* Paru en juillet 2010, le rapport «Le Maroc a-t-il une stratégie de développement économique ? » a fait lobjet dun débat initié par lAssociation marocaine des sciences économiques. * Présenté par léconomiste Najib Akesbi, ce travail du Cercle danalyse économique a été décortiqué par le professeur Noureddine El Aoufi en présence duniversitaires-chercheurs. * Le débat, qui opposait des idées et des courants différents, était intéressant. * Un exercice salutaire à refaire. En juillet dernier, le Cercle danalyse économique (CAE) de la Fondation Abderrahim Bouabid, présentait son rapport de recherche et danalyse de lexistence ou non dune stratégie de développement économique au Maroc. Le travail danalyse qui a nécessité huit mois defforts, nest pas resté sans suite. En effet, il a suscité lintérêt déconomistes, duniversitaires mais aussi celui des étudiants. Dailleurs, un débat houleux sur ce rapport a eu lieu la semaine dernière à la médiathèque de la Fondation Mohammed V. En effet, Najib Akesbi, universitaire et membre du CAE, a été linvité du CAFECO pour la présentation des résultats de ce rapport et pour en débattre avec lassistance. Lieu de débat sur les questions relatives à léconomie nationale, à ses dynamiques, à ses problèmes, à ses enjeux et à ses perspectives, le CAFECO a fait salle comble. Le public na pas été déçu tant par la présentation de Najib Akesbi, que par la modération du Professeur Noureddine El Aoufi, de lUniversité Mohammed V- Agdal. Le rapport analyse les fondements de la croissance économique marocaine, les obstacles à lémergence dune telle stratégie et, surtout, ce rapport, sans vouloir porter de jugement, a proposé quelques pistes de réflexion pour une croissance meilleure. Son principal objectif est de stimuler la discussion et le débat sur les grands sujets ayant trait à la politique économique du Maroc, en adoptant une perspective et un éclairage différents sur la performance économique du pays. Pari réussi puisque la présentation de ce rapport, en présence dune pléthore duniversitaires, a donné lieu à un long et passionnant débat sur les principaux points rapportés et sur lapproche adoptée par les initiateurs de ce rapport. «Notre ambition est claire. On veut quen lespace dune génération le Maroc devienne un pays classé parmi les pays quon considère à revenu intermédiaire, mais dans la tranche supérieure. Et, en fonction de cela on dit : voilà le taux de croissance quil faudrait réaliser en moyenne chaque année, pour pouvoir atteindre ce revenu», souligne Akesbi, commentant la première partie de sa présentation. Le travail de recherche se réclame de deux postulats. Le premier est que le Maroc est un pays qui doit avoir une ambition forte en matière de développement : le but des politiques économiques mises en ?uvre doit être de réussir le décollage économique du Maroc de manière à lui permettre, en lespace dune génération, de se hisser au rang dun pays à revenu intermédiaire élevé et à fort niveau de développement humain. Le deuxième est que lévaluation des progrès et des déficiences doit se faire à partir dune base intellectuelle honnête et non biaisée. Il est important de se comparer systématiquement aux concurrents les plus dynamiques, pour mesurer ses progrès, et de prendre un point de référence adéquat. Loin dêtre nihiliste, le rapport souligne le fait que le Maroc a réalisé dimportants progrès économiques depuis la fin des années 90. Pour Noureddine El Aoufi, la question à laquelle tente de répondre ce rapport doit être posée différemment. «En tant quUniversitaire, jaurais plutôt posé la question suivante : quelle stratégie de développement économique au Maroc et essayer danalyser les données», souligne-t-il. Et tout en saluant le travail du Cercle, il a néanmoins regretté que dans son argumentaire, ce rapport se base sur des travaux et des références étrangères, soulignant quil existe dimportants travaux de recherche nationaux en la matière. Il a également affirmé quon ne peut pas soutenir une idée en se basant sur les données du FMI ou autres organismes qui sont souvent décriés au niveau national. Mais, il a salué une telle initiative. Cette dernière semble avoir atteint son but, à savoir un débat franc et constructif sur létat de léconomie marocaine actuellement. «Nous sommes convaincus que la critique constructive