Nizar Baraka : Président du Conseil économique, social et environnemental En cinq ans, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a planché sur plusieurs dossiers. Le nombre des saisines est globalement limité. Cependant, le CESE est de plus en plus sollicité par le gouvernement et le Parlement sur des sujets épineux. Nizar Baraka estime que le Conseil qu'il préside est parvenu à être présent au niveau de l'architecture institutionnelle du Maroc. Dans cet entretien, il dresse le bilan des réalisations du CESE et l'impact de son action sur les politiques publiques. Les Inspirations ECO : Aujourd'hui, en 2016, comment qualifiez-vous le bilan du Conseil qui a été installé il y a cinq ans ? Nizar Baraka : Il est difficile de dresser un bilan puisque nous nous inscrivons dans le cadre d'une dynamique qui se renforce chaque année. On peut plutôt parler des grandes réalisations du Conseil durant cette période. Il est important de rappeler que ce Conseil, qui a vu le jour le 20 février 2011, et dont les prérogatives ont été élargies dans le cadre de sa nouvelle loi organique d'août 2014, a réussi à être présent au niveau de l'architecture institutionnelle de notre pays de par l'importance accordée à ses avis et rapports qui deviennent de plus en plus des références dans le processus d'aide à la décision. Estimez-vous donc que votre travail a un réel impact sur les politiques publiques ? La plus grande consécration pour le Conseil a été le nouveau modèle de développement des provinces du Sud qui a été établi sur la base d'une large concertation, et dont la mise en œuvre a été lancée à Laâyoune par le souverain en novembre dernier, à l'occasion du 40e anniversaire de la Marche verte. La plupart des projets ayant vu le jour ont été réclamés par la population locale lors des concertations pour l'élaboration de ce modèle qui vise à faire des provinces du Sud un nouveau hub pour l'Afrique subsaharienne. L'impact du travail du Conseil peut être également ressenti à travers l'évaluation des différents amendements introduits à un ensemble de textes sur lesquels le conseil a donné son avis. Il ressort, selon une première évaluation, que plus de 37% des amendements introduits par la Chambre des conseillers sont basés sur les propositions du Conseil. Le gouvernement a aussi pris en compte beaucoup de nos rapports. À titre d'exemple, le gouvernement s'est appuyé sur beaucoup de nos recommandations en ce qui concerne le volet relatif à la gouvernance de la gestion de l'eau. C'est le cas également pour les projets de loi sur la vente d'immeuble en l'état futur d'achèvement (VEFA) ou encore ceux sur les carrières qui ont été revus et par le gouvernement, et par les parlementaires sur la base de nos recommandations. Toutefois, il est à signaler que toutes nos propositions ne sont pas toujours retenues. Sur le dossier de la réforme des retraites, le gouvernement s'est limité à la réforme des pensions civiles alors que le Conseil proposait une réforme globale de l'ensemble des régimes de retraite. Est-ce une déception pour vous, après tout le travail effectué par le CESE sur ce dossier épineux de la réforme des régimes de retraite ? Loin des états d'âme, nous continuons à penser qu'il est essentiel de procéder à une réforme globale des systèmes de retraite et de l'accompagner par une loi-cadre qui définisse les différentes étapes de création de deux pôles public et privé pour arriver, à terme, vers un régime universel de retraite qui soit viable et pérenne. Êtes-vous satisfait du nombre des saisines, qui reste limité ? Il faut rappeler que le nombre des saisines annuel -sept- reste honorable. De plus, la loi organique nous donne l'opportunité de travailler sur des auto-saisines. Dans le cadre de nos auto-saisines, nous cherchons à mettre le doigt sur des questions d'actualité pour pouvoir apporter la complémentarité nécessaire à l'action du gouvernement et du Parlement. Ces auto-saisines ont porté sur des dossiers d'importance capitale comme par exemple sur les accords de libre-échange, les changements climatiques, l'égalité hommes-femmes, l'économie sociale et solidaire, la situation des personnes âgées. Cela, sans parler du modèle de développement des provinces du Sud et de l'étude sur le capital immatériel du Maroc que le souverain nous avait confiée en collaboration avec Bank Al-Maghrib. Il faut dire qu'au cours de ces années, nous avons développé une réelle complémentarité avec la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers. Nous présentons nos différents rapports et points de vue devant les commissions parlementaires concernées. Une véritable articulation s'est installée au moment où tout le monde pensait qu'il y aurait une concurrence entre nos institutions. Le CESE a fait preuve de dynamisme. Outre l'approche participative, la doctrine du Conseil repose sur deux piliers. Le premier porte sur une vision intégrée tenant compte de l'économique, du social, de l'environnemental et de l'institutionnel. Le deuxième aspect porte sur l'effectivité des droits en veillant à ce que les droits inscrits dans la Constitution et repris dans notre Charte sociale puissent véritablement être une réalité pour nos concitoyens. Avec notre nouvelle loi organique, la dimension «suivi de la régionalisation avancée» s'est ajoutée aux prérogatives du Conseil. Le prochain rapport qui sera proposé à l'adoption de l'Assemblée générale le 31 mars prochain, après avoir été débattu lors de la précédente session, portera d'ailleurs sur les conditions de réussite de cette régionalisation avancée. Peut-on dire que le Conseil a su faire montre de son caractère indispensable ? L'avis du CESE est écouté. Il a réussi à travers son fonctionnement et ses différentes composantes à constituer un esprit propre au conseil qui cherche à atteindre un consensus optimal dans l'intérêt général en prenant en compte les différentes sensibilités, et qui vise l'élaboration d'une vision de long terme et la sensibilisation de l'opinion publique sur certaines thématiques pour faire réussir les réformes. Le CESE est également parvenu à se positionner sur le plan international. Nous avons décroché la présidence des conseils économiques et sociaux francophones. Le CESE été également élu membre du Conseil d'administration de l'Association internationale des conseils économiques et sociaux. L'Alliance arabe des conseils économiques et sociaux a, pour sa part, été créée à Rabat et nous en sommes membres fondateurs. Où en est le rapport sur le capital immatériel, qui se fait attendre ? Le rapport a pris un peu plus de temps que prévu car il a fallu bien maitriser le concept et adapter la méthodologie proposée par la Banque mondiale à la réalité marocaine, la développer et l'enrichir. Il a fallu aussi développer d'autres approches pour mieux cerner ce capital et attendre la publication des résultats du recensement de la population, notamment les indicateurs pertinents pour l'évaluation de ce capital immatériel. Aujourd'hui, nous sommes dans la phase de finalisation du rapport. Nous travaillons sur l'élaboration d'une méthodologie à proposer