Latifa Serghni présente son livre dédié à la carrière de Mohamed Hamri, peintre et saltimbanque. Une biographie présentée à la galerie Abla Ababou à Rabat ce 14 décembre. C'est parmi les «passeurs» de Tanger qui ont fait œuvre, ces Marocain/es dont on retient moins le nom que celui des étranger/es qu'ils/elles accompagnaient, que Latifa Serghini situent Mohammed Hamri et Ahmed Yacoubi. Deux peintres à qui l'écrivaine dédie une biographie. Deuxième volume d'une série qu'elle consacre aux peintres marocains, «Life BeforeThinking, Sur les pas du peintre Ahmed Yacoubi», tente de restaurer une voix à ces étranges oubliés de l'histoire, excentriques créateurs sur la toile et dans la vie. Ainsi suit-on, dans ce récit, un Hamri peintre, mais aussi voyou-gentilhomme et contrebandier, homme d'affaires, agent de la troupe des maîtres musiciens de Joujouka et cuisinier d'exception. Né à Joujouka le 27 août 1932, Hamri est enterré le 29 août 2000, après avoir longtemps œuvré à faire connaître la tradition tantique, païenne et sacrée des rites musicaux de ce village. C'est en effet grâce à ce Marocain que Brion Gysin, mais aussi les «clochards célestes» de la Beat Generation, Jack Kerouac, Neal Cassidy, Allen Ginsberg, William Burroughs, Gregory Corso, ou Timothey Leary, découvrent la transe des musiciens de Joujouka. Les voix de la transgression et de la contestation fusionnent avec le son de la Ghaita, du Guenbri et du Tbel, et c'est cette musique immémoriale, rapportée par les multiples enregistrements internationaux de ces années, qui traverse la biographie du peintre. «Toutefois, nul orientalisme dans ce récit, mais les accents d'un Maroc multiple et hybridé, que l'écriture de Latifa Serghini mêle, par synesthésie, aux couleurs du peintre. Celui qu'on compare à Utrillo, qu'on nomme «Picasso africain», qu'on essaie en vain de classer parmi les naïfs marocains, ou les conteurs de paysages urbains à la manière d'un Chirico des coupoles et des minarets, apparaît alors dans toute sa complexité : c'est un bandit au grand cœur, le «roi des trapelistas», un interprète du sublime et du grotesque, un hôte généreux ; c'est «manitas de oro», cet inventeur des saveurs initié, presque enfant, au sens des couleurs comme apprenti pâtissier, et préparant ses repas de gala comme on compose une toile ; c'est un «grand seigneur méchant homme» dans ses transactions d'affaires et le litige né de la rivalité entre promoteurs de la musique de Joujouka», précise Thamy Ayouch. Mais, selon lui, c'est surtout un homme de passion, que rien ne semble arrêter dans sa course. Dans cette traversée à toute allure d'une vie consumée par les deux bouts, l'auteure parle en son nom, et égrène, à travers un «je» discret tout à la fois d'archiviste, d'amatrice d'art et de chroniqueuse, des scènes de sa découverte de l'œuvre et de l'histoire du peintre, l'accueil de Blanche Hamri, des impressions de lieux, de récits, et de toiles, et l'émotion sourde que cette rencontre recèle.