et le débat didées sur la base dune évaluation sans complaisance de la réalité, sont essentiels à la mise en uvre dune stratégie de développement efficace», estime-t-on du côté du CAE. Une analyse irrévérencieuse, mais pertinente Le rapport, qui propose une analyse fine de la croissance économique marocaine sur la dernière décennie, montre que cette croissance est intervenue dans une conjoncture internationale favorable et avec laide de conditions pluviométriques clémentes. Malheureusement, le Maroc na pas profité de cette conjoncture favorable comme il aurait dû le faire, ses voisins et ses concurrents directs ayant quasiment tous cru à un meilleur rythme que le nôtre. Lanalyse montre également que la volatilité de la croissance marocaine (même si elle sest atténuée) demeure forte. Et même si le niveau des investissements directs étrangers sest sensiblement amélioré, ces derniers restent néanmoins concentrés dans quelques secteurs et sont peu représentatifs dune quelconque meilleure attractivité du pays puisquil y a eu une forte corrélation des IDE avec la conjoncture internationale qui était favorable. Et encore une fois, le Maroc a fait moins bien que ses concurrents. Lautre élément que démontre cette première partie du rapport est que la productivité et les gains de productivité du Maroc demeurent très faibles. Sans oublier le déficit de la balance commerciale qui atteint des niveaux alarmants du fait, justement, dun déficit de compétitivité. Enfin, le Maroc régresse ou stagne dans la plupart des classements internationaux. Quant à lautre argument souvent érigé comme indicateur de lexistence dune stratégie et que le rapport met en brèche rapidement, cest le dynamisme du triptyque «tourisme immobilier infrastructures». Ainsi, si pour les économistes le dynamisme du tourisme est à encourager et linvestissement raisonne dans des infrastructures utiles à développer, il nen demeure pas moins quaucun argument économique sérieux ne justifie den faire lalpha et loméga de la croissance économique. Najib Akesbi est clair la-dessus, le Maroc gagnerait à ne pas mettre tous ses ufs dans un seul panier. Quant au secteur de limmobilier résidentiel, il sagit là dun secteur ne générant pas dexternalités économiques globalement positives. «Depuis le début des années 2000, nous navons pas réalisé de performances particulièrement exceptionnelles. Nous avons bénéficié, comme beaucoup, dune conjoncture internationale favorable et en avons profité, mais pas mieux que nos concurrents, loin sen faut. Le chemin à parcourir reste long : notre croissance demeure beaucoup trop faible, et nos indicateurs de développement humain insuffisants», conclut le rapport. Lanalphabétisme économique fait débat La deuxième partie du rapport élaboré par le CAE de la Fondation Abderrahim Bouabid, sest attelée à suivre les modèles danalyse économique dits de recherche des «déterminants profonds de la croissance» (institutions, géographie, intégration dans léconomie mondiale). Dans le cas du Maroc, deux métacontraintes ont été identifiées par ce rapport. La première est celle de léconomie politique du pays. Il convient tout dabord de reconnaître quil ny a pas de relation empirique entre démocratie/autocratie et croissance. Pour le Maroc, après analyse, le rapport conclut que lorganisation politique est considérablement défavorable au développement économique, car le pays est bloqué dans un équilibre politique stable de bas niveau qui ne permet de bénéficier pleinement ni des avantages économiques de la démocratie, ni de ceux de lautocratie. Le rapport relève que le système électoral marocain favorise des coalitions hétéroclites au détriment de la cohérence. Larchitecture gouvernementale est jugée inadéquate. Elle semble régie par deux contraintes, à savoir le mimétisme français et les impératifs de répartition des postes gouvernementaux. La multiplicité dacteurs publics non gouvernementaux aux prérogatives étendues et échappant au contrôle gouvernemental et parlementaire, est un autre élément handicapant cité dans le rapport. Comment donc lever cette métacontrainte déconomie politique ? Pour les rédacteurs du rapport, seule une marche accélérée vers une démocratisation complète peut apporter un début de solution. «Bien entendu, nous ne pensons pas quune démocratisation complète serait suffisante