Les contentieux individuels du travail sont de plus en plus nombreux dans les tribunaux marocains. Des milliers de jugements sont rendus, chaque année, par des magistrats pas nécessairement spécialisés en droit du travail. Plusieurs éléments confèrent une certaine spécificité à la mission des juges des litiges du travail. Le contentieux individuel du travail engorge les tribunaux marocains, et des milliers de jugements sont rendus chaque année par des magistrats pas nécessairement spécialisés en droit du travail. Classiquement, il appartient à ces juges de trancher les litiges en appliquant le régime juridique applicable au vu des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis par les parties. Cependant, plusieurs éléments confèrent une certaine spécificité à la mission des juges des litiges du travail. L'un concerne les règles de preuve, et l'autre le pouvoir d'appréciation du juge et ses limites. La preuve est évidemment le domaine de prédilection du juge du fond puisque, d'une part, elle conditionne la solution d'un litige et, de l'autre, la Cour de cassation reconnaît au juge du fond un pouvoir souverain d'appréciation des faits sous réserve du respect des règles de preuve. En droit commun, on le sait, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation d'en apporter la preuve. C'est donc au demandeur à l'instance d'apporter la preuve du bien-fondé de ses allégations et prétentions. Cette règle de principe s'applique aussi en matière de contentieux du travail et peut avoir pour effet de rendre la tâche des salariés très difficile. C'est pourquoi, en application des dispositions de l'article 18 du Code du travail, les tribunaux marocains font preuve d'un grand libéralisme en matière de preuves, et admettent que les salariés apportent la preuve de leurs prétentions par tous les moyens. Ils admettent ainsi l'existence d'une relation de travail en se fondant par exemple sur la simple production d'un bulletin de paie. De même, la Cour de cassation admet que la preuve de l'existence de la relation de travail puisse être rapportée par tous les moyens, indices et éléments. Ainsi, le Tribunal de première instance de Casablanca a considéré qu'il pouvait, pour prouver l'existence d'un contrat de travail, fonder sa décision sur «la déclaration des témoins, en apprécier la teneur compte tenu des circonstances de chaque cas, retenir les témoignages invoqués par le salarié aux dépens de ceux invoqués par l'employeur dès lors que les premiers ont le caractère de preuve et les seconds visent à apporter la preuve contraire». Comme évoqué plus haut, le juge peut également avoir un rôle très actif dans la recherche de la preuve et de l'établissement de la vérité, notamment en ordonnant des mesures de vérification, d'expertises ou d'enquêtes. L'une des plus notables particularités de l'office du juge en droit du travail est sans doute le fait de disposer d'un pouvoir d'appréciation très étendu. L'importante part factuelle des dossiers ainsi que le recours fréquent à des concepts juridiques «mous» en droit du travail contribuent à donner au juge du travail une marge d'appréciation souvent considérable. Le Code du travail s'en remet assez souvent à l'appréciation du juge, notamment lorsqu'il s'agit, en matière disciplinaire, d'apprécier la proportionnalité de la sanction à la faute commise ou de procéder à l'appréciation de la validité d'un licenciement ou d'une procédure de licenciement. Il en va de même lorsqu'il faut juger le caractère substantiel ou non d'une modification du contrat de travail du salarié. L'office du juge en droit du travail est si large que ce dernier n'hésite parfois pas à faire œuvre prétorienne. Suite à un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation, la majorité des magistrats du royaume considère, malgré l'absence de fondement textuel, que l'absence de respect par l'employeur de chacune des étapes de la procédure d'audition et de notification constitue un vice rédhibitoire qui rend le licenciement prononcé automatiquement abusif. Une telle analyse, qui ne laisse pas place, comme dans d'autres droits étrangers, à la distinction entre vice de forme sanctionné par une simple indemnité pour non-respect de la procédure et vice de fond, interroge et démontre l'étendue du pouvoir d'appréciation des juges marocains. L'office du juge en droit du travail marocain est donc particulièrement large. II y a pourtant des limites au pouvoir d'appréciation, et la limite principale résulte de l'actuel Code du travail. En effet, avant la loi n°65-99 relative audit code, le juge appréciait souverainement l'étendue du préjudice, et donc des dommages et intérêts à allouer au salarié en cas de rupture abusive de son contrat de travail. Certains magistrats n'avaient alors pas hésité à condamner les entreprises à des dommages et intérêts prohibitifs voire même punitifs, entraînant parfois la faillite immédiate de l'infortunée société concernée par une telle décision. L'insécurité juridique régnait en maître dans les prétoires. À l'heure actuelle, les dispositions de l'article 41 du Code du travail encadrent le pouvoir d'appréciation des juges en plafonnant à 36 mois de salaire les dommages et intérêts pour licenciement abusif. Une autre limite devrait, selon nous, être posée au vaste pouvoir d'appréciation des juges en matière de contentieux social: c'est le pouvoir de gestion du chef d'entreprise. En principe, le juge ne doit pas pouvoir s'immiscer dans le pouvoir de gestion et les choix économiques et stratégiques du chef d'entreprise. Conseil Comme le disait Honoré de Balzac, la plus mauvaise transaction est meilleure que le meilleur procès. Il est donc vivement recommandé de régler à l'amiable les litiges notamment en recourant aux mesures alternatives de règlement des conflits. Lexique Ultra petita : expression latine signifiant que le juge ne peut accorder plus que ce qui lui est demandé par les parties.