À l'ère du gouvernement branché «priorités sociales », la santé, la justice, l'éducation... sont érigés en chantiers clés du développement national. Il devient donc évident que l'importance du rôle que la société civile est amenée à jouer dans ce schéma devient prépondérante. Cela ramène à une question fondamentale qui est celle de la qualification des ONG mais aussi à celle l'efficacité de leur démarche vis-à-vis des couches sociales auxquelles elles s'adressent. Les associations ont elles les moyens d'agir efficacement et de convaincre? Leurs actions sont-elles menées efficacement? Les ressources humaines qu'elles emploient a-t-elles les spécificités requises ? Des enjeux et des blocages Il va sans dire que l'efficacité d'une association est corrélée à sa force de frappe et à la démarche de ses dirigeants et de ses agents sur le terrain. Le Haut commissariat au plan (HCP) a établi récemment un état des lieux selon lequel près de 5.000 associations sont créées chaque année au Maroc. Les chercheurs du HCP ont passé au crible les réalités de ces entités pour en sonder les lacunes mais aussi pour en évaluer les enjeux. Premier constat: Le tissu associatif national compte près de 62.000 associations, disposant d'un budget cumulé avoisinant les 8,8 milliards de DH. Pourtant, celles-ci sont souvent perçues comme des petites pourvoyeuses d'emplois, car seulement 31,4% d'entre-elles sont classifiées au rang «d'entreprises employeuses». C'est une situation paradoxale, puisque le secteur génère tout de même plus de 33.846 emplois rémunérés à temps plein, ce qui équivaut à 0,9% de l'emploi global au Maroc. Cet état de fait renvoie directement vers la situation de l'emploi dans ce secteur jusqu'ici dominé par le volontariat. Aussi, et au vu du contexte national, la professionalisation de l'activité des institutions à but non lucratif est-elle devenue une nécessité. L'analyse du HCP sous-entend que la majorité des militants associatifs (bénévoles ou rémunérés) n'ont jamais fait l'objet d'une formation adaptée aux métiers qu'ils exercent. L'inexistence de formations spécifiques à leurs fonctions est en cause, conjuguée à la précarité des moyens financiers et surtout à un management «non rodé». Pour professionaliser le milieu associatif, donc, en passant par l'augmentation de la proportion du nombre de salariés par rapport au nombre de bénévoles, il faut savoir que cela «demande un travail de long haleine», estime Najat Anwar, présidente de l'association «Ne touche pas à mon enfant». Actuellement, le nombre moyen de salariés par association ne dépasse pas trois, relève notamment le HCP dans son étude, qui poursuit que ces salariés sont, très souvent, recrutés à titre provisoire. En d'autres termes, leur existence au sein de l'association dépend étroitement des revenus financiers de cette dernière. Pour Najat Anwar, «le financement demeure le premier obstacle vers la professionnalisation du secteur». Selon les données livrées par le HCP, une association sur cinq fonctionne avec un budget annuel de moins de 5.000 DH, une sur trois avec moins de 10.000 DH et seules 5,4% disposent d'un budget de plus de 500.000 DH annuellement. De plus, les associations dont le budget dépasse un million de DH ne représentent que 2,5% du tissu associatif, mais en concentrent 63% des ressources. En revanche, 80% des associations disposent de ressources annuelles ne dépassant pas 100.000 DH et se partagent moins de 10% de l'ensemble des ressources du tissu associatif. Pour s'assurer du personnel compétent en matière associative, ces entités ont certes l'option de former elles-mêmes leurs ressources humaines. Or, même cela pose un problème: «Comment penser à la formation, alors que nous n'avons pas encore les revenus nécessaires pour assurer les salaires des collaborateurs?», estime Najat Anwar. Pour autant, cela n'est pas le cas au sein de toutes les associations. En ce sens que certaines d'entre elles, dotées d'une assise financière plus confortable, déploient tout de même une stratégie de recrutement en bonne et due forme et qui s'articule de la même manière qu'une entreprise structurée. Sur ce registre, l'association «L'heure joyeuse» figure en bon plan. Selon le management de cette association, «le manque de formation dans le métier bloque le développement de tout le secteur». Néanmoins, il semble que des solutions ont déjà commencé à être ébauchées. «Dernièrement, l'INDH, les universités, et des associations ont lancé certaines formations pour accompagner cette dynamique», commente Leila Benhima Chérif, présidente de l'association «L'heure joyeuse». Bémol: ces formations ne sont pas de la qualité voulue, estime Benhima Chérif. Autrement dit, les conceptions de ces formations ne sont pas basées sur un travail de terrain. Elles ne font pas non plus appel au savoir-faire des experts du métier. Le résultat en est qu'«aujourd'hui, nous ne réussissons pas à trouver des compétences qui peuvent occuper les postes que nous proposons». Cela est valable aussi bien pour les métiers techniques que pour ceux de terrain. En effet, au Maroc, il n'y a aucune formation qui porte sur la gestion ou les finances des institutions à but non lucratif. Pour le personnel du terrain, le peu de formations qui existent reste inadéquat avec la réalité du métier. Pour combler ce manque, les associations ayant une assise financière solide, se prennent en main toutes seules, en assurant des sessions de formation à leurs collaborateurs. Les difficultés des associations ne s'arrêtent pas là. L'attractivité du secteur, très peu rémunérateur, et peu porteur d'évolution professionnelle, reste un sérieux handicap. À cela s'ajoute «la nécessité de trouver, également, des personnes convaincues de ce métier presque ingrat», explique Mehdi Bensaid, président de l'association des jeunes démocrates. «Le recrutement dans ce type de métiers ne doit pas se baser sur la formation, mais plutôt sur les convictions et les croyances du militant» , fait remarquer, en guise de recommandation, Abdessamad Oussayeh, président de l'association