Depuis le 2 juillet, les murs de Casablanca ne sont plus les mêmes. Et pour cause, le festival Sbagha a envoyé quelques points stratégiques de la ville pour y laisser des traces, les traces d'une vision artistique et d'un parcours d'humain au supplément d'âme. Zoom sur la sixième édition d'un évènement culturel qui marque. Le tourbillon casablancais a été rattrapé par un vent de douceur. Celui des fresques murales désormais tant attendus, celles de Sbagha Bagha qui redonne de l'âme à la ville avec à chaque fois des tableaux grandeurs nature dans toute la ville. Un programme musclé avec quatre belles fresques murales du 8 au 18 juillet, une résidence artistique Bin w Bin du 10 au 18 juillet, un mur collectif les 11 et 12 juillet et une Battle Graffiti les 13 et 14 juillet. Le tout sublimé par une exposition inaugurale dans la même veine, l'exposition Art d'Echo des deux artistes Antonyo Marest et Mehdi Zemouri, visible à la Villa des arts jusqu'au 25 août. Aventure murale pluridisciplinaire «Sbagha Bagha est un festival d'art plus spécialisé dans le Street Art mais on a l'ambition de devenir un véritable festival d'arts graphiques. On intègre des éléments d'arts graphiques», confie Salah Melouli, le directeur artistique de l'évènement qui réfléchit, chaque année, à une ligne artistique générale. «Et c'est en fonction de cette ligne directrice que l'on choisit les artistes et que l'on base notre programmation. À chaque fois, quatre, cinq artistes répondent présents et on travaille avec eux dans le détail pour les fresques murales principales», continue celui qui supervise les artistes et l'art. Depuis 6 ans, l'évènement donne une belle visibilité à des artistes parfois incompris et à une discipline oubliée voire dénigrée: «la base du muralisme, c'est le dessin. Les artistes muralistes sont des dessinateurs et beaucoup sont issus de la bande dessinée. Il y a un collectif autour d'une Bande dessinée marocaine. Le passage était cohérent et logique, on lui a juste donné un cadre. Les artistes qui ont participé ont déjà leur BD, ils maîtrisent tout cela. On leur a juste donné les moyens de le faire et de sortir cette envie enfouie de faire un mur». En effet, lors d'une résidence artistique, en parallèle au travail sur les murs, un mur a été offert à trois artistes bédéistes marocains pour s'essayer au muralisme. L'objectif : développer cette scène marocaine en pleine ébullition. «La scène marocaine est toute nouvelle. Il y a peu d'artistes. En même temps, il s'agit d'une discipline nouvelle, même dans le monde. On a vraiment vu son émergence, il y a douzaine d'années. Le graffiti est ancien mais le muralisme, c'est nouveau. Cela demande beaucoup de logistique, un cadre, des autorisations. Des choses que les artistes, seuls, ne peuvent pas s'occuper». En effet, le festival se veut intermédiaire entre le pouvoir de création et le pouvoir d'exécution. Sbagha Bagha est un facilitateur de créativité qui permet à des artistes du monde de s'exprimer au Maroc et à des artistes marocain de se révéler au monde. «Il y a pas mal de festivals qui commencent à se développer. Pour le moment, il y a une scène composée de plusieurs artistes mais les artistes muralistes ne sont pas assez pour parler de réelle scène. Il y a beaucoup de potentiel au Maroc, je pense que cela va se développer dans les années à venir. Le festival est là pour ça, leur donner envie de développer ce talent, les accompagner, leur montrer, leur permettre d'échanger, de rencontrer». Les murs ont des yeux et des oreilles Si les murs ont des oreilles, les murs de Sbagha Bagha reproduisent tout ce qui s'entend en tout ce qui peut se voir. La majorité des artistes présents ont une idée spécifique de ce qu'ils vont créer certes mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que le lieu et la ville vont leur inspirer. Si le thème est autour de l'univers de la bande dessinée, l'italien Francesco Camillo Giorgino, connu sous le nom de Millo, est allé puiser dans son univers distinct entre noir et blanc et personnages atypiques proches du manga, d'une dimension émotionnelle rare. L'artiste ne peut s'empêcher de s'inspirer des cartons des magasins de Derb Omar qui l'entoure et propose deux personnages tout droit sortir d'un univers à la fois enfantin et poétique dans un carton «fragile». Une fresque de toute beauté qui se fait presque oublier en allant découvrir les autres bijoux. Si le discret NDZW propose une pièce de l'histoire qu'il a proposé de construire, il propose un personnage de bande dessinée digne de l'ambiance soviétique dans laquelle il a bercé en étant polonais. L'artiste mystérieux écrit à Casablanca une partie de son histoire, d'une bande dessinée murale qu'il raconte dans les murs du monde. Quant à l'espagnol DEIH, il propose encore une fois une sorte de héros Robot qui vient presque sauver Zerktouni. Le choix des couleurs est tout simplement bluffant. Quant au Marocain, Majid El Bahar, il décide de rendre hommage à la femme berbère en misant sur asymétrie et un jeu subtil sur les proportions. Un visage décomposé qui regarde la ville et ses habitants de partout, de toute beauté. Les murs se suivent et ne se ressemblent pas. Si la ville et ses habitants sont des fois sceptiques quant à la discipline, ils sont tout de suite convaincus en voyant le résultat. Les artistes de Sbagha ont eu ce pouvoir, s'adapter à la population et leur proposer des œuvres auxquelles ils peuvent s'identifier, desquelles ils peuvent être fiers.