L'agence française de développement (AFD) vient de publier un document de travail sur la formation et l'emploi au Maroc. Ce document, élaboré en partenariat entre la division Education et formation professionnelle et le département de la recherche de l'AFD, signe un état des lieux fort instructif sur le secteur de l'éducation dans le royaume et avance un certain nombre de recommandations sur les efforts à fournir en la matière. Le rapport marque d'abord une certaine différenciation entre les différents niveaux de l'enseignement au Maroc, que ce soit en termes d'évaluation des réalisations ou des efforts à fournir dans les prochaines années. Ainsi, le constat est globalement positif en ce qui concerne le primaire, sur lequel le royaume connaissait un important retard au milieu des années 1990. «Le Maroc a consenti, au cours des années 1990 et au début des années 2000, de très importants efforts pour rendre la scolarisation primaire universelle», indiquent les rédacteurs du rapport avant d'affirmer : «Ces efforts ont effectivement permis de parvenir, d'un point de vue quantitatif, à des niveaux élevés d'accès à l'éducation primaire, même si des efforts restent à faire dans les domaines de la scolarisation féminine en milieu rural et de l'élévation du niveau de la qualité de l'enseignement et des apprentissages ...». Le système scolaire primaire semble donc, compte tenu des moyens dégagés dans le cadre du programme d'urgence 2009-2012, avoir aujourd'hui un dimensionnement satisfaisant. Jean-Christophe Maurin et Thomas Melonio, rédacteurs du rapport, expliquent d'ailleurs que c'est le seul niveau où les objectifs 2015 devraient être entièrement atteints. Le même constat est fait en ce qui concerne le secondaire, et plus particulièrement le premier cycle du secondaire, où la situation s'est également nettement améliorée. Toutefois, les objectifs de scolarisation universelle à l'horizon 2015 paraissent très ambitieux, notamment dans le rural. «Atteindre un accès universel à l'enseignement secondaire collégial en 2015 supposerait en effet une nette rupture de tendance par rapport aux années antérieures», estime le rapport, tout en rappelant que le programme d'urgence 2009-2012 prévoit 33.000 nouvelles places et 720 nouveaux collèges, dans le but de rendre effective la scolarité obligatoire jusqu'à 15 ans, tout en améliorant le taux d'achèvement au collège. Si les objectifs quantitatifs paraissent à peu près tenables, il n'en est pas forcément de même pour ce qui est de la qualité. La qualité doit suivre En effet, la croissance quantitative des effectifs posera des difficultés de recrutement des enseignants et d'accompagnement des élèves issus de milieux sociaux plus défavorisés en moyenne plus aigus que par le passé. Toujours dans le cadre de son programme d'urgence, le ministère de l'Education nationale a fixé des objectifs très ambitieux pour le cycle qualifiant, avec un taux net de scolarisation qui passerait de 25% en 2008-2009 à près de 50% en 2011-2012. Le nombre d'étudiants pourrait continuer à croître de 10% par an entre 2010-2011 et 2015-2016. Ce rythme entraînerait le doublement des effectifs en sept ans, ce qui pose encore une fois la question de la qualité de l'éducation. En outre, les rédacteurs du rapport estiment que de manière générale, les objectifs de scolarisation restent très ambitieux dans le cycle secondaire et seront donc difficiles à atteindre. En effet, le programme de constructions scolaires connaît des retards, notamment en milieu rural. Cela ne fait qu'entretenir les déséquilibres entre les campagnes et les villes, surtout que pour ces dernières, des inquiétudes subsistent particulièrement en ce qui concerne la qualité de l'enseignement. Or, si les apprentissages des élèves du secondaire devaient rester trop faibles, cela aurait des conséquences importantes sur l'employabilité des étudiants et des élèves de formations professionnalisantes. Plus encore, l'augmentation rapide du nombre des candidats et des admis au baccalauréat, corrélée à la hausse des effectifs déjà observée dans la formation professionnelle au cours de la dernière décennie, font dire aux rédacteurs du rapport qu'«il est probable que la transition des effectifs lycéens se fasse d'abord et en priorité vers l'enseignement supérieur». Aussi, la croissance des effectifs étudiants dans le supérieur interroge évidemment sur la possibilité de mettre en œuvre une croissance équivalente du corps professoral. En effet, ainsi que le rappelle le rapport de l'AFD: «En 2009, seulement 67% des postes budgétaires créés ont donné lieu à des recrutements effectifs, soit 331 postes pourvus sur 594 postes budgétaires créés et 496 affectés». En somme, l'enseignement supérieur se trouve devant deux défis majeurs qui relèvent des ressources humaines. Le premier est celui de former davantage de docteurs pour alimenter le corps professoral de demain, afin que la croissance des effectifs enseignants soit en ligne avec les objectifs du programme. Les experts de l'AFD préconisent dans ce sens l'augmentation du nombre de bourses de thèse, ainsi que des efforts accrus pour faire revenir au Maroc des docteurs vivant à l'étranger. Cherche corps professoral désespérément Le second défi consistera à renforcer la capacité de gestion des ressources humaines des universités, qui ont du mal à recruter, ainsi qu'à rendre les procédures de recrutement plus simples et les carrières d'enseignant/chercheur plus attractives pour recruter de bons candidats. Cette question prend d'ailleurs toute son importance quand on se penche sur le taux d'encadrement pédagogique moyen, qui est supérieur à 30 étudiants pour un enseignant, avec des taux critiques dans certains champs disciplinaires comme en sciences juridiques, économiques, sociales et de gestion où le taux d'encadrement s'enlise à près de 75 étudiants pour