Il fallait s'y attendre. À l'approche de la ratification du protocole d'accord agricole entre le Maroc et l'Union européenne, que les observateurs attendent pour septembre prochain, les actions de lobbying des producteurs de fruits et légumes européens se font de plus en plus virulentes. Sans surprise, les exploitants français et espagnols se retrouvent encore en première ligne pour tacler le protocole. Mais un nouveau pays fait son entrée dans le club des opposants à l'accord: l'Italie. C'est ainsi que les associations des producteurs de fruits et légumes de ces trois pays ont fait front commun ces dernières semaines pour faire pression sur les membres du Parlement européen afin qu'ils votent contre la ratification de l'accord agricole. Des requêtes écrites, renseignant «sur les répercussions négatives directes de l'accord», auraient de fait été adressées à 250 parlementaires en juin dernier par ces professionnels. Qu'en sera-t-il après ? Il est sûr que le Parlement européen ne peut modifier aucun article du protocole, mais il est en revanche habilité à refuser l'accord dans sa globalité. Il serait difficile à ce stade de déterminer ce que sera l'impact des actions de lobbying concertées des producteurs européens. Néanmoins, en revenant au contenu même du protocole d'accord, plusieurs raisons plaident pour sa ratification tant les deux parties (Maroc et UE) se sont livrées à un jeu d'équilibre qui a au final garanti des avantages de part et d'autre. D'ailleurs, officiellement et officieusement, on se déclarait à Rabat comme à Bruxelles satisfait de l'issue des négociations. Il faut aussi dire que les choses ont pris leur temps. Entamées en février 2006 et après une dizaine de rounds, les négociations sur la libéralisation des échanges agricoles n'ont été bouclées que fin 2009. Trois ans avant que la libéralisation ne commence à jouer Pour l'essentiel, le Maroc a pu décrocher en premier lieu un allongement de la liste des produits locaux qui bénéficieront d'un libre accès au marché européen (haricots verts, salade, melon...). Le libre accès ne jouera néanmoins que quand les quotas d'exportation actuels de certains desdits produits seront atteints et au plus tard dans un délai de 3 ans après l'entrée en vigueur de l'accord. Mais certains produits continueront d'être soumis à des conditions spécifiques. D'une part, même après la libéralisation, certains fruits et légumes resteront soumis à des prix d'entrée (artichauts, oranges, raisins de table, abricot, pêches/nectarines, poires, pommes, cerises et citron). Et d'autre part une liste restreinte de produits comprenant la tomate, l'ail, la clémentine, la fraise, le concombre et la courgette reste exclue du dispositif de libéralisation. Ce dernier groupe de produits qui est susceptible de concurrencer la production européenne sera soumis à des calendriers. Mais en contrepartie, ses quotas d'exportation seront considérablement augmentés dans l'immédiat. Autrement dit si l'on considère les tomates, les quotas autorisés sur le marché européen augmenteront de 20.000t dès l'entrée en vigueur de l'accord et se renchériront de 32.000t dans quatre ans. Selon le même calendrier, les quantités de courgettes augmenteront de 30.000 et 36.000t et celles de concombre de 8.800 et 10.600t. Pour l'ail, la clémentine et la fraise, l'amélioration est respectivement de 500, 31.300 et 4.600 t, en deux temps. Ce sont ces dernières concessions qui alimentent aujourd'hui les efforts de lobbying des producteurs européens. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir les professionnels européens montés au créneau pour tacler l'accord d'échange: le syndicat agricole de France qui juge «la tomate de France trahie», le syndicat interprofessionnel de la fraise andalouse (Interfresa) qui anticipe «des effets néfastes sur les prix»... Un mal pour un bien Mais, si tant est que ces implications négatives se concrétisent, elles seraient à prendre comme un mal pour un bien. En effet, comme une négociation suppose un échange de bons procédés, des concessions ont été accordées à l'UE par le Maroc. La partie européenne obtient, en vertu de l'accord, une libéralisation totale immédiate de 45% des importations en provenance de l'UE et une période de transition pour la libéralisation complète de certains produits. Trois groupes de produits sont à distinguer. Le premier doit être libéralisé dès la signature de l'accord. Un deuxième groupe, à libéraliser sur 5 ans, concerne les produits pour lesquels la compétitivité marocaine est avérée. Le troisième groupe, à libéraliser sur 10 ans, est constitué de produits pour lesquels une longue période d'ajustement est nécessaire. Enfin, une liste de produits ne sera pas libéralisée mais fera l'objet d'un accès particulier : 19 groupes de produits sont ainsi concernés. Par ses concessions, notamment l'ouverture immédiate de certaines importations de source européenne, le Maroc cherche à stimuler la concurrence pour améliorer la compétitivité de certaines filières. Et on n'en est pas à ce bienfait près, car l'entrée en vigueur de l'accord d'échange devrait générer un gain immédiat net d'un milliard de dirhams selon les estimations du ministère de l'Agriculture, conséquence de l'augmentation des quotas d'importation et de la liberté d'accès acquise par les produits locaux. Toutes les retombées envisagées s'intègrent par ailleurs dans la stratégie nationale pour le décollage du secteur agricole, le Plan Maroc Vert, qui vise à réformer et renforcer l'activité. L'accord contribue également à décliner la stratégie agricole sur le volet du développement de l'offre exportable. Une nécessité d'autant plus affirmée que le rééquilibrage de la balance des échanges agricoles avec l'UE s'impose de plus en plus et que le déficit commercial a eu tendance à se creuser dangereusement ces dernières années.