Ramadan arrive dans deux semaines et la question de la productivité au travail va encore se poser avec acuité. Ce mois sacré est en effet considéré comme une période où l'efficacité professionnelle tombe au plus bas. Personne ne peut contester cette réalité. Des chercheurs ont démontré que le travail, durant ce mois, est plus difficile pour deux raisons au moins : le manque patent de sommeil et les habitudes alimentaires. Les professionnels de la santé savent en effet que les troubles gastro-intestinaux connaissent un pic durant ce mois. Quant au manque du sommeil, une léthargie générale se saisit du pays. Cette ambiance spéciale crée ce qu'on pourrait appeler «une culture ramadanesque» caractérisée par une baisse de l'activité professionnelle, une augmentation de la consommation et des rites sociologiques spécifiques qui se manifestent par des veillées tardives, à telle enseigne que Ramadan et Travail finissent par devenir de parfaits antonymes. Il y a manifestement une confusion entre Ramadan comme injonction religieuse et Ramadan en tant que phénomène social et culturel. J'ai ainsi lu que le jeûne serait fondamentalement incompatible avec les exigences du monde moderne. Il s'agit là d'un vieux débat entre la modernité et la foi qui se nourrit d'une pensée «scientifique» du XIXe siècle, spécifiquement française et dont la foi dans la science avait un peu hâtivement cru triompher de la foi religieuse. L'histoire montrera par la suite que la foi est loin d'être ce vide de connaissances que la science comblera fatalement, et si la France semble encore fâchée avec le religieux, beaucoup de sociétés occidentales ne sont pas dans le même état d'esprit. On est encore étonné de constater à quel point les présidents américains n'hésitent pas à afficher leur dévotion. Ils en font même un argument politique. Le travail sacrifié toute l'année Le fait que cette année, Ramadan tombe en plein été, et donc en dehors de la période de forte productivité, devrait en principe tempérer les critiques, mais les discours sur ce mois sacré sont si convenus qu'ils trouvent toujours une raison d'insatisfaction. Quand Ramadan ne gâche pas le travail, il gâche les vacances. En fait, il tombe toujours mal. Je découvre parfois avec stupéfaction l'amour qu'ont les gens pour le travail quand il n'est pas accessible. Les chômeurs mènent des combats quotidiens pour accéder à des fonctions que les fonctionnaires en poste désertent justement. De même, on ne parle jamais autant de la productivité qu'à la veille du Ramadan, partant, notre pays est loin d'être un modèle de l'acharnement au travail. «Stakhanov n'est pas marocain». Tout au long de l'année, et sans la complicité du mois sacré, les fonctionnaires, les salariés et les ouvriers, chacun de son côté, peinent à se mettre au travail, à sortir de la torpeur de la veille, à retrouver le courage nécessaire pour entamer un dossier qui trône sur le bureau depuis des mois. Il y en a même qui se reposent de leur repos et ont, parait-il, besoin d'un moment de répit pour démarrer en douceur, après des vacances ou un week-end. Aussi, la baisse de productivité pendant le Ramadan ne doit pas nous choquer, outre mesure, car ni un labeur proverbial, ni un amour gnomique du travail ne sont réellement sacrifiés. L'opportunité du Ramadan Il y a des dérives et, on pourrait y remédier si on se mettait d'accord sur la valeur «culturelle» de nos comportements pendant ce mois sacré. Nous avons conçu une ambiance «spécial ramadan», où le travail est exclu et où nous passons notre journée à tromper la faim et le soir à nous venger de la privation subie. Dans les entreprises, surtout concernant le management du personnel, il faut apprendre à adopter une attitude positive vis-à-vis de ce mois, pour pouvoir en faire un moment de communication et de renforcement des équipes. Tous les hommes politiques occidentaux savent aujourd'hui, que partager le Ftour avec des citoyens musulmans, s'inscrit dans les démarches politiques basiques pour communiquer et donner une image favorable de soi. Même Bush n'y a pas échappé. Certaines entreprises savent comment faire de cet événement, un outil de communication interne. Organiser des ftours collectifs en est un exemple, mais il n'est pas le seul. Bien qu'elles soient encore rares, ces entreprises existent. Elles ont à leur tête des responsables qui savent prendre suffisamment de recul pour ne pas tomber dans des clichés trop faciles, et apprécient l'événement à sa juste valeur. Une autre leçon, dans le même sens, nous vient de l'occident, parce que les musulmans y sont minoritaires, c'est forcément le mois de Ramadan qui se plie à la contrainte du travail et non l'inverse. Cela ne veut nullement dire qu'il y a un refus d'adaptation des horaires pour permettre aux musulmans de rompre le jeûne. Vous serez certainement étonnés par le nombre de documents qui circulent sur internet à l'intention des RH pour leur expliquer les attitudes à avoir et celles qu'il faudrait bannir pendant ce mois par respect pour leurs collègues musulmans. Cela montre, de manière évidente, qu'il y a une gestion intelligente à faire de cet événement annuel. Dans nos pays majoritairement musulmans, il y a un abus dans la mesure où l'on considère comme une fatalité, des comportements qui n'ont pas lieu d'être parce qu'ils ne se justifient pas d'un point de vue religieux. L'aménagement du temps cache de fausses considérations religieuses, une réelle justification de l'inertie. Il est temps de jeter un regard serein et sans concession sur le temps du travail pendant ce mois où le religieux devient un prétexte pour tuer le travail. Ramadan est une prière, et la prière est indissociable du travail.