La valorisation et la motivation des fonctionnaires est un des principaux casse-tête de la mise à niveau de l'administration. Dans une énième tentative de faire avancer ce chantier, le ministère chargé de la Modernisation de l'administration publique a commandé une étude pour établir un diagnostic précis et proposer des remèdes pour que les fonctionnaires puissent avoir droit à une évolution de carrière et un système de méritocratie à l'image de ce qui se fait dans le privé. Cette étude et plusieurs autres mesures, dont des projets de loi soumis à validation, sont en fait la résultante des négociations menées dans le cadre du dialogue social entre gouvernement, patronat et centrales syndicales. Lancé dans un contexte particulier à la veille des élections législatives, ce projet est d'office classé par les observateurs dans l'opération «déstockage» des chantiers menés par le gouvernement sortant. Une étude sur l'élaboration d'un système de parcours professionnel, lancée à quelques jours des élections est considérée comme un objectif «trop ambitieux et difficile à mettre en place et à déployer à court terme», note Hicham Lakhmiri, directeur général d'Amal Job, qui justifie son verdict par les cinq mesures principales annoncées. En effet, plusieurs questions restent en suspens quant à la mise en place des mesures prévues dans ce sens et leur implication dans le processus déjà en place. Ces questions sont restées sans réponse malgré nos multiples relances. Néanmoins, l'étude en question est intéressante dans la mesure où son cahier des charges dresse un constat réel de la situation actuelle des compétences recensées dans l'administration. Selon le diagnostic établi, on apprend que «le fondement de la gestion du personnel sur la notion de grade ou de cadre n'a pas permis de bâtir un professionnalisme au sein de l'administration publique, à travers une maîtrise réelle et constatable de portefeuilles de compétences organisées et référencées». Il est également souligné que chaque portefeuille de compétences est le produit d'une histoire professionnelle, qui commence par une formation spécifique, permettant un premier recrutement dans un emploi, l'acquisition de nouvelles compétences et la consolidation d'autres, à travers l'occupation successive d'emplois nouveaux. Ce qui amène les équipes de Mohamed Saad Alami à conclure au fait que «les modèles de parcours professionnels régis par les différents statuts particuliers qu'on retrouve au sein de nos administrations publiques restent des parcours lents et peu diversifiés, ce qui ne contribue pas au renforcement des portefeuilles des compétences existantes et impose continuellement l'acquisition de portefeuilles de compétences entièrement nouveaux». Pis, «les anciens parcours professionnels, s'accompagnent de discordances énormes, notamment la démotivation des fonctionnaires». Une conclusion que vient confirmer le témoignage à visage couvert d'un responsable du ministère de l'Intérieur qui affirme que le recrutement dans les administrations publiques se fait en fonction des besoins et non plus sur la base d'une stratégie de ressources humaines structurée. Les candidats ont accès au poste sur la base d'une sélection de dossier puis concours sauf que les candidats retenus ne sont jamais soumis à un entretien individuel durant lequel leur hiérarchie évalue concrètement leur compétence et leur fixe des objectifs à atteindre et des priorités à respecter. «Cette anarchie est valable également pour les affectations aux postes», ajoute le responsable. C'est peut-être un des chaînons manquants mais il est loin d'être le seul. Les affectations, réalisées sur la base du nombre d'années d'études supérieures et/ou des années d'expérience professionnelle dans d'autres administrations sont à l'origine de plusieurs bugs et source de démotivation pour certains jeunes fonctionnaires qualifiés et ambitieux. L'autre facteur qui rend difficile l'objectif de la mobilité fixé par la démarche du ministère, est lié au fait que bon nombre de fonctionnaires effectuent des tâches quotidiennes et pour plusieurs d'entre eux, cela n'a pas changé depuis des années. Leur réaffectation et l'adoption d'un management par objectifs est «difficilement envisageable» dans ce cas de figure. Et la liste des points noirs est longue. L'évolution de grade est elle aussi critiquée pour sa lenteur. Ainsi, pour passer de l'échelle dix à