Dans le contexte du débat sur la loi relative aux travailleurs domestiques, l'Association lumière sur l'émigration au Maroc (ALECMA) publie un rapport d'enquête sur le travail des femmes domestiques subsahariennes au Maroc. Les conclusions sont sans appel : «Les femmes domestiques travaillent sans repos, insultées, maltraitées et violentées parfois». L'Association lumière sur l'émigration au Maroc (ALECMA), qui a partagé hier à Rabat les résultats de son étude sur la situation des travailleuses domestiques subsahariennes souligne que «ces femmes subissent le mépris, le racisme, la discrimination, l'absence de contrat écrit, l'absence de sécurité sociale et la multiplicité des tâches». L'ALECMA a mené un travail de terrain dans les villes de Rabat, Fès, Casablanca, Tanger, Marrakech et Agadir, du 22 au 24 décembre 2015 afin d'appréhender la réalité liée aux conditions de travail de cette population. Pour ce faire, l'équipe de l'association s'est entretenue avec les principales concernées ainsi que les Commissions régionales des droits de l'homme (CRDH) dans cinq villes et des associations locales. Si l'échantillon choisi et le nombre d'entretiens réalisés restent limités pour montrer l'ampleur de ce phénomène dans toutes les grandes villes marocaines, des violations de trois droits fondamentaux ont néanmoins été constatées de manière récurrente. Il s'agit de l'atteinte à l'intégrité morale à travers des humiliations et injures. «Ces femmes sont humiliées et insultées quotidiennement», avance l'ALECMA. Cette violence verbale peut se transformer en atteinte à l'intégrité physique. «La violence chez certains employeurs est la méthode utilisée pour dominer leurs employées», constate cette ONG basée à Rabat. Par ailleurs, le rapport revient sur le racisme et les discriminations. «Des employeurs n'hésitent pas à leur rappeler qu'elles sont noires, sans valeur et proches de l'animal. Les mots comme âbid (esclave), hayawane (animal), azia (négresse) reviennent régulièrement», note le rapport. Ces abus font l'objet, à de rares occasions, de plaintes de la part des victimes. Sur ce registre, l'ALECMA observe que «les multiples plaintes n'aboutissent pas toujours, faute de preuves et se convertissent en un arrangement à l'amiable par les CRDH pour les unes et à l'abandon pour les autres». Selon les témoignages recueillis par cette association, plusieurs autres travailleuses domestiques bénéficient de leurs droits, mais ces cas restent des exceptions. Le rapport s'est arrêté également sur les violations des conventions relatives au droit du travail domestique. «Nous avons noté l'absence de contrats de travail formels, le prolongement de la durée journalière du travail de manière abusive, l'accumulation de tâches non spécifiées à l'embauche, la pénibilité du travail et l'absence d'assurance maladie et, enfin, l'épineuse question de la rémunération. Dans beaucoup de cas, les travailleuses ne reçoivent pas leur salaire durant plusieurs semaines», précise Patrick Qitboumis, président de l'ALECMA. Recommandations L'ALECMA a émis une série de recommandations. Sur le volet juridique, l'association invite le gouvernement à ratifier la convention n°143 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les migrants dans les conditions abusives et sur la promotion de l'égalité des chances et de traitement des travailleurs migrants, ainsi que la convention n°189 offrant une protection spécifique aux travailleurs domestiques. Il est à noter que ces deux textes font parties des 43 conventions de l'OIT qui n'ont pas été encore ratifiées par le Maroc. Sur le plan de la juridiction nationale, l'ONG recommande de mettre en place une loi qui réglemente le travail des femmes domestiques permettant de «dissuader les employeurs qui exploitent ces femmes». L'ALECMA propose d'appuyer des associations de femmes de ménages subsahariennes encadrées par un syndicat ou une ONG de défense des droits des migrantes, pour dénoncer les abus afin de garantir leurs droits et recenser les femmes domestiques subsahariennes dans toutes ces villes, pour un suivi et garantir des dispositions pour ces femmes leur permettant d'accéder à l'inspection du travail. TEMOIGNAGES Christelle Tanger «J'ai 29 ans, (mère d'un enfant de vingt mois). Je ne travaillerai plus jamais chez les Marocains. Je travaillais sans repos comme une esclave, sans considération ni respect, sans couverture sanitaire avec un salaire de 1.800DH. J'ai cessé de travailler car je commençais à avoir des douleurs de dos après six mois de travail». Eva Tanger «J'ai 39 ans. Je travaille chez un couple d'expatriés gabonais. Mon salaire est de 1.800DH sans assurance ni contrat. Etant ménagère, le couple ne me respecte pas du tout malgré mon diplôme de secrétaire de direction. Je n'aime pas du tout ce travail, mais à l'impossible nul n'est tenu, raison pour laquelle je fais ce travail pour ma survie et celle de ma fille que j'ai laissée au pays en attendant qu'il y ait une opportunité d'aller en Europe». Martine Casablanca «J'ai signé un contrat de 2 ans avec ma patronne résidente dans le quartier Oulfa, pour un salaire de 2.000DH le mois. Je travaillais de 8h à 23h. Je subissais de la maltraitance. Je ne mangeais pas à ma faim. Elle m'insultait et me frappait tout le temps. C'est ainsi que j'ai jugé nécessaire de quitter ce travail».