La première Coupe du monde de football à se dérouler sur le continent africain est désormais terminée... En termes sonores, cette édition aura révélé aux oreilles fragiles du monde entier le terrible pouvoir de nuisance de la vuvuzela, la trompette sud-africaine qui rend sourd. Sportivement, et en dépit des pronostics de nombreux observateurs plus ou moins avisés, elle a consacré la domination écrasante de l'Europe occidentale sur le football mondial. Si l'on peut quelquefois tracer des parallèles entre résultats sportifs et économiques, il faut dire que cette fois-ci, le bilan tranche singulièrement avec la situation économique actuelle des régions du monde. L'Espagne, et l'Europe en général, si elles ont incontestablement dominé le tournoi, sont en proie à la crise économique et budgétaire la plus importante depuis la création de l'Union européenne, et peinent à s'en sortir. Quant aux nouvelles puissances économiques émergentes, elles ont surtout brillé par leur incapacité à se surpasser dans les phases critiques. Pourtant, si cette Coupe du monde n'a pas permis aux équipes africaines de briller sur leurs terres autant qu'elles l'auraient voulu, il est clair qu'elle a contribué à mettre plus en évidence encore l'émergence ces dernières années de nouveaux marchés que le monde de la finance appelle «les marchés frontières». Cette expression, largement diffusée par les parutions et les études américaines, est désormais consacrée pour désigner tous les pays auparavant inaccessibles et qui sont à l'heure actuelle aux limites des possibilités d'investissement. L'origine de l'expression est assez peu flatteuse pour les pays en question, puisqu'elle est probablement à rechercher du côté de la légende américaine de la conquête de l'Ouest, pendant laquelle les colons repoussaient petit à petit la frontière des terres connues ou occupées par les indiens avant de s'y établir... Autrement dit, ces marchés sont petits, très peu liquides, et sont considérés comme le Far West de la planète financière. Selon les définitions, ils sont entre une vingtaine et une cinquantaine, répartis entre Afrique, Moyen-Orient, Amérique latine ou Asie centrale, et ont grandi dans l'ombre des «grands» pays émergents que sont Le Brésil, la Russie, l'Inde ou la Chine, également connus sous l'appellation «BRIC». Les gérants de fonds du monde entier sont de plus en plus attirés par les mutations socio-économiques de ces pays, qui connaissent pour beaucoup une stabilité politique croissante et une amélioration des règles de management de leurs compagnies. S'ils affichent des perspectives de croissance à long terme tout aussi attrayantes que leurs grands voisins des BRIC, ils bénéficient en revanche de niveaux de valorisation beaucoup plus raisonnables. En termes de rentabilité, les chiffres sont éloquents : alors que la plupart des marchés actions évoluent toujours en dessous de leurs plus hauts niveaux atteints en 2007, certains, six pour être précis, ont inversé la tendance. La Tunisie, qui a vu son indice croître de plus de 80% depuis 2007, et de 15% depuis le début de l'année affiche ainsi la meilleure performance indicielle du monde. Le Sri Lanka est également en hausse de 53% depuis 2007 et de 36% en 2010. Les quatre autres marchés en question sont ceux du Venezuela, de la Colombie et du Chili, pays d'Amérique latine riches en matières premières, et l'Indonésie. Ces résultats sont d'autant plus marquants que les indices des pays développés ont marqué le pas pendant la même période et peinent à sortir de la crise. À titre d'exemple, le Dow Jones a enregistré une perte de près de 30% depuis son plus haut de 2007. Ce contraste représente parfaitement à quel point les investisseurs ont favorisé les marchés émergents dans leurs investissements, et leur appétit croissant pour les marchés frontières. Selon le bureau de l'Emerging Portfolio Fund Research, les fonds émergents ont vu leurs encours grossir de 17,3 milliards de dollars depuis le début de l'année, contre 780 millions de dollars destinés aux marchés frontières. Ce flot quasi ininterrompu de nouveaux fonds marque probablement un changement structurel dans la répartition des investissements à l'international. Parmi les régions les plus recherchées se trouve évidemment l'Afrique, qui bénéficie d'une croissance de 5% en moyenne sur les dernières années, et qui a échappé à la récession en 2009. Les économies africaines, quoique très inégales, apparaissent mieux gérées qu'auparavant aux yeux des investisseurs. Les populations sont jeunes, et des classes moyennes commencent à émerger. Surtout, de nombreux pays ont bénéficié de la demande toujours croissante de la Chine et de l'Inde pour leurs matières premières. À l'exception de l'Afrique du Sud et de l'Egypte, et dans une moindre mesure du Maroc, déjà intégrés dans les indices émergents internationaux, les Bourses des marchés frontières intéressent fortement. La Bourse du Nigeria pèse désormais près de 30 milliards de dollars, contre 11 milliards pour le Kenya ou 9 milliards pour la Tunisie. À titre de comparaison, le Chine pèse 2.700 milliards et le Maroc 64 milliards de dollars. Les autres zones ne sont pas en reste : si la crise de la dette que Dubaï a connue fin 2009 a fait fuir de nombreux investisseurs, la région reste toutefois attrayante malgré des performances boursières en demi-teinte depuis le début de l'année. Le principal argument positif est que les investisseurs étrangers ne représentent qu'une part infime des porteurs d'actions en Arabie Saoudite, contre plus de 70% en Turquie, pilier des investissements émergents dans la région. Cette situation devrait évoluer favorablement en faveur des pays du Golfe en cas d'inclusion probable dans les indices de pays émergents internationaux comme le très suivi MSCI de Morgan Stanley. Beaucoup moins médiatiques sont les marchés frontières en Asie (Sri Lanka, Vietnam...) mais ils arrivent néanmoins à tirer leur épingle du jeu, à l'instar de l'Indonésie, qui bénéficie de très importantes ressources naturelles et qui est le troisième pays le plus peuplé d'Asie... Et ils n'étaient même pas à la Coupe du monde!