C'est un fait des plus évidents, les politiciens et les économistes n'accordent que rarement leurs violons chaque fois qu'il s'agit d'apprécier l'impact d'une conjoncture sur les perspectives de développement. Le Maroc ne déroge point à la règle, et surtout pas en cette année où les divergences d'interprétation entre le gouvernement et les cercles économiques, sur la situation économique du pays, et les perspectives de croissance, n'ont jamais été aussi béantes. Alors que le tableau de bord de l'économie nationale ne cesse d'envoyer des signaux rouges et que tous les pronostics des principales institutions internationales en la matière incitent au pessimisme, le gouvernement Benkirane, galvanisé par son arrivée au pouvoir, continue d'afficher un optimisme qu'on pourrait supposer à «toute épreuve». La preuve, dans les prévisions de croissance pour 2012, telles que déclinées par la nouvelle loi de finances, et dans laquelle le gouvernement fait preuve d'un «optimisme démesuré» par rapport aux hypothèses de croissance national et international, établies par plusieurs institutions locales et internationales. Le gouvernement table sur une série de mesures qu'il compte mettre en œuvre dès cette année pour atténuer les déséquilibres, parfois, structurels de notre économie. C'est ce qu'a souligné le ministre de l'Economie et des finances Nizar Baraka et qu'a, également, réitéré son homologue en charge des Affaires générales du gouvernement et de la gouvernance, Najib Boulif, lors de la réunion ministérielle de l'Organisation de coopération et de développement économique, qui vient de s'achever à Paris. Pour Boulif, la promotion de la bonne gouvernance, le renforcement de la compétitivité nationale et l'accroissement de la productivité, érigés en chantiers prioritaires dans le programme de gouvernement, permettront de renverser la tendance. Sauf qu'il s'agit là de solutions à long terme, alors que les effets de la crise conjugués à la situation interne nécessitent des mesures urgentes, afin de juguler les risques de ralentissement de la croissance. Pas de solutions miracles Les opérateurs privés sur lesquels table l'Etat, en grande partie, restent assez sceptiques quand à l'effet réel des mesures annoncées, pour le moment par l'Etat. Si l'Etat veut mettre en place une stratégie d'exportation plus agressive, les acteurs économiques se veulent plus «réalistes». De nombreuses failles demeurent encore, notamment dans la difficulté à faire émerger une agro-industrie compétitive, qui permettrait d'encourager l'export des produits agricoles. C'est à juste titre ce que soutient Amine Berrada Sounni, président de la Fédération nationale de l'agroalimentaire (FENAGRI), qui explique que «pour assurer une bonne activité à l'export, il faut mettre en place une agro-industrie capable d'assurer une bonne offre exportable. Or, le grand problème de ce secteur reste l'accès aux matières premières». De plus, le système fiscal qui la régit reste également peu encourageant pour les agriculteurs marocains, qui sous peine d'être surtaxés, préféreraient éviter l'industrialisation de leur activité, note Amine Berrada Sounni. Pour boucler la boucle de ce cercle presque vicieux, les professionnels du secteur de l'énergie apportent également leur note de pessimisme, appelant l'Etat à envisager une «reconversion au gaz naturel». C'est en tout état de cause la vision de la Fédération de l'énergie, qui déplore la forte dépendance du Maroc en matière énergétique, ajoutant que «les énergies renouvelables sur lesquelles table l'Etat actuellement ne seraient, en aucun cas, la solution miracle». Pour l'heure, le déficit se creuse et les textes relatifs à ces différentes propositions sont encore en cours d'élaboration, à l'instar du nouveau code gazier. Echec du modèle de croissance À première vue donc, pas de solution miracle à court terme. Les efforts du gouvernement, dont les marges de manœuvre restent assez étroites, s'inscrivent dans une stratégie à moyen et long terme, et pour cette année, les regards seront, une fois de plus, tournés vers le ciel. Seule une bonne campagne agricole permettra de limiter les dégâts, comme le souligne l'économiste Najib Akesbi, ce qui ne dédouane en aucun cas l'équipe gouvernementale d'engager une véritable réforme du modèle économique marocain, en s'appuyant sur les erreurs du passé. Selon Hicham El Massaoui, maître de conférences et consultant en économie, il y a, à l'origine de la situation actuelle, dans laquelle se trouve l'économie nationale, «un modèle de croissance non viable». Un avis qui est largement partagé par plusieurs cercles économiques : «La dégradation des réserves du change est la conséquence inéluctable du modèle de croissance fondé sur la stimulation de la demande interne avec une économie en manque de productivité, et de compétitivité», relève t-il, avant de souligner que les mesures adoptées par les gouvernements successifs visant à stimuler la consommation des ménages, comme les baisses d'impôts, les subventions de compensation, ou le relèvement du SMIG, et des retraites, «ont d'abord profité à nos fournisseurs étrangers». Des propos qui rejoignent ceux de Najib Akesbi, qui fait constater que «cela ne sert à rien de soutenir la consommation, si la productivité ne suit pas». Pour l'économiste, cet effort va, au contraire, aggraver le déficit commercial, ajoutant cependant que «c'est bien de stimuler la demande intérieure si elle est orientée vers la consommation populaire, plutôt que vers celle des riches, qui est de nature à engendrer un surcroît d'importations». Une donne qui trouve son explication dans un constat simple. Selon El Massaoui, qui analyse le cas marocain pour l'association «Un monde libre» : «suite à l'injection de pouvoir d'achat, et face à l'absence ou à la non compétitivité des produits marocains, les ménages se tournant vers les produits étrangers ont fait exploser la facture des importations, qui a creusé le déficit du taux de couverture, en dépit d'une amélioration des exportations». Globalement, fait-il relever, «les importations se sont accrues en moyenne annuelle de 11% entre 2003 et 2010, contre 7% seulement pour les exportations». La prudence est de mise donc, quelle que soit l'approche visée, et les mesures annoncées. Les deux économistes s'accordent à reconnaître qu'il y a nécessité et urgence à repenser la stratégie de développement économique dans son ensemble. «C'est déplorable que le Maroc ne dispose plus de plan de développement économique», remarque Najib Akesbi, pour qui «le Maroc est en train de payer des erreurs stratégiques qui ne datent pas d'hier, et ce ne sont pas, non plus, des mesures qui permettront de renverser la tendance». Cela surtout que la loi des finances ne dispose que d'un horizon d'un an.