Elle avait marqué les esprits par son courage et son art engagé, quitte à le payer de sa vie. Elle faisait partie des victimes de l'attentat de Ouagadougou, le 15 janvier 2016. Et puisque son art est éternel, le Musée Yves Saint Laurent de Marrakech lui rend hommage du 30 septembre 2018 au 5 février 2019 avec son exposition : «Les Marocains». Une photo d'elle, très jeune, aux côtés du grand couturier Yves Saint Laurent avait séduit la toile. Aujourd'hui, plus de deux ans après sa disparition tragique, le talent de la photographe Leila Alaoui, qui a succombé à ses blessures après l'attentat de Ouagadougou le 15 janvier 2016, est célébré au Musée Yves Saint Laurent de Marrakech du 30 septembre 2018 au 5 février 2019, ville où elle a grandi. «Leila Alaoui faisait partie de ces gens engagés qui n'hésitent pas à parcourir le monde pour venir au secours des autres, pour témoigner, et c'est là ce qu'elle a fait de plus beau. Ses convictions étaient profondes. La manière dont elle a disparu justifie le combat que j'ai mené toute ma vie pour la tolérance. "Quand je cesserai de m'indigner, j'aurai commencé ma vieillesse": c'est à André Gide que je pense, lorsque je me souviens de Leila Alaoui», avait témoigné Pierre Bergé à l'occasion de la remise à Leila Alaoui, à titre posthume, de l'insigne de Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres le 14 avril 2017 à Marrakech. Presque trois ans après sa mort, le musée, en partenariat avec la Fondation Leila Alaoui, rend hommage à cette artiste partie trop tôt en exposant l'un des derniers projets de la photographe franco-marocaine, «Les Marocains», sur lequel elle avait travaillé entre 2010 et 2014. «Marocaine» avant tout Cette série se fait aussi l'écho de la pluralité culturelle du Maroc, mise à l'honneur au cœur du Musée berbère du Jardin Majorelle. Au sujet de la série «Les Marocains», Leila Alaoui expliquait: «Puisant dans mon propre héritage, j'ai séjourné au sein de diverses communautés et utilisé le filtre de ma position intime de Marocaine de naissance pour révéler, dans ces portraits, la subjectivité des personnes que j'ai photographiées». Cette exposition est l'occasion de présenter une trentaine de portraits de «Marocains», dont certains inédits. Le commissariat de l'exposition est assuré par Guillaume de Sardes, écrivain-photographe et, naturellement, commissaire d'exposition. «Il ne s'agit pas de scènes de la vie quotidienne mais –au sens le plus fort et le plus classique du mot– de portraits. Richard Avedon, l'un des grands portraitistes du XXe siècle, au travail duquel celui de l'artiste marocaine fait écho, disait: «un portrait est l'image de quelqu'un qui sait qu'il est photographié. Et ce qu'il fait de cette connaissance est aussi important que ses vêtements et son attitude. Il est impliqué dans ce qui s'est passé, et il influence le résultat». Le dispositif de Leila Alaoui s'inscrit résolument dans cette approche: il n'y a rien chez elle de l'image volée. Le studio mobile qu'elle emporte avec elle dans son road-trip marocain ne laisse personne ignorer ce qu'elle attend de ses modèles: qu'ils prennent la pose, pour employer une formule un peu surannée, mais qui a le mérite d'inscrire la série de la jeune photographe dans un très long flux d'images, dans une pratique séculaire», précise le commissaire d'exposition. Pour la première fois, la Fondation Jardin Majorelle a souhaité réserver un accès gratuit à la salle d'exposition temporaire afin de partager avec le plus grand nombre, notamment Marrakchis et Marocains, le regard de la photographe sur ses concitoyens. «Impossible en effet de ne pas être sensible à la forte dimension picturale des images de Leila Alaoui. Les très grands peintres de portraits de l'histoire de l'art, un Tintoret, un Van Dyck, un Ingres, ont souvent eu recours au dispositif qu'à son tour elle adopte: un fond neutre (ici noir), une frontalité assumée», continue Guillaume de Sardes, qui rappelle que, comme dans le portrait classique, la place qu'occupe le vêtement, qu'il soit somptueusement coloré ou banalement quotidien, fait presque oublier la présence des corps. «Ce n'est certes pas la séduction que visent les femmes et les hommes qui se sont livrés à l'objectif de Leila Alaoui. En revanche, l'abolition du corps par le costume autorise une véritable épiphanie du visage. Aussi, d'œuvre en œuvre, retient-on surtout des visages, des regards. Des regards qui nous accompagnent longtemps après la sortie du musée». La photographie pour seule arme Leila Alaoui était connue pour son engagement sans faille. La photographie était son arme contre l'injustice, pour défendre les laissés-pour-compte. Celle qui succombe à ses blessures par balle le lundi 18 janvier à Ouagadougou, lors des attaques contre le restaurant Cappuccino où elle était attablée trois jours avant, s'était rendue dans la capitale burkinabè dans le cadre d'un projet de documentaire sur les violences faites aux femmes en Afrique de l'Ouest, initié par l'ONG Amnesty International. Son entourage la décrit comme une artiste qui ne connaissait pas la peur et qui était motivée par les causes sociales. Comme guettée par le danger, la photographe était à Paris en novembre 2015 et à New York le 11 septembre 2011, lors des attaques terroristes. Sa mission était avant tout sociale, non artistique. Son appareil photo a toujours été un moyen pour elle de matérialiser son combat pour la paix. Elle travaillait sur les thèmes de l'identité culturelle et de l'immigration. Un travail qu'elle a exposé à New York, à Buenos Aires et à Marrakech. Née à Paris en 1982, c'est à Marrakech qu'elle grandit où elle côtoie le beau monde de Marrakech grâce à son père, Abdelaziz Alaoui, homme d'affaires influent, et à sa mère Christine, photographe française, proche du couple Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, ainsi que de l'artiste et créateur de parfums Serge Lutens. Pourtant, sa pudeur et sa profonde humanité la tiendront à distance de ce monde de «strass et paillettes». «Ce qui l'intéressait, c'était la «vraie vie des gens»», avait témoigné sa mère, Christine Alaoui.