Avantages et privilèges acquis lors d'une époque révolue continuent à confiner certains secteurs dans une économie de rente contreproductive. Alors que le transport de marchandises a échappé au dictat de l'agrément, le transport de voyageurs reste gangréné. L'on parle désormais d'un fonds de rachat pour retirer les agréments légitimement obtenus. Les autres devraient tout bonnement être retirés... Une réforme très sensible Mérite ou privilège ? Pour l'économiste, le travailleur et pour tout démocrate, la question ne se pose même pas, mais dans notre économie «florissante», la question est présente dans tous les esprits : les uns en colère de voir leur mérite passer à la trappe, les autres par peur de voir leurs privilèges s'évanouir avec les progrès de l'équité des chances, aussi timides soient-ils. Il faut dire qu'une minorité privilégiée de la population s'est habituée, depuis des décennies, à cette économie de rente, qui étouffe l'initiative et bride la créativité. Cependant, tous les secteurs d'activité ne sont pas gangrénés par ce fléau économique au même niveau. Les plus touchés d'entre eux sont le transport et l'immobilier. Transport de voyageurs entre les mains des rentiers Concentrons-nous pour commencer sur le secteur des transports, au sein duquel la rente est personnifiée par les agréments. En effet, si le transport de marchandises a pu être réformé, pour ne plus être régi par les agréments, le transport de voyageurs reste quant à lui profondément embourbé dans cette économie de rente. Taxis urbains, extra-urbains et transporteurs de voyageurs par autocars restent soumis à l'agrémentation pour exercer leurs activités. Or cette situation relève plus du système féodal que d'un quelconque pragmatisme économique. Il est toutefois important de signaler que l'intention de libéraliser le transport de voyageurs a été insérée dans le préambule de la loi 16-99, portant sur la réforme du transport de marchandises. «L'agrément pour le transport de voyageurs est, malheureusement, toujours accordé intuitu personae», signale Larbi Ziati, directeur délégué de la fédération du transport CGEM, ayant également participé à l'élaboration du texte de loi 16-99. Malheureusement, c'est le cas de le dire. Premièrement, les agréments sont accordés à titre personnel, sans forcément suivre des critères objectifs, dans l'intérêt des usagers et de la profession. Ensuite, l'agrément constitue une rente en défaveur des professionnels qui doivent le louer auprès du rentier pour mener leurs activités. Un système qui remonte à l'ère coloniale Une situation qui fait d'ailleurs suite à une longue histoire, remontant à l'époque coloniale. Il suffit de lister les catégories d'agréés pour s'en rendre compte. Dans ce cadre, quatre profils de rentiers peuvent être distingués : ceux qui ont racheté des agréments auprès des colons français au lendemain de l'indépendance, ceux qui ont reçu des agréments pour services rendus à la nation, d'autres qui en ont bénéficié grâce à leur proximité du pouvoir central et leur influence et enfin des resquilleurs qui ont profité du non-droit généralisé à une certaine époque pour dénicher des agréments. Les deux premières catégories peuvent être considérées comme légitimement bénéficiaires, les deux dernières, par contre, continuent de bénéficier actuellement des privilèges qu'elles ont obtenus à une époque désormais révolue. Il faut dire que les autorités concernées sont conscientes de la nécessité de changer cette situation, comme ils ont pu le faire pour le transport de marchandises. Aussi, «un fonds de rachat d'agrément serait-il à l'étude auprès du ministère de l'Equipement et des transports», révèle une source proche du dossier. Dans cette optique, le rachat ne devrait concerner que les deux premières catégories d'agréés: ceux qui ont acquis l'agrément à titre onéreux et ceux qui en ont bénéficié pour services rendus à la nation, principalement des résistants, des anciens combattants et leurs ayants-droits. Les deux autres catégories devraient se voir tout bonnement retirer leur agrément, et perdre ainsi leur privilège illégitime. «Pour mener ce chantier, Ghellab et ses équipes doivent s'entourer de toutes les précautions, vu la sensibilité du sujet», poursuit notre source. En effet, bon nombre de privilégiés tirent des revenus considérables de la location ou de l'exploitation de leurs agréments, et vont certainement tout faire pour maintenir le statuquo. Des bénéficiaires qui, pour un bon nombre d'entre eux, sont influents et disposent d'une capacité non-négligeable de faire pression sur les décideurs. En tout état de cause, l'amorçage de cette réforme, autant que la mise en place du fonds de rachat comme outil de base, deviennent de plus en plus pressantes, compte tenu de l'anarchie qui caractérise le transport national de voyageurs. Une réforme qui devrait permettre de mettre à niveau l'ensemble du secteur.