un enseignant. Quant au privé et malgré un développement important ces dernières années, les experts de l'AFD y préconisent une régulation plus forte pour parer à l'hétérogénéité des niveaux entre les différents établissements... Du côté de la formation professionnelle, le paysage est beaucoup plus éclaté. En effet, contrairement à ce qui se passe dans l'enseignement supérieur, l'offre privée est beaucoup plus importante quantitativement avec plus de 25% des stagiaires en 2010-2011 et la formation publique est partagée entre deux blocs importants. Le rapport indique dans ce sens : «Deux grands pans de l'offre coexistent avec l'OFPPT et les centres de formation placés directement sous la responsabilité du département de la Formation professionnelle du MEFP, en partenariat avec des ministères techniques». Cependant, les flux accueillis dans le dispositif public et privé de formation professionnelle restent faibles, au regard de la demande sociale, mais aussi des besoins de l'économie. Ainsi, en 2008, environ 280.000 stagiaires étaient en formation initiale pour une population totale des 15-24 ans estimée à près de 6.100.000 personnes. Aussi, 127.654 salariés et 1.340 entreprises ont bénéficié de la formation continue pour une population active de près de 12 millions de personnes. Le rapport revient aussi sur les réformes récentes des cycles terminaux, en soulignant l'évolution du cadre législatif et réglementaire qui a accompagné la volonté politique de réformer ce secteur. C'est dans ce contexte qu'a été édictée la Charte nationale d'éducation et de formation, feuille de route des réformes de l'éducation au Maroc. Elle prévoyait entre autres une réorganisation pédagogique pour converger vers le système européen LMD, la réforme de la gouvernance pour une plus grande autonomie des universités et une diversification de l'offre de formation par le développement de l'enseignement privé. Face aux retards pris dans l'application des réformes, un plan d'urgence 2009-2012 a été instauré. «On notera toutefois que le taux d'engagement de ces crédits est resté très faible», note le rapport. Ce chantier reste ouvert et sera essentiellement basé notamment sur une plus grande autonomie des universités, le développement de l'offre privée et l'accentuation des efforts au niveau de la formation professionnelle. Diplômé, donc chômeur ! Toutefois, là ou le bât blesse, c'est au niveau de l'employabilité des diplômés, surtout que le rapport relève des liens inquiétants entre diplômes et chômage. «Le Maroc est, à l'image d'autres pays du Maghreb, dans une situation tout à fait spécifique au niveau mondial, l'obtention d'un diplôme ne protégeant pas du chômage», avancent les experts de l'AFD, avant de surenchérir : «Non seulement l'échec scolaire ne semble pas fondamentalement pénalisant pour accéder à l'emploi, mais force est de constater que les diplômes, notamment délivrés par les facultés, se caractérisent au contraire par une association statistique avec de forts taux de chômage». En effet, de manière générale, le chômage y frappe particulièrement les actifs dotés d'un niveau scolaire élevé, avec 17 à 18% de chômage chez les actifs ayant un niveau collège, lycée, ou supérieur, contre 4% seulement pour les actifs n'ayant pas été scolarisés. Toutefois, ces données restent partielles, en l'absence «d'enquête de génération» pour les sortants de l'enseignement supérieur généraliste. Aussi, les rédacteurs du rapport plaident pour l'élaboration d'une telle enquête, qui représente à leur sens le premier pas vers un diagnostic complet, qui peut déboucher sur des recommandations précises. A contrario, les lauréats de la formation professionnelle font l'objet d'un suivi détaillé et ce qui en ressort est satisfaisant, à en croire les rédacteurs du rapport de l'AFD qui se réjouissent : «Il est satisfaisant de constater que la progression obtenue depuis 2000 est importante, au niveau du taux de d'insertion (64%), et du taux d'emploi, (61,5%)». Toutefois, ces enquêtes ne permettent pas de comparer les résultats des lauréats formés dans le privé et de ceux issus du secteur public. Or, une telle comparaison pourrait s'avérer édifiante sur le rapport coût/efficacité de chaque grand type de formation. En ce qui concerne l'accompagnement des jeunes vers l'emploi, le rapport revient sur les trois programmes, Idmaj, Taehil et Moukawalati, mis en place par le gouvernement afin de d'atténuer les conséquences de ce déficit d'emploi pour les jeunes et les problèmes d'appariement entre l'offre et la demande sur le marché du travail. «Ces trois programmes d'accompagnement vers l'emploi ont montré la capacité du gouvernement à mettre en place des projets de grande ampleur via l'Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC)», explique le rapport, avant d'estimer : «L'évaluation qui en a été faite permet d'ores et déjà de conclure que ces programmes répondent à une demande des employeurs et des jeunes actifs», et de nuancer : «Il reste un doute sur, d'une part, leur impact et d'autre part, la possibilité de les étendre plus encore pour participer à la résorption du chômage des jeunes». L'aide à l'entrepreneuriat reste le domaine le plus complexe à mettre en œuvre à grande échelle et mériterait, selon les experts de l'AFD, à elle seule, une évaluation, compte tenu du nombre plutôt faible des bénéficiaires de Moukawalati... In fine, le dispositif de formation marocain sera donc confronté à de nombreux défis au cours de la prochaine décennie. Les réformes et les investissements qui seront réalisés d'ici 2015 détermineront en grande partie l'avenir du royaume et en particulier celui de sa jeunesse. Les auteurs du rapport concluent : «La fenêtre temporelle pour agir est réduite, mais des décisions résolues et rapides doivent permettre de franchir une étape qui sera décisive pour l'émergence du pays».