l'échelle onze par exemple, le fonctionnaire doit attendre entre 7 et 10 ans. Sans parler de l'accès aux postes de responsabilité qui relève du parcours du combattant. «Pour avoir un poste de responsabilité, il faut attendre qu'il y ait un départ ou une mutation. Le chanceux qui aura droit à cette évolution doit être le plus ancien du service, et avoir cumulé le plus grand nombre d'années d'études supérieures, mais surtout celui qui entretien de bonnes relations avec sa hiérarchie», confirme notre source au ministère. Dans la configuration actuelle, penser qu'une étude de ce genre pourrait faire bouger les choses serait vraiment naïf. Ce sont des générations de fonctionnaires qu'il faudra convaincre avant. Cela est d'autant plus probant que le plan du ministère est basé sur cinq axes portant en premier lieu sur la mise en place des modèles de parcours professionnels qui prennent en compte les compétences reconnues des fonctionnaires, ce qui suppose une évaluation des compétences existantes ! L'autre objectif fixé est l'amélioration des outils de gestion des parcours professionnels des fonctionnaires «par une meilleure gestion du rythme de ces parcours et par l'enrichissement des emplois occupés». Le prestataire chargé de l'étude devra également se pencher sur les moyens à mettre en œuvre pour « l'encouragement de la professionnalisation des acteurs institutionnels chargés de la gestion des parcours professionnels et la promotion des parcours professionnels plus différenciés, par la valorisation des compétences et par le suivi plus individualisé des fonctionnaires». Enfin, le dernier volet de ce projet consiste à intégrer la formation dans le système de parcours professionnels, à travers la mise en œuvre des plans de formation pluriannuels et l'établissement d'un lien entre la formation et le déroulement de parcours professionnels. Un travail fastidieux qui nécessite la mise en place d'un outil de maîtrise, de consolidation et d'acquisition de nouvelles compétences exigées par les besoins d'évolution de l'environnement ou la position institutionnelle du département. Il sera également nécessaire de fonder une mobilité fonctionnelle optimale qui favorise davantage la formation continue et qui renforce la motivation des cadres dont le parcours professionnel doit être négocié et diversifié. À en croire les spécialistes des ressources humaines, dont fait partie Hicham Lakhmiri, il y a un préalable à tout cela qui consiste à installer un nouvel esprit de management des RH dans l'administration mais aussi et surtout mettre en place une gestion commune des portefeuilles de compétences et l'édification d'un système de professionnalisation, permettant un meilleur emploi des RH publiques. Enfin, soutient-il, il faut mettre sur pied une gestion de mobilité fonctionnelle, permettant une mise en commun des portefeuilles sectoriels de compétences et assurer la rentabilité de l'investissement formation, par la mise en place d'un plan de formation commun et l'organisation de sessions de formation communes à plusieurs départements ministériels. Autrement, tous les objectifs et les pistes évoquées dans ce chantier resteront des vœux pieux. Le modèle français... Le gouvernement français a fixé comme objectif, lors de ses conseils de modernisation en 2007, de dynamiser les parcours professionnels des fonctionnaires. Le but est de créer un véritable droit à la mobilité dans la fonction publique pour offrir aux fonctionnaires des perspectives de carrière plus riches et plus diversifiées, tout en assurant la continuité, l'adaptation et la modernisation du service public. Pour ce faire, le gouvernement français a poursuivi trois grands objectifs. Primo, le relèvement des obstacles juridiques à la mobilité des fonctionnaires en supprimant les entraves statutaires qui empêchent d'exercer des missions de niveau comparable, mais également les possibilités de détachement et d'intégration dans des corps et cadres d'emplois appartenant à la même catégorie. Ainsi, l'intégration directe dans un autre corps ou cadre d'emplois est permise aux fonctionnaires qui remplissent les conditions pour y être détachés. Le deuxième volet est celui de la création des conditions qui permettent d'assurer la continuité et l'adaptation du service telles que : le remplacement d'un fonctionnaire momentanément absent par un agent contractuel est autorisé ; les possibilités de cumul d'emplois