Une reprise tardive des cours, un déficit de 12.000 enseignants non remplacés face à 224.000 nouveaux élèves, la rentrée 2016 a été houleuse pour l'Education nationale marocaine qui déploie cette année les premières réformes de sa Vision 2030. «76% des enfants ne savent ni lire ni écrire après quatre ans d'école», affirmait en 2015 Rachid Belmokhtar, le ministre de l'Education nationale et de la formation professionnelle (1). Un constat confirmé par toutes les études internationales sur les acquis scolaires, qui classent le niveau des jeunes Marocains parmi les plus faibles au monde. Pourtant, l'éducation absorbe à elle seule une part importante du budget de l'Etat (6,3% en 2013, contre 5,5% en France (1)). Alors d'où vient la faiblesse de notre système ? Des lourdeurs administratives ? De professeurs mal formés ? De trente années d'arabisation qui, selon leurs détracteurs, ont enfermé l'éducation nationale dans un système de valeurs passéistes, au nom de l'authenticité et de la tradition ? Quelle qu'en soit la cause, il apparaît que l'école publique n'est plus en mesure d'assurer un avenir aux enfants du royaume. Le navire prend l'eau et les familles qui le peuvent se tournent vers les écoles privées, où l'offre pédagogique est plus riche (elles accueillaient 15% des élèves en 2015 contre 9% en 2009 (2)). Une poignée de privilégiés intègre les établissements français au Maroc, qui forment toujours les élites socio-économiques du pays. Cependant, l'école publique accueille encore la large majorité des élèves et doit impérativement être réformée. Depuis 1999, plusieurs initiatives ont été lancées : la Charte nationale de l'éducation (1999-2005), le Programme d'urgence pour l'éducation (2009-2012) et enfin la Vision stratégique de la réforme (2015-2030). Cette dernière réaffirme le rôle de l'école dans l'édification d'une société marocaine de citoyenneté, de démocratie et de développement, qui soit en phase avec son époque. La nouvelle vision aspire à un enseignement de qualité, où les chances sont les mêmes pour tous. Les enseignants, socle fragile de la réforme Au cœur de la réforme, les enseignants sont appelés à faire évoluer leur rôle et leurs méthodes d'apprentissage. L'objectif n'est plus de transmettre des connaissances par une communication autoritaire et à sens unique, mais de développer un savoir-faire et un savoir-être chez les élèves. Le nouveau mode d'enseignement encourage le développement d'aptitudes individuelles, telles que l'observation, l'expression, la synthèse ou même la critique. Il suscite la participation, la réflexion et la prise d'initiative chez les apprenants. En tant qu'acteurs pédagogiques de la réforme, on attend des enseignants qu'ils fassent plus de place aux lettres, aux arts ou aux sciences humaines et sociales, qu'ils favorisent la recherche et intègrent les technologies modernes dans leurs programmes. Cette approche met à l'index les méthodes d'apprentissage actuelles et c'est tout le corps professoral qui va devoir se reconstruire. Les enseignants en auront-ils la volonté et la capacité? Maillons essentiels de l'école publique, ils sont pourtant mal formés et souffrent d'un manque de reconnaissance lié aux résultats médiocres de leur institution. Au quotidien, ils gèrent des classes surchargées, dans lesquelles règnent souvent violence et incivilité. Au final, nombre d'entre eux s'impliquent peu dans leur fonction. Se mobiliseront-ils alors autour de la réforme ? Quant aux jeunes recrues, issues d'un système éducatif peu performant dont elles reproduisent les méthodes d'apprentissage, seront-elles à la hauteur de leur nouvelle mission? Le gouvernement se dit confiant et annonce qu'en quinze ans, la Vision 2030 portera ses premiers fruits. Des décisions déjà questionnées À peine lancée, la Vision 2030 a déjà initié ses premières réformes. Véritable révolution, elle a mis fin à trente ans d'arabisation le 10 février 2016, lors d'un Conseil des ministres présidé par le roi. L'arabe classique reste la langue officielle de l'éducation mais le français est introduit dès la première année de primaire et devient la langue d'enseignement des matières scientifiques. Outre le débat politique qui divise toujours les opinions sur ce sujet, la voix de l'UNESCO s'est faite entendre dans un rapport rendu public début octobre. Pour l'organisation, «toutes les études montrent qu'il faut commencer à lire et compter en langue maternelle» (3) pour bien assimiler les bases, ce qui exclut au Maroc l'arabe classique et le français pendant les premières années d'école. Parmi les nouveautés de la rentrée 2016, l'éducation islamique est devenue «éducation religieuse». Les textes renvoyant à une lecture radicale de l'islam ont été gommés des manuels scolaires au profit de la transmission d'un l'islam tolérant, en lien avec les valeurs de citoyenneté et l'identité culturelle du pays. Mais ne fallait-il pas aller plus loin et intégrer l'étude d'autres religions, comme le suggère le philosophe Ahmed Assid (4) ? Que penser également de la montée en puissance des écoles privées partout au Maroc ? L'Etat facilite leur développement par des mesures financières et fiscales incitatives. Il contribue ainsi au renforcement des inégalités sociales que seule une école publique de qualité pourrait atténuer, en accueillant sur ses bancs des élèves de toutes conditions, comme elle le faisait jadis. (1) «L'école au Maroc : réintroduire le français ne suffira pas à sortir de la spirale de l'échec», par Ruth Grosrichard, www.lemonde.fr, 25 mars 2016. (2) «Le Maroc enterre trente ans d'arabisation pour retourner au français», par Omar Brouksy, www.lemonde.fr, 19 février 2016. (3) «Education : Pourquoi le Maroc n'atteindra ses objectifs que dans un siècle selon l'Unesco», par Pauline Chambost, www.telquel.ma, 6 septembre 2016 (4) «La fausse réforme de l'éducation islamique enseignée aux enfants marocains», par Omar Brouksy, www.lemonde.fr, 15 juillet 2016 Principales sources d'informations : «Vision stratégique de la réforme 2015-2030», Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique «Les chiffres de la rentrée scolaire : 12.000 enseignants en moins», par J.C, www.media24.com, le 27 septembre 2016 Alexandra mouaddine business partner rh au maroc