Françoise Atlan, Soprano L'Orchestre philharmonique du Maroc (OPM) a clôturé le cycle des concerts «Les religions à l'unisson» de la plus belle des manières : 7.000 spectateurs étaient au rendez-vous. Rencontre avec Françoise Atlancelle qui, tout au long de son parcours, a chanté et œuvré pour la convivencia. Les ECO : Comment avez-vous atterri dans cette nouvelle aventure des concerts «Religions à l'unisson» et que représente pour vous cette initiative, dans un contexte aussi difficile que le nôtre en ce moment ? Françoise Atlan : Ce fut une très belle et grande surprise à laquelle évidemment, je ne m'attendais pas. Il y a à peine un mois, Dina Bensaïd, remarquable pianiste et directrice artistique du Festival des Alizés d'Essaouira, m'a proposé de me joindre au concert d'ouverture de la saison du Philharmonique du Maroc. En fait, il s'agit d'une surprise puisque je ne chante qu'à la fin, aux côtés de Caroline Casadesus et de Smahi El Harati. Tout d'abord, c'est un honneur que d'être dirigée par Jean-Claude Casadesus et de chanter en hébreu sur l'Ave Maria de Caccini, plus émouvant que celui de Schubert ou Gounod à mon sens, magnifiquement interprété par Caroline Casadesus, aux côtés de Dina Bensaïd et Eloïse Bella Kohn, au piano, au sein de ce magnifique écrin incarné par l ́Orchestre philharmonique du Maroc. Puis cette troisième voix, celle de l'incroyable munshid, Smahi El Harati, qui débutait a capella avec un long «Allahou Akbar». Pour ma part, je chantais en hébreu : «Notre Dieu Tout Puissant», sur la terre et dans les cieux. C'était un moment d'émotion intense, que nous vivions sur scène tous ensembles, et parmi le public, âges, confessions et milieux sociaux confondus, beaucoup versaient des larmes en venant nous voir à la fin, pour nous dire combien ils avaient été touchés. Je voudrais ajouter que les concerts de Casablanca ont été donnés dans l'église du Sacré cœur, lieu magnifique et inspiré. Nos voix a capella s'y sont mêlées, ne faisant qu'une à la fin, se fondant dans l'orchestre et les pianos de Dina Bensaïd et Héloïse Bella Kohn. L'appel à la prière a été rendu avec sincérité, profondeur et humilité, par le munshid, et ce qui apparaît comme un cri de guerre en Europe et ailleurs, a été réellement un moment d'apaisement et de beauté dans une église de surcroît. C'est au Maroc que cela se passe et nulle part ailleurs. Vous êtes la diva de la convivencia, et ce concept n'est pas inédit pour vous puisque vous chantez souvent à l'unisson avec d'autres religions... Je n'aime pas tellement ce terme de diva, je le trouve...péjoratif et incorrect dans le sens où, en ce qui me concerne, j'estime avoir encore tant de choses à apprendre, à tester, à vivre auprès de chacun, ceux qui m'enseignent, ceux de qui j'apprends et aussi du public qui me forcent à me dépasser et à rester toujours, autant que faire se peut, pleine d'humilité face à cette responsabilité qui est finalement très lourde : donner à voir et à entendre de la beauté. Cela ne s'apprend pas au conservatoire, dont la formation est indispensable pour la technique, la compréhension et la maîtrise du chant, de l'instrument, du solfège, de la musique d'ensemble, de la culture musicale et artistique en général. Cela s'apprend avec l'expérience de la vie, en restant connecté sans cesse à l'autre, cet autre qui interpelle notre «moi» et je ne peux être en accord avec cet autre que si je le suis avec moi-même. C'est alors que «cet autre devient mon autre». C'est cela pour moi la véritable convivencia ! À quel point le patrimoine musical arabe et juif se marient à merveille ? Je crois profondément que lorsque les mots ne suffisent plus et qu'ils sont vains, la musique prend le relais. Il s'agit d'un pouvoir quasiment magique. Encore faut-il avoir envie de le développer, de le donner à entendre et à voir, et c'est exactement ce que j'ai vécu lors de mon expérience en tant que directrice artistique du Festival des Andalousies d'Essaouira, cité à laquelle je suis viscéralement attachée. Au Maroc spécifiquement et dans le Maghreb en général, musiciens juifs et musulmans ont toujours chanté et joué ensemble, naturellement puisqu'ils vivaient ensemble et c'est d'une telle évidence que le questionnement qui pourrait la caractériser n'a aucune prise et n'en aura jamais, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Le miracle ? Mais est-ce vraiment un miracle ? La baraka du Maroc est que nous le vivons encore ici. Et que cela se joue, se chante et se crée même avec les nouvelles générations qui se réapproprient ces identités - nos identités ! - multiples qui font le Maroc ; cela est écrit noir sur blanc par sa majesté dans la nouvelle Constitution. Nous avons besoin de savoir d'où l'on vient afin de comprendre où aller. Qu'en est-il de votre actualité ? Mes prochains concerts auront lieu à Marseille, Paris, Genève, Tubingen, Naples... dans des répertoires très variés allant de la musique sacrée aux chants des troubadours du Moyen-Âge occidental, en passant bien sûr par mes répertoires de prédilection, les traditions arabo-andalouse, judéo-arabe et séfarade et bien sûr de nouveaux projets en cours pour 2017-2018...