à temps non complet sont élargies ; la réorientation professionnelle des fonctionnaires dont le service est réorganisé est facilitée. Enfin, le troisième axe consiste à offrir des outils, notamment financiers, pour encourager la mobilité tels que des primes de mobilité ou encore une indemnité de départ volontaire. Point de vue Hicham Lakhmiri, Directeur général d'Amal Job. L'évolution de la fonction RH au sein des administrations publiques est une condition sine qua non de la réussite de cette expérience. Les DRH doivent en premier lieu comprendre l'importance du management individuel. Dans ce sens, le premier chantier à revoir est celui des recrutements. Le recrutement doit se faire à travers des entretiens et non plus uniquement via des concours. Pour les affectations, elles doivent être décidées en fonction des capacités de chacun, et non pas pour combler les vides existant dans certains départements. Côté management, il faut savoir que le fonctionnaire a une garantie d'emploi. Autrement dit, il est intouchable, ce qui n'est pas le cas par exemple pour le salarié du privé qui se dépasse pour garder son poste. Ceci pour dire qu'il faut tendre vers un management par objectif et la mise en place d'un système d'évaluation individuelle. Certes, cela serait difficile d'être accepté par les anciens de l'administration, mais pour les y inciter, il faut adopter un système de motivation par l'évolution, les primes et les augmentations individuelles. Egalement, il faut qu'il y ait un système de valorisation basé sur la qualité du travail et non pas sur l'ancienneté. Bien entendu, ce processus sera difficile à mettre en place, et pour cela, il faudra commencer par une expérience pilote qui donnera l'exemple aux autres. Car le fruit de ce programme ne sera récolté qu'à long terme avec le renouvellement des générations au sein de l'administration. Jamal Belahrach, Président de la commission emploi à la CGEM. «Il est urgent de créer les conditions de performance des fonctionnaires» Les Echos quotidien : Selon vous, quel est le moyen pour moderniser le système de parcours professionnel au sein des administrations publiques ? Jamal Belahrach : La seule chose que je peux dire, c'est que si nous voulons moderniser notre administration, il est important voire urgent de créer les conditions de performance et d'évolution des fonctionnaires. Cette performance est conditionnée par l'allégement du système de recrutement, le développement de carrière ainsi que les modes de rémunération. Egalement, pour pouvoir transformer nos administrations en véritable centres de services pour les citoyens et les acteurs économiques, il faut donner plus de pouvoir et de flexibilité aux cadres dirigeants. Que pensez-vous du système d'évolution de carrière adopté actuellement par les administrations publiques ? Le monde change, l'accélération est une valeur fondamentale de nos environnements respectifs. La compétence quant à elle reste le seul critère à prendre en charge pour bâtir une administration qui doit faire face aux nouveaux défis du Maroc. Les échelons, la hiérarchie, l'ancienneté sont à mon avis un peu dépassés dans le monde d'aujourd'hui. On avance souvent l'égalitarisme au sein de l'administration pour justifier ce mode de fonctionnement. Pour ma part, je pense que c'est le système le plus inéquitable que je connaisse. Nous avons besoin de performance à tous les niveaux de notre pays. Pour cela, il faut savoir que ce n'est guère le diplôme ni l'ancienneté qui permettent d'évaluer la compétence. Pour vous, quel est le modèle de management le plus adéquat aux administrations ? À mon sens, si nous voulons demain améliorer nos classements internationaux et donner envie aux cadres du privé de faire des passages professionnels dans le public nous devons adopter les mêmes référentiels que ceux adoptés par le privé telles la mobilité, la gestion de plan de carrière... En effet, grâce à ce système de management moderne, nous créons de l'émulation, l'esprit de collaboration et donc de la performance collective. Il faut tout baser sur la compétence, l'évaluation permanente des résultats, et une politique de rémunération cohérente qui mixe le fixe et le variable en fonction de la performance. Ce futur modèle devrait avoir comme seule ambition : créer une administration au service du citoyen et que celle-ci peut être aussi un accélérateur de carrière et non un frein.