Les Echos quotidien : Vous êtes pratiquement la seule réalisatrice d'origine arabe à Hollywood. Comment vivez-vous cette donnée ? Sanaa Hamri : J'ai quitté mon Tanger natal à 17 ans pour New York où j'ai fait du théâtre au Sarah Lawrence College. Depuis cette date, je n'ai jamais oublié mon pays. Même si je suis installée à Los Angeles depuis des années, je ne me suis jamais détachée des traditions marocaines. J'essaie toujours de faire de mon mieux afin de bien représenter mon pays. Se faire une place sur la scène artistique américaine n'est pas facile. Comment avez-vous fait ? Il n'y a pas de secret. Il faut juste persévérer et y croire ! Il ne faut pas penser non plus que nos rêves se concrétisent facilement. J'ai dû travailler dur pour devenir ce que je suis aujourd'hui. Le métier que j'exerce est fortement dominé par la gent masculine. Il était donc très difficile à ce milieu d'accepter qu'une femme rompe avec les règles établies depuis longtemps. Il est vrai que j'ai réussi à changer le regard de mes confrères, mais cela a pris un bon bout de temps... Bref, la vie aux Etats-Unis n'est pas aussi facile que le pensent de nombreux jeunes Marocains. Aujourd'hui, on ne peut plus se permettre de dire que c'est seulement aux Etats-Unis qu'on arrive à réaliser ses rêves, même les plus fous. Avec la révolution technologique, toute personne qui a du talent arrivera à s'imposer. Il m'est arrivé par exemple de filmer des clips avec un iPhone, ce que tout le monde peut faire. Il faut donc encourager la nouvelle génération à aller jusqu'au bout de ses rêves et surtout lui faire comprendre qu'il faut d'abord exploiter les richesses de son propre pays avant d'aller voir ailleurs. La chance a-t-elle joué un rôle dans votre parcours ? Certainement ! J'ai fait de très belles rencontres, qui ont été décisives pour moi. Je pense tout particulièrement à Malik Sayeed [n.d.l.r. : célèbre réalisateur de vidéoclips aux Etats-Unis) et à Mariah Carey qui ont cru en moi. C'est grâce à eux que j'ai pu faire la connaissance d'autres artistes et collaborer avec des musiciens connus dans le monde, notamment Sting, Prince, Lenny Kravitz et Alicia Keys. Vous avez commencé par la réalisation de vidéoclips avant de passer à celle de séries télévisées et de longs-métrages. Pourquoi ? J'ai toujours rêvé de faire du cinéma. C'est ainsi que j'ai réalisé en 2006 mon premier long-métrage, Something new. J'en ai fait d'autres, notamment Just wright, produit en 2010 et dont le rôle principal est interprété par Queen Latifa. J'ai réalisé aussi plusieurs épisodes de la série Desperate Housewives, Greys Anatomy et Men in Trees. Enfin, j'ai fait deux documentaires, l'un sur un concert de Mariah Carey, The Adventures of Mimi, et l'autre sur un spectacle de Prince, The Art of Musicology. Bref, je tente d'élargir mon champ de travail et de tester mes capacités à mettre en scène des genres aussi différents les uns que les autres. L'idée de faire un film au Maroc fait-elle partie de vos objectifs ? J'ai toujours rêvé de faire un film dans mon pays. Je suis d'ailleurs en train de préparer un projet avec l'écrivaine marocaine installée aux Etats-Unis Leila Lalami. Ce projet consiste à adapter au cinéma son roman Hope and other dangerous Pursuits [«Espoir et autres poursuites dangereuses»]. L'idée est encore en gestation, puisque Leila est toujours en train d'écrire le scénario. Toutefois, je peux vous confirmer dès maintenant que le tournage aura lieu au Maroc. Vous êtes originaire de Tanger, qui a depuis toujours été une source d'inspiration pour bon nombre d'artistes marocains et étrangers. Est-ce le cas pour vous ? Je suis née dans une famille artistique, puisque mon père était un artiste-peintre. J'ai donc été bercée dès mon enfance dans un milieu favorable à la création grâce à lui, mais aussi à ses amis écrivains, peintres, musiciens... qui nous rendaient visite tout le temps. Tanger a toujours eu ce don d'ensorceler les étrangers. Pour la petite anecdote, ma mère, qui est d'origine américaine, y vit toujours. Comme je vous l'ai expliqué, Tanger et le Maroc sont toujours présents dans mon esprit. D'ailleurs, je me rends au pays deux fois par an pour me ressourcer et surtout pour me relaxer, vu le rythme effréné de mon travail aux Etats-Unis. Il y a aussi ce besoin, toujours plus accru, d'être parmi les miens. L'idée de rentrer au Maroc vous taraude-t-elle ? Oui, depuis des années ! Mon objectif est de m'installer définitivement au Maroc, tout en continuant à voyager pour les besoins de mon travail. Cela fait 20 ans que je suis aux Etats-Unis, une période durant laquelle j'ai beaucoup réalisé. L'idée de rentrer chez moi me semble logique et raisonnable après tant d'années. Vous êtes sensible à ce sujet qu'est la jeunesse marocaine. Concrètement, avez-vous pensé à mettre en place des projets pour les initier à la réalisation, les encadrer ? Je suis invitée à la 11e édition du festival Mawazine, où j'animerai, au profit de jeunes, des ateliers sur la réalisation cinématographique. C'est la première fois que je participe à un festival dans mon pays. Cela me permettra certainement d'avoir une idée plus précise sur les jeunes Marocains et me donnera des idées pour des projets futurs. Sinon, le rêve qui me tient le plus à cœur, c'est celui de voir notre pays doté de grands studios comme à Hollywood. J'espère qu'il deviendra réalité un jour !