des jeunes contre le sida. Cartographie de l'enquête du HCP Pour pallier au manque d'informations sur le secteur des institutions sans but lucratif (ISBL), le Haut-commissariat au Plan (HCP) a réalisé en 2009, une enquête nationale dont l'objectif principal est d'identifier les obstacles qui entravent leur développement. Cette étude a été réalisée sur la base d'un échantillon de 7.274 associations (5.542 comme échantillon de base et 1.732 comme échantillon de réserve), déterminé à partir d'une base contenant 51.637 unités. A signaler que sur l'échantillon ainsi arrêté, il a été constaté que 634 institutions étaient en cessation d'activité et 389 étaient hors champ. Dixit... La grande richesse du secteur associatif, ce sont ses ressources humaines. Actuellement, les ISBL( Institutions sans but lucratif) travaillent, notamment, avec les bénévoles. A mon avis, c'est une très bonne chose, car ce métier demande des capacités particulières, des croyances et des convictions. Du coup, la professionnalisation du secteur, dans le sens où le recrutement ne va concerner que les personnes formées pour cela, ne va que faire reculer ce secteur. Certes la formation est importante, car elle permet d'apporter un plus, mais à mon sens, la volonté de la recrue, et son amour du métier priment sur tous les diplômes. Mehdi Bensaid, Président de l'association des jeunes démocrates Certes, il y a un réel manque au niveau des ressources humaines dans le secteur des institutions sans but lucratif, mais cela n'est pas dû, forcément, au manque de moyens financiers ou encore de formation mais plutôt au manque de personnes ayant des valeurs et des croyances. En d'autres termes, des personnes engagées qui cherchent, à travers leur intégration dans le monde professionnel, des institutions sans but lucratif pour aider les populations cibles et non pas uniquement pour percevoir un salaire. Toutefois, la formation reste une composante importante dans l'évolution du militant et de l'association. C'est pourquoi, il serait intéressant que l'Etat lance des cycles de formations gratuits pour les salariés du secteur. Abdessamad Oussayeh Président de l'association des jeunes marocains contre le sida «Quand le ressenti des salariés est positif, ils dégagent des ondes positives» Laila Benhima Cherif, Présidente de l'association «L'heure joyeuse». Les Echos quotidien: Quel est l'état des ressources humaines dans les institutions à but non lucratif ? Les ressources humaines dédiées au secteur associatif sont globalement très insuffisantes. Toutefois, l'accentuation de cette pénurie varie en fonction des métiers et des spécificités des associations ainsi que du domaine dans lequel elles oeuvrent. Actuellement l'état, l'INDH, les universités, et même certaines associations ont lancé une panoplie de formations qui ont un lien direct avec le secteur associatif. A titre d'exemple, je citerai les formations dispensées en faveur des éducateurs, des assistant et assistantes sociales, des agents du social, des formations pour le management associatif, etc... cependant, ces cycles d'études n'offrent pas la qualité requise. A mon sens, pour travailler la réactivité du secteur, il faut créer les statuts de ces nouveaux métiers, communiquer sur les salaires à la sortie des formations et assurer aux agents formés une situation reconnue et déclarée aux seins des structures qu'ils intègrent pour valoriser la formation et le travail social. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez, en tant que présidente d'association, sur le plan des RH ? «L'heure joyeuse» a 50 ans et a gardé le personnel dédié aux différents pôles de son action, à savoir, la santé, l'éducation, la formation et l'insertion, d'une part en s'alliant à des associations marocaines ou étrangères en charge de formations ciblées, d'autre part en vue d'acquérir des compétences propres à enrichir l'expérience des salariés. Aujourd'hui, «L'heure joyeuse» embauche des profils identiques à ceux qui postulent dans l'entreprise, dotés de qualités humaines et présentant des dispositions pour acquérir des compétences spécialisées, si le besoin se présente. À l'heure actuelle, nous avons 43 salariés confirmés et 30 bénévoles. Ces militants associatifs ont t-ils suivi des formations dans le domaine ? La quasi-majorité des militants associatifs n'a pas de diplôme d'étude fondamentale dans ce domaine. Maintenant,suite à leur intégration dans l'association, les bénévoles forgent souvent leurs connaissances à partir du terrain, et des expériences vécues. Par contre, les salariés qui s'occupent des métiers spécifiques suivent régulièrement des actions de formations. La professionnalisation du secteur vous permettra t-elle de mener à bien votre mission ? Bien évidemment, la professionnalisation du secteur va nous permettre de réaliser nos missions avec davantage d'efficacité. Comment cela et quel sera le rôle que pourrait éventuellement jouer l'Etat dans ce sens ? Ceci pourrait passer par le recrutement de personnes permanentes et cela pourrait ausi permettre aux volontaires de bénéficier d'avantage divers, tels que des indemnités de transport, de téléphone, et remboursement des frais divers engagés. L'Etat quant à lui, doit s'enquérir en priorité d'un audit des ressources humaines dans les grandes associations et plus précisément dans celles reconnues d'utilité publique. Ainsi, il serait intéressant qu'il puisse participer concrètement par une indemnité de prise en charge d'une partie des salaires des collaborateurs des associations. En effet, de nombreuses associations reçoivent des fonds publics alors qu'elles ne déclarent pas leur personnel. En conclusion, je dirais que les associations sont de véritables pourvoyeurs d'emplois mais que leur lutte contre la précarité est en contradiction avec leur propension à créer elles mêmes de la précarité au sein de leurs ressources humaines. Ce sens de l'éthique et ce respect des valeurs permettraient aux associations d'avoir un personnel de meilleur qualité et faisant preuve d'un engagement plus poussé.