux ans". "Entre politique sécuritaire et la volonté de tout contrôler, l'Algérie est l'un des pays les plus fermés du bassin méditerranéen ». Les touristes étrangers, y compris français, sont découragés d'y accéder en raison du visa imposé. Quant aux journalistes étrangers, il ne sont tout simplement pas les bienvenus. Le prochain rendez-vous politique pour l'Algérie c'est le premier novembre prochain avec le référendum sur la réforme de la constitution. « Si ce référendum est adopté, il risque de cadenasser davantage encore la prolongation de ce régime autoritaire et corrompu", estime le présentateur. M6 avait reconnu vendredi que ses équipes ont tourné dans le plus grand anonymat pendant deux ans en Algérie pour préparer le numéro de dimanche soir. Le rédacteur en chef de l'émission Patrick Spica et le présentateur Bernard de la Villardière ont dévoilé à la radio française Europe 1 les dessous de ce documentaire inédit sur la situation politique actuelle en Algérie.