Son positionnement géographique privilégié, son ancrage aux confluences de cultures différentes, l'héritage pluriel de son peuple, ont suscité pour le Maroc des interrogations fortes au sujet de ses alliances, qu'elles soient politiques ou économiques, formalisées par des traités ou non. En raison de son identité plurielle, aucune alliance ne peut exclusivement s'imposer au Maroc. Le royaume dispose donc d'une plus grande marge pour agir sur ce thème au gré de ses intérêts. L'histoire des peuples et des Etats est riche d'exemples d'alliances et d'unions, se faisant et se défaisant au gré des fluctuations des intérêts en jeu. Cependant, au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, le besoin de stabiliser l'ordre mondial par la création d'espaces plus larges, politiques, économiques et sécuritaires, est devenu un impératif pour de nombreux Etats. Notre continent n'a pas été en reste et de nombreuses alliances et zones d'échanges se sont créées, au niveau régional et continental. L'Union du Maghreb Arabe (UMA) a été fondée en 1989, la COMESA (Marché Commun de l'Afrique Orientale et Australe, qui inclut également l'Egypte et la Libye) l'a été en 1994, la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique Centrale) le fut en 1994, la doyenne des alliances de notre continent étant la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) mise en place dès 1975. À ce jour, sur les 54 Etats du continent, seuls le Sud-Soudan et la Somalie ne sont parties d'aucune alliance régionale. Toutes ces alliances n'ont pas toujours produit les résultats escomptés, les asymétries entre Etats membres freinant les projets d'intégration. L'UMA illustre parfaitement un exemple d'échec d'intégration régionale avec un taux de commerce intramaghrébin faisant partie des taux intrarégionaux les plus bas au monde, et une libre circulation restreinte des biens et des personnes. Le bilan des autres alliances du continent est également mitigé. La volonté politique et la gouvernance sont souvent pointées du doigt comme freins principaux. Néanmoins, dans notre monde globalisé, la nécessité des intégrations et alliances régionales n'est plus à démontrer. Le défi des leaders africains est de dépasser les obstacles à la création d'espaces de prospérité et de sécurité, forts et viables, ayant un poids sur la scène internationale. Le Maroc est membre de l'UMA, alliance légitime que ce soit d'un point de vue historique, culturel ou géographique. Celle-ci n'ayant pas produit les effets attendus et en tout état de cause se trouvant actuellement en état de léthargie, la question se pose donc naturellement d'ouverture vers d'autres alliances, non pas en substitution mais en complément de l'UMA. À titre d'exemple, l'Egypte est membre de l'UMA mais également de la COMESA. L'Histoire du Maroc, mais également sa politique de développement subsaharienne initiée par SM Le Roi Mohammed VI, place la CEDEAO au rang de l'alliance complémentaire la plus naturelle pour le Maroc. La CEDEAO inclut en son sein 15 pays : le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d'Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo. Cette zone tarde à cristalliser les fruits de cette union, compte tenu notamment de la faiblesse des PIB de certains de ses membres. En revanche, la CEDEAO s'est dotée, face à la montée des conflits régionaux, d'une force d'interposition qui est intervenue au Liberia, puis en Guinée-Bissau et en Sierra Leone. C'est avec les pays de la CEDEAO que les échanges économiques marocains sur le continent sont les plus profonds ; que les flux migratoires sont les plus développés avec notamment une immigration au Maroc, qu'elle soit économique ou étudiante, en croissance, richesse pour ce Maroc du 21e siècle ; que les sujets sécuritaires, notamment sahéliens, sont prioritaires. Au-delà de ces faits et des chiffres, il y a une symbolique forte à rejoindre la CEDEAO : c'est affirmer haut et fort l'africanité du Maroc, non pas uniquement, comme une donnée géographique, mais comme le fruit du partage de cultures, de valeurs et de champs économiques communs. C'est l'affirmer aux citoyens marocains, bien évidemment, mais c'est aussi l'affirmer aux peuples d'Afrique subsaharienne. Trop souvent, le Sahara est considéré comme une frontière infranchissable entre deux mondes qui n'auraient rien en commun ; des peuples noirs et des peuples berbéro-arabes. Cette démarcation, assimilée par beaucoup, ne résiste pas à l'étude de l'Histoire du continent en éludant des siècles d'échanges où le Sahara était bien plus un lieu de passage qu'une barrière naturelle. D'ailleurs, le Maghreb, et le Maroc en particulier, pour reprendre le mot de Césaire, a également sa négritude, certainement pas assez valorisée, mais néanmoins présente et vivante. C'est dans ce cadre qu'un rapprochement avec la CEDEAO répond à une symbolique forte pour le Maroc. Sous l'impulsion de SM Le Roi Mohammed VI, le Maroc et les pays de la CEDEAO étudient l'opportunité d'un statut spécifique au Maroc et le renforcement des coopérations économiques et sécuritaires. Si une demande d'adhésion totale devait suivre, le Maroc en tirerait de grands bénéfices et confirmerait son leadership continental. Une CEDEAO incluant le Maroc, c'est une zone qui inclurait deux des cinq plus fortes économies du continent, l'une au Nord (le Maroc) et l'une au Sud (le Nigéria), mais aussi les deux plus dynamiques sur les prochaines années (l'Afrique du Sud, l'Algérie et l'Egypte, les trois autres plus grandes économies du continent, traversant toutes les trois des difficultés structurelles significatives). Le Maroc et le Nigéria, ensemble, pourraient être les moteurs de l'intégration ouest et nord-africaine, comme la France et l'Allemagne l'ont été pour l'Europe. Néanmoins, pour réussir un tel rapprochement, avec un pays anglophone dont le PIB s'établit à près de 600 milliards de dollars et la population à environ 200 millions d'habitants, le royaume devra mobiliser toutes ses forces vives (étudiants, artistes, médecins, investisseurs...) pour établir les bases d'une confiance mutuelle et s'inscrire dans une vraie démarche de partenariat. Un tel bloc pèserait sur la scène internationale. Sa construction ne sera pas aisée et des réserves sont à attendre, sur le continent et en dehors du continent. Mais le jeu en vaut la chandelle. Hatim Ben Ahmed Directeur associé du fonds Mediterranea