Après une période de flottement, l'arbitrage royal a prévalu sur la question des langues d'enseignement. Les détails de la nouvelle architecture linguistique marocaine. «Les langues étrangères seront progressivement renforcées dans le cycle collégial, notamment pour l'enseignement des sciences, mathématiques et technologies, afin de permettre aux élèves de suivre les cours dans ces langues lors du cycle secondaire qualifiant», annonce Rachid Belmokhtar, ministre de l'Education nationale et de la formation professionnelle. Le ministre s'aligne sur les objectifs ambitieux de la Vision stratégique pour la réforme de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique 2015-2030. Le communiqué du cabinet royal, publié suite au dernier Conseil des ministres tenu le 6 février, a remis sur les rails les objectifs de la vision quant au volet des langues de l'enseignement. «La priorité sera donnée à la qualité dans l'enseignement public, à l'ouverture sur les langues étrangères, notamment dans l'enseignement des matières et spécialités scientifiques et techniques», peut-on lire dans le communiqué en question. Le même document conclut que : «l'ouverture et la communication ne signifient nullement l'aliénation ou le suivisme, comme elles ne doivent pas être un prétexte pour l'isolement et le repli sur soi». Les lignes sont désormais fixées et la barre a été placée très haut. La balle est dans le camp du gouvernement. À la recherche de la cohérence La vision élaborée par Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) insiste sur «la reconnaissance de la pluralité linguistique et l'élaboration d'une politique nationale cohérente, dans le domaine des langues et de la culture». Cette exigence est nécessaire dans un contexte où l'amazigh est devenu langue officielle depuis 2011, l'échec de la politique de l'arabisation lancée en 1964 et achevée en 1989 et la maîtrise de moins en moins effective des langues étrangères, spécialement le français. La feuille de route de Omar Azziman se base sur trois fondamentaux : la réalisation de l'équité et de l'égalité des chances dans l'apprentissage des langues, la présence des langues, conformément à leur statut constitutionnel et social, des deux langues nationales et officielles et la mise en place d'un plurilinguisme progressif et équilibré. Ces principes se traduisent par deux objectifs. Le premier but est de permettre aux bacheliers de pouvoir maîtriser la langue arabe, de communiquer en langue amazighe et de connaître au moins deux langues. Le deuxième objectif est d'introduire progressivement l'alternance linguistique pour consolider la maîtrise des langues. In fine, le statut des langues a changé de manière à ouvrir la voie à l'enseignement des matières scientifiques en français à partir du collège. La darija n'a finalement pas été retenue dans le schéma actuel, un compromis ayant été trouvé au sein du conseil supérieur. 76% des élèves savent lire et écrire, mais qui ne comprennent pas ce qu'ils lisent. Ce chiffre sur l'illettrisme avancé par le ministère de l'Education nationale (MEN) résume l'échec des choix linguistiques précédents ou, du moins, l'échec de la pédagogie et des moyens mis à la disposition de l'école pour enseigner les langues. La vision reconnaît ces difficultés et propose clarifier les statuts des langues. «Le Conseil considère que les langues, en tant que langues enseignées et langues d'enseignement, représentent un levier principal de la qualité de l'éducation et de la formation. Cependant, le statut de chaque langue présente à l'école doit être déterminé clairement», appelle le document de la Vision. La nouvelle architecture linguistique est fondée sur le plurilinguisme et l'alternance des langues. Concrètement, le MEN aura pour mission de faire bénéficier équitablement les apprenants de trois langues dans l'enseignement préscolaire et primaire: l'arabe comme langue principale, l'amazigh comme langue de communication et le français comme langue d'ouverture; l'anglais sera introduit en première année de collège (et en quatrième année du primaire à l'horizon 2025) et une troisième langue étrangère en première année du lycée (l'espagnol notamment). L'alternance des langues se traduira par la diversification des langues d'enseignement; c'est ainsi que le français pourra être partiellement langue d'enseignement au lycée à court terme et au collège à moyen terme. L'anglais pourra aussi le devenir au lycée à moyen terme. «Cette offre plurilingue permettra de résoudre le problème que pose le passage d'une langue d'enseignement à une autre entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur», affirme le Conseil supérieur. En effet, il sera aisé au bachelier, dans ces conditions, de poursuivre ses études académiques, quelle que soit la langue d'enseignement, au Maroc ou à l'étranger. Pour mettre en application toutes ces mesures, la vision n'a pas mis en place de calendrier. Mettre de l'ordre dans cette tour de Babel sera la première mission du prochain gouvernement. Formation et manuels scolaires à revoir Le ministère de l'Education nationale et de la formation professionnelle va mettre en œuvre le schéma linguistique proposé par le Conseil supérieur de l'enseignement qui a préconisé la vision stratégique 2015-2030 stipulant que l'apprentissage du français commence dès la première année du primaire, et l'anglais à partir de la quatrième année du primaire. Selon les responsables du ministère, une étude est en cours d'élaboration avec le Conseil supérieur pour justement déterminer les besoins en ressources humaines et financières, de sorte à mettre en œuvre cette vision stratégique. Il s'agit de déterminer le nombre des professeurs et des spécialités ainsi que le budget à mobiliser. Actuellement, on ne dispose pas d'une idée précise sur les besoins. L'étude qui a été entamée juste après le lancement officiel de la vision stratégique par le conseil supérieur a bien avancé. S'agissant des manuels, le ministre a déjà souligné que le travail va se faire de manière progressive. Les langues étrangères seront renforcées dans l'enseignement collégial. Rien n'a encore été décidé concernant les manuels scolaires pour la prochaine rentrée. Le fait d'enseigner les matières scientifiques en langue française n'est pas facile. Les élèves doivent, en effet, avoir en premier lieu les prérequis linguistiques pour suivre l'enseignement des matières scientifiques. Il faut aussi préparer les professeurs. La mise en œuvre de cet objectif ne va donc pas se faire du jour au lendemain.