La France a réussi à convaincre plusieurs pays européens à soumettre les géants du numérique à une imposition plus lourde. Après quelques réticences, la Commission européenne a présenté jeudi les premières pistes pour mieux taxer ces multinationales, régulièrement accusées de faire de l'optimisation fiscale, grâce à des montages financiers qui minimisent leurs impôts. Après avoir obtenu le ralliement, début septembre, de trois poids lourds (allemand, italien et espagnol), le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire, est parvenu à convaincre six autres de ses homologues européens (l'autrichien, le grec, le slovène, le bulgare, le portugais et le roumain), à l'Ecofin, la réunion des grands argentiers européens, du 16 septembre à Tallinn (Estonie). Pour ne pas être en reste, la Commission européenne, jusqu'alors très prudente à l'idée d'une «taxe GAFA» spécifique (les GAFA, pour Google, Amazon, Facebook et Apple), a rendu publique, jeudi 21 septembre, une «communication» sur le sujet. Elle salue l'activisme hexagonal, et assure qu'elle va l'explorer plus, elle reste convaincue que la bonne solution, à terme, pour éviter que les géants du net continuent d'échapper massivement à l'impôt en profitant d'une fiscalité datant du XXe siècle, peu adaptée à la dématérialisation accélérée des échanges, c'est une remise à plat complète de la taxe sur le profit. Le taux d'imposition effectif des entreprises numériques dans l'UE serait de seulement 9%, alors que celui des entreprises traditionnelles s'élève à plus de 20%. En effet, le système de taxation actuel a été conçu pour l'économie traditionnelle et il ne permet pas de prendre en compte des activités qui reposent sur des actifs incorporels et des données immatérielles. Le ministère français suggère que, pour obliger ces multinationales, championnes de l'optimisation fiscale, à payer les impôts correspondant à leur activité effective dans un pays, on impose, non pas leurs bénéfices, mais leur chiffre d'affaires, au motif qu'il serait plus facile à matérialiser. Actuellement, c'est le bénéfice qui sert de référence à l'impôt sur les sociétés, payé par les entreprises. Et nombre de multinationales du net concentrent leurs bénéfices dans des filiales domiciliées dans des pays à faible taux d'imposition, même si elles génèrent, presque toutes, leur chiffre d'affaires dans d'autres pays de l'UE. L'ambition de la commission est de présenter une proposition législative au printemps 2018, qui devrait ensuite être approuvée par les Etats membres et le Parlement européen. «L'idéal serait d'avoir une approche mondiale, c'est pour cela que nous coopérons aussi avec l'OCDE et le G20», a dit le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis. Sauf que, si la France avait réussi à imposer à l'ordre du jour européen le sujet de la taxation des géants du numérique, la solution inédite avancée par Bercy ne fait pas, pour autant, l'unanimité dans l'UE. Des voix s'élèvent pour énumérer les différents chantiers -difficilement réalisables- que pourrait soulever un tel chantier. La première difficulté serait d'ordre politique : les pays favorables à une taxation plus forte auront du mal à convaincre ceux qui le sont moins, voire hostiles à cette opération. À savoir, l'Irlande, les Pays-Bas, Malte ou encore Chypre. Ces pays ont un intérêt certain à ne pas voir des impôts plus élevés au niveau européen pour les géants numériques, puisque ces sociétés sont situées sur leur territoire. Instaurer au niveau continental une taxation plus élevée reviendrait à réduire l'attractivité de ces paradis fiscaux, et donc à fragiliser une partie de leurs économies. La seconde difficulté est d'ordre technique. Car même si les 28 pays de l'Union européenne réussissent à se mettre d'accord sur le concept de la taxation GAFA, rien ne garantit qu'ils trouveront un terrain d'entente sur le taux d'imposition à appliquer. Les sociétés sont par exemple, soumises à un impôt de 33,33% en France; en Autriche, ce taux est établi à 25%, contre 15% en Allemagne. Là encore, c'est toute la problématique de l'harmonisation fiscale en Europe qui refait surface. Ceci est sans compter sur l'ingéniosité de ces géants numériques qui pourraient trouver de nouvelles parades en élaborant des montages fiscaux complexes. Ils ont déjà démontré l'étendue de leur roublardise : grâce à des montages aux noms aussi exotiques que le «Double irlandais» ou le «Sandwich néerlandais» (impliquant de vrais paradis fiscaux comme les îles Caïman ou Gibraltar), les mastodontes du numérique évitent de payer les sommes dont ils devraient s'acquitter s'ils étaient des entreprises comme les autres. L'autre menace qui intimide la Communauté européenne, n'est autre que le recours de ces GAFA aux tribunaux. En effet, les batailles judiciaires que se livrent ces multinationales -où elles ont souvent eu gain de cause- sont largement médiatisées et les montants engagés dépassent le milliard d'euros. Au final, si ce nouveau régime est adopté, il sera obligatoire pour l'ensemble des sociétés -numériques ou non- aux chiffres d'affaires supérieurs à 750 millions d'euros, d'être imposées là où elles réalisent des bénéfices.