Pourquoi un documentaire sur Edmond Amran El Maleh ? Pourquoi y en a-t-il pas eu jusqu'à présent ? C'était une figure très importante de la scène intellectuelle et politique marocaine pendant presque un siècle. Donc, il y avait un manque à combler, et beaucoup de gens me le disent. Et parce qu'il le méritait bien aussi, c'était un homme qui personnifiait beaucoup de choses, Edmond était une incarnation de la culture marocaine et de son pluralisme, il était une incarnation du judaïsme aussi, tel que lui et moi le concevons, c-à-dire, une religion de culture et de sagesse, et non pas ce qu'on en a fait et ce que certains en font aujourd'hui. Extrait du documentaire Les 1.001 jours du Hajj Edmond de Simone Bitton. Il était aussi une incarnation de beaucoup de belles choses de notre histoire et de notre héritage, c'était un grand écrivain. Au Maroc, beaucoup de gens connaissent son nom et le respectent parce qu'il était un grand patriote et un résistant pour l'indépendance, tout le monde connait son hospitalité légendaire mais très peu de gens l'on lu, et moi, je voulais combler ce manque aussi. C'est pour cela que j'ai intégré dans ce film beaucoup d'extraits de ses textes, lus par des gens qui étaient proches de lui. Ca me tenait beaucoup à coeur de rapprocher le public de ce qui était l'essence de sa vie, de ce qui était au dessus de tout, à savoir : l'écriture. Pourquoi l'avoir appelé "Les mille et un jour du haj Edmond"? C'est un clin d'œil au titre de son livre emblématique : « Mille ans, un jour », Mille ans, cela renvoie au millénaire de la présence juive au Maroc, et un jour, c'est le jour et la rapidité avec laquelle nous sommes partis. C'est tout ce que nous avons été, tout ce que nous avons vécus, ce que nous avons créé avec nos frères musulmans ici, s'est évanouit très rapidement. Le départ a été très rapide et très traumatisant pour tout le monde, pour nous et pour ceux que nous avons laissés derrière nous. Mais comme je racontais l'histoire d'une vie, ...j'aimais la musicalité de ce titre. Et le « haj Edmond », parce que tous ses amis l'appelaient Haj, et c'était à la fois très dôle et très tendre, parce que bien évidemment, il n'était pas haj, il était juif mais tout le monde l'appelait Haj ! C'est surtout un terme d'affection dans les milieux populaires, pour nommer une personne âgée, sage et respectée, d'ailleurs, Edmond adorait qu'on l'appelait haj. Comment avez-vous fait le choix des intervenants, dix-sept en tout ? Le choix a été difficile à faire parce qu'Edmond avait des centaines d'amis, de vrais amis. C'est quelqu'un qui cultivait l'amitié, lui qui n'a jamais déjeuné seul en 93 ans. Il n'avait pas d'enfants et aimait s'entourer de jeunes talents : peintres, écrivains, scientifiques, chercheurs ... Du coup, même s'il est mort il y a 14 ans, à un âge très avancé, on a eu la chance de pouvoir discuter avec ses amis qui pour la plupart d'entre eux, sont encore parmi nous. Tous ceux à qui je m'adressais voulaient être dans le film, il y a une telle affection envers lui, il y a tellement d'anecdotes et les gens avaient tellement de choses à raconter et donc, j'ai eu des choix terribles à faire, parce qu'on ne peut mettre tout le monde dans un film. Inclure 17 intervenants n'était pas une mince affaire. On était obligé de faire un montage qui ressemble à une sorte de dentelle constituée de petits passages pour créer avec tous ces gens et les textes d'Edmond et mes propres mots. Une dentelle qui essaie de tisser 93 ans de vie, c'est beaucoup, et Edmond avait beaucoup de vies, des différentes dans des pays différents, et dans des disciplines différentes. Est-ce qu'il y a une part d'autobiographie dans le film ? Dans ce film, je dis « je », ce qui m'arrive rarement. C'est la première fois que j'utilise « je » de manière affirmée, et je lui parle. Ma voix off n'est pas informative, c'est la voix de quelqu'un qui s'adresse à son personnage et qui lui parle, qui l'interpelle, qui lui demande pardon pour certaines choses et qui lui donne des nouvelles de ce qui s'est passé après sa mort. C'est un film très personnel, très intime, tout en étant à son service, tout en étant son portrait et pas le mien. J'imagine que le montage n'a pas été facile à faire ? Oui mais en même temps, c'est peut-être ce que je préfère dans les étapes de fabrication d'un film, parce qu'en documentaire, c'est au montage que le film se crée vraiment. Au tournage, on fait un peu son marché, on remplit le couffin avec le plus de bonnes choses possibles, mais c'est au montage qu'on fait la recette, qu'on trouve la trame du récit, le rythme. Ce montage a été assez long, j'avais une très monteuse avec qui je m'entends très bien, qui a pris le temps de lire l'œuvre d'Edmond, et ça s'est très bien passé. Ça a pris plusieurs mois et c'était à la fois du bonheur, parce que c'était une grande joie pour moi de faire ce film sur mon ami et mon mentor, que je considère un peu comme un « maâlem ». C'était aussi une période très difficile, la guerre avait déjà commencé au Proche Orient et c'est une guerre atroce, la pire guerre que nous ayons vécu et Dieu sait que nous avons vécu déjà des moments très difficiles. J'avais du mal à me lever le matin et aller à la salle de montage parce que tout me paraissait dérisoire par rapport aux énormes souffrances qui était semées par cette guerre. Il fallait que je puise au plus profond de moi-même, pour trouver la force pour continuer le travail, et la voix d'Edmond étant d'autant plus nécessaire aujourd'hui, la voix d'un vrai juif, un juif de paix, de sagesse et d'engagement, un juif, qui comme moi, aurait été horrifié par ce qui se passe aujourd'hui. Votre film a été présenté en première mondiale ici à Marrakech. Ça été très émouvant pour vous ? Il était nécessaire que les premiers regards qui se portent sur ce film soient des regards marocains. Pour moi, c'était très important.