■ L'article 59 du code du travail prévoit que l'employé bénéficie outre des dommages et intérêts et de l'indemnité de préavis, des indemnités de perte d'emploi. Mais aucun décret d'application ou une loi n'ont encore vu le jour depuis. ■ Pour maître Saïd Naoui, avocat au Barreau de Casablanca, agréé près la Cour de cassation et doctorant en droit, l'instauration d'une indemnité perte d'emploi est réalisable dans un contexte de justice sociale et de partage légal. ✔ Finances News Hebdo: Avant d'évoquer le projet d'indemnisation de perte d'emploi (IPE), peut-on savoir quel sort est réservé au salarié ayant perdu son emploi et qui se retrouve dans l'incapacité momentanée de tenir ses engagements, notamment en matière de crédit ? ✔ Saïd Naoui : Aujourd'hui, l'employé, dans une économie de crise qui a des effets sur l'emploi, est exposé à plusieurs risques : rupture du contrat de travail résultant d'une décision unilatérale de l'employeur, perte de travail suite à un terme du contrat CDD ou fin d'une mission d'intérim. Malheureusement, quand un employé perd son travail lors d'un licenciement abusif ou économique, il ne reçoit aucune indemnité de cette perte pour faire face à ses engagements financiers. Ceci dit, le législateur, lors de la promulgation du code du travail du 11 septembre 2003 a prévu dans l'article 59 que l'employé bénéficie, outre des dommages-intérêts et de l'indemnité de préavis, des indemnités de perte d'emploi. Mais aucun décret d'application ou une loi n'a vu le jour depuis. Le gouvernement a promis qu'il va se pencher sérieusement sur la question et un projet est déjà en cours d'élaboration en partenariat avec tous les composants concernés, à savoir, d'abord la CNSS qui doit produire son avis dans les prochains mois et ensuite les syndicats qui ont fourni lors du dialogue social leur point de vue. Déjà, quelques éléments parlent d'une formule qui prévoit des indemnisations allant jusqu'à 70% du salaire de référence sans dépasser le SMIG. Et pour en bénéficier, il faut qu'il y ait une cotisation de base répartie entre l'employeur et l'employé. Aussi, l'employé doit remplir certaines conditions : justifier d'une période d'assurance à la CNSS d'au moins 1.080 jours dont 108 pendant les 12 mois civils qui précèdent la date d'arrêt de travail, être inscrit à l'ANAPEC et ne pas bénéficier d'un droit à une pension d'invalidité ou de retraite. ✔ F.N.H. : Dans ce même sens, qu'est-ce que le Code de protection du consommateur a apporté de nouveau en la matière ? ✔ S.N. : L'article 111 de la nouvelle loi sur la protection du consommateur dispose que si le non-paiement des échéances est dû au licenciement, l'emprunteur ne peut introduire une action en paiement qu'après le recours à la médiation. Et si ce mode alternatif aboutit à un accord ou à une entente entre les deux parties l'emprunteur ne peut mettre à la charge de l'employé licencié des intérêts de retard ou tous frais résultant de cette procédure. Donc, ce moyen ne peut que temporiser le litige et non pas passer l'éponge sur les dettes que supporte cet employé licencié qui attend que son procès, l'opposant à son employeur, soit jugé. Et même s'il obtient gain de cause en première instance, il doit attendre, s'il y a un appel de ce jugement, que la Cour d'appel le confirme. Et ce n'est pas fini puisque le salarié doit procéder à l'exécution de ce jugement sauf si la défenderesse (l'entreprise) n'est pas en difficulté. Auquel cas, il se retrouve sans indemnisation ! ✔ F.N.H. : Techniquement peut-on inclure la perte de l'emploi comme garantie annexe à l'assurance décès emprunteur ? ✔ S.N. : Le risque de «perte d'emploi» est généralement garanti par les polices d'assurance souscrites par les employeurs au profit de leurs salariés. Rien n'empêche, au Maroc, l'assureur de proposer à son client d'inclure la perte d'emploi comme garantie annexe à l'assurance décès emprunteur. Certes, la perte d'emploi est une chose temporaire et l'employé peut facilement, dans des circonstances économiques et sociales favorables, trouver un autre travail, mais ce n'est pas toujours le cas. Dans ce contexte, puisque le contrat tient lieu de lois à ceux qui les ont faites, les deux parties peuvent prévoir des restrictions à cette clause. Elle peut être conditionnée à un certain âge ou au retour de l'employé au travail. En France, les assureurs ont déjà établi ce genre d'assurance en admettant une technique selon laquelle la durée d'indemnisation est égale à la durée d'affiliation à l'assurance chômage selon la règle «un jour d'affiliation donne droit à un jour d'indemnisation». Par exemple si une personne cotise 12 mois à l'assurance chômage, elle est indemnisée pendant 12 mois (sous réserve qu'elle réponde aux autres conditions habituelles d'indemnisation). Cette durée est cependant limitée à 24 mois pour les employés de moins de 50 ans et à 36 ans pour les employés de plus de 50 ans. ✔ F.N.H : Comment peut-on légalement définir la perte d'emploi et comment la prouver auprès d'un juge pour faire valoir ses droits? ✔ S.N.: La perte d'emploi est une conséquence d'un licenciement abusif, économique, fin de CDD ou de mission d'intérim, et encore il n'est pas défini par le code du travail. Mais si on revient aux dictionnaires ou à la doctrine, on peut définir la perte d'emploi comme une perte d'une situation financière stable où l'employé ne peut faire face à ses engagements financiers. Si l'employeur est licencié abusivement ou suite à un licenciement économique la preuve est flagrante. L'employé peut demander outre les indemnités légales, suite à une rupture du contrat de travail unilatérale par l'employeur, une indemnité de perte d'emploi mais à condition que cette demande ait une base juridique pour que le juge statue sur la demande. Et vu que cette loi n'a pas encore vu le jour, le juge ne peut pas accorder à l'employé une telle indemnisation. ✔ F.N.H. : Pensez-vous que dans l'état actuel des choses (taux de chômage élevé), il serait facile de mettre en place une indemnité perte d'emploi au Maroc ? ✔ S.N. : Je crois que lors de la préparation des dernières élections législatives, plusieurs composants politiques ont évoqué que le Maroc dispose de moyens énormes pour sortir de la crise économique et sociale actuelle. Parmi ces composants, les gouverneurs de demain, à savoir ceux issus du parti arrivé en tête, ont donné des chiffres de croissance et ils ont promis de hausser le SMIG à 3.000 DH par mois par exemple avec un taux de croissance qui dépasse les 6%. Donc, vu ces promesses, je dois dire que l'instauration d'une indemnité perte d'emploi est réalisable dans un contexte de justice sociale et de partage légal. C'est un dispositif qui peut amortir le choc du licenciement surtout le licenciement économique. ■ Pages réalisées par S. E. & I. B.