En dépit d'investissements massifs et d'un taux de croissance spectaculaire ces dix dernières années, les énergies renouvelables ne parviennent pas à faire baisser le poids cumulé du charbon, du pétrole et du gaz dans la consommation mondiale. Avec 333 milliards de dollars, les investissements dans les énergies renouvelables en 2017 ont approché le record de 360 milliards de dollars atteint en 2015, selon les chiffres de Bloomberg New Energy Finance. En Europe, la production d'électricité verte (hors hydraulique) a pour la première fois dépassé celle du charbon. Pour autant, le mix énergétique mondial repose à hauteur de 80% sur les énergies fossiles. Autrement dit, rien n'a changé depuis 30 ans, en dépit des 2.500 milliards de dollars dédiés aux énergies propres depuis 2010. Et en Chine même, championne du monde des investissements verts, on observe exactement le même phénomène. Car le développement pourtant exponentiel des énergies renouvelables ces dernières années ne pèse rien ou presque face à l'explosion de la demande en énergie. Ce constat, Roberto Bocca, en charge de l'énergie au World Economic Forum, est venu le partager avec les participants des Assises européennes de la transition énergétique, organisées cette année par le Grand Genève. Si le mix énergétique évolue peu, d'autres choses en revanche ont bien changé depuis que Roberto Bocca a pris ses fonctions en 2009. Entre autres, la géopolitique de l'énergie et le poids central désormais joué par la Chine et, dans une moindre mesure, l'Inde qui, toutes deux, «sont passées des paroles aux actes». Mais aussi la digitalisation, qui peut nous réserver le meilleur comme le pire, et la multiplication des partenariats public/privé. Eviter de remplacer «Big oil» par «Big brother» «La réflexion concernant la transition énergétique se situe à trois niveaux différents», observe-t-il: «un débat idéologique qui se limite à remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables; un raisonnement plus objectif fondé sur les données fiables dont on dispose aujourd'hui et, enfin, un débat plus profond, qui consiste à se projeter dans la perspective d'un déploiement réellement massif des énergies renouvelables». Le charbon, le pétrole ou le gaz à grande échelle, on voit ce que cela donne. Mais le solaire? Les batteries, qui posent des problèmes de soutenabilité de leur extraction jusqu'à leur fin de vie? «Il faut faire l'effort de se projeter dans cette réalité. Est-on en train de résoudre le problème du CO2 pour se retrouver confrontés à un autre problème»? Roberto Bocca fonde surtout de grands espoirs sur la digitalisation, qui peut favoriser le déploiement de solutions transformationnelles, notamment en matière d'efficacité énergétique dans les villes, où les gisements d'économie sont les plus importants. «On n'en imagine pas encore la puissance, veut-il croire. En effet, son impact ne pourra être que progressif en raison du stock de bâtiments non connectés et du faible renouvellement du parc immobilier». Il voit là un «silver bullet», à condition ne pas passer de «Big oil» à «Big brother». «La gestion des données devra donc faire l'objet de la plus extrême vigilance», insiste-t-il. De l'importance de maîtriser l'innovation Concernant l'innovation en général, Roberto Bocca se montre catégorique. Soit on en a peur et on la fuit, soit on la gère. À ce sujet, il évoque Façonner la quatrième révolution industrielle («Shaping the Fourth Industrial Revolution», en anglais), le nouvel opus du professeur Schwab, fondateur du World Economic Forum. Son objet: esquisser des pistes pour éviter les fractures générées par les précédentes révolutions industrielles, en évitant de laisser notre avenir technologique aux mains des seules forces du marché. D'où l'urgence d'accélérer notre compréhension de ces enjeux. Toujours dans la perspective de maîtriser et non de subir l'innovation, le WEF a ouvert à San Francisco un centre ayant pour mission d'élaborer des politiques et des cadres de mise en œuvre de la réglementation. «En réalité, ce qui effraie les citoyens, ce n'est pas tant un «big brother» humain qu'une machine qui les contrôle», affirme-t-il.