en soi pour transformer le pays en tigre nord-africain. Notre raisonnement est simplement le suivant : il faut un système de gouvernance économique qui permette lagrégation des préférences (quelles doivent être nos priorités ?), larbitrage entre des intérêts économiques parfois divergents (subventionner un producteur agricole ou un consommateur) et qui donne une légitimité claire à laction publique, surtout lorsque cela implique des transformations structurelles fortes et la lutte contre léconomie de rente. Cest là tout lintérêt économique dun système démocratique qui permet datteindre ces objectifs de manière pérenne». La seconde métacontrainte identifiée est celle définie sous le vocable générique danalphabétisme économique. Celui-ci se caractérise par une déconsidération des apports de la science économique : au Maroc, celle-ci nest pas considérée à sa juste valeur. A ce stade, le modérateur, le professeur Noureddine El Aoufi, a souligné que la terminologie était un peu forte. Mais Akesbi nen démord pas pour autant. Dans le rapport, on estime que les conséquences fâcheuses de cette ignorance économique se traduisent par ladoption de politiques publiques vouées davance à léchec (Moukawalati ou lillusion de créer des entrepreneurs ex nihilo, le premier Plan Emergence 1.0 sur des a priori économiques contestables, limportance démesurée accordée à linfrastructure, etc). «La tâche de conception, délaboration de choix des options stratégiques, relève de la responsabilité du gouvernement. Puisquen principe un gouvernement est élu justement pour assurer ces missions. Si un gouvernement a obtenu la légitimité des urnes, cest précisément pour faire des choix et conduire une politique déterminée. Maintenant, si les instances gouvernementales doivent être soutenues par des expertises ponctuelles, étrangères ou nationales, sur des points particuliers, cela ne pose aucun problème pourvu quil y ait la compétence ! La dérive actuelle est que «lexpertise» devient elle-même linstance délaboration stratégique. Elle se substitue donc au gouvernement au lieu de se contenter de le «soutenir» par son savoir-faire», estime Najib Akesbi qui déplore que le travail de conception dune stratégie donnée soit légué à des cabinets, alors que cest le rôle des ministères. Lautre point critiqué dans ce rapport est la politique de libre-échange estimée naïve et inefficace, dont il était possible de prévoir léchec puisque lorsquil a négocié ces accords, le Maroc avait lavantage de lexpérience cumulée de beaucoup de pays émergents. Le rapport pointe aussi du doigt la cohérence entre les différents plans sectoriels. « Elle doit être assurée en amont et en aval. En amont, lélaboration dun plan sectoriel doit se faire au niveau du gouvernement qui doit en assurer la cohérence avec les autres plans sectoriels. Parce que, si le gouvernement est à la base et en principe cohérent, il doit produire des politiques cohérentes. Et cest de la responsabilité politique du gouvernement dinscrire ces plans dans une vision stratégique globale. Pour ce qui est du suivi des plans et de leur exécution, ils gagneraient à être faits par une instance indépendante qui rendrait compte au gouvernement et au Parlement, aidant notamment ce dernier à jouer son rôle de contrôle de laction gouvernementale », défend Akesbi. Quelques pistes de réflexion Dans une démarche de critique constructive, le rapport dresse un certain nombre de réflexions pour un véritable décollage économique et social. «Personne aujourdhui ne peut prétendre détenir la clé du développement économique du Maroc, car cette clé est détenue collectivement par les Marocains, leur classe politique et leurs dirigeants économiques et administratifs», souligne-t-on au niveau du Cercle. A minima pour commencer, il serait possible dexiger la transparence sur toutes les politiques mises en uvre et denvisager que les responsables gouvernementaux exercent complètement leurs prérogatives. Lautre piste proposée est dimaginer un processus formel permettant dorganiser des débats sur les grandes orientations économiques avant quelles ne soient figées dans un contrat-programme signé devant le Roi. Le rapport conclut quil faut exiger surtout des dirigeants économiques dinclure des indicateurs dimpact appropriés et des outils dévaluation rigoureux de leurs politiques