Le ministre des Finances et le gouverneur de Bank Al-Maghrib insistent tant dans leurs discours à parler de flexibilisation du cours de change du dirham et non de flottement, et demandent à la presse d'en faire autant. Mais à force de les entendre parler de flexibilisation on croirait que le taux de change du dirham était fixe durant toutes ces années et l'on vient à le rendre flexible grâce à la dernière mesure d'élargissement de la bande de fluctuation qui prête à confusion même chez de nombreux économistes non-spécialistes des questions monétaires. Celui qui surveille l'évolution du dirham par rapport aux devises internationales pourrait dire tout sur le cours de change de celui-ci, sauf à le qualifier de fixe. Un taux de change fixe comme son nom l'indique signifie qu'il ne fluctue pas tous les jours. Pour fixer le taux de change d'une monnaie, il suffit de faire un arrimage (ancrage) sur une devise internationale (dollar ou euro par exemple) en fixant une parité (1 dollar vaut 10 DH par exemple). Cette parité n'est pas, bien entendu, figée à jamais, mais elle peut être ajustée selon le besoin et révisée à la hausse (réévaluation) ou à la baisse (dévaluation) par les autorités monétaires du pays. Dès qu'on passe vers un arrimage sur un panier de devises, il s'en suit une fluctuation du cours de change. Laquelle fluctuation devient une réalité de tous les jours, car découlant de la variation dans la parité liant les monnaies étrangères du panier qui sont flottantes elles (le dollar et l'euro dans le cas du dirham). Dit autrement, chaque fois que la parité de change euro/dollar va à la hausse ou à la baisse sur les marchés de change internationaux, le taux de change du dirham, par rapport à ces monnaies, change dans des sens inverses. Pour faire simple, si l'euro s'apprécie par rapport au dollar, il en découle une hausse de l'euro et une baisse du dollar par rapport au dirham. Bien qu'il faille admettre qu'une certaine littérature économique spécialisée ait pris l'habitude de classer ce régime de change (ancrage sur un panier de devises) parmi les régimes de change fixe, sauf qu'il y a bien des arguments qui plaident autrement et qui conduisent à croire qu'il s'agit plutôt d'un régime de change flottant ou au moins hybride se situant à mi-chemin entre les deux. Certes, le flottement dans ce cas n'a pas pour origine les forces du marché des changes marocain (offre et de demande locale de devises), mais il s'agit toujours d'un flottement qui découle, cette fois-ci, de l'évolution des données sur le marché des changes à l'international. Revenons maintenant à cette question de bande de fluctuation (plus ou moins 2,5%) qui prête à confusion. Dans un régime de change fixe pur (1 dollar vaut 10 DH par exemple) avec bande de fluctuation, le taux de change du dirham devrait fluctuer tout le temps autour de 9,75 DH pour chaque dollar (borne inférieure) et 10,25 DH (borne supérieure). Le cours de change du dirham serait donc en permanence compris dans cet intervalle, sauf à modifier la parité initiale (cours de référence) par l'argentier du pays (réévaluation ou dévaluation). Ce qui n'arrive pas tous les jours ! Mais, dans le cadre de notre régime de change hybride actuel, le cours central du dirham (qui permet de calculer la bande de fluctuation) va continuer à fluctuer tous les jours suivant les fluctuations connues par la parité euro/dollar. Dans des termes plus pratiques, Bank Al-Maghrib va calculer un cours central du dirham par rapport au dollar au moins deux fois par jour (à 8h30 et vers midi avant les séances d'adjudication de devises). Ce cours central va permettre, à son tour, de calculer les bornes de la bande de fluctuation (plus ou au moins 2,5%), et on va contenir la parité de change du dirham découlant de l'offre et de la demande à cette bande de manière à ne pas aller au-dessus de la borne supérieure ou en dessous de la borne inférieure, communiquées par Bank Al-Maghrib, au moins deux fois par jour, rappelons-le. Pourquoi parler de deux fois au moins, et bien, c'est parce que la Banque centrale du royaume se réserve le droit de modifier le cours central du dirham aussi en cas de variation significative des cours de change à l'international (cf. décision du gouverneur de Bank Al-Maghrib portant N° 1/W/18 relative aux modalités d'application du régime de change). Nous pouvons donc être d'accord ou pas avec Monsieur le ministre si nous devons considérer le régime de change actuel du dirham comme flottant ou pas, mais cela importe peu. Nous sommes néanmoins tous d'accord que l'horizon à terme de ce projet de remaniement du régime de change du dirham est bien le flottement. Le citoyen lambda, fort de son intuition, comprend fort bien les enjeux de ce projet et ne s'attarde pas trop sur les termes. N'insultons pas au moins son intelligence ! Hafid Idoukharaz Ecrivain et analyste en économie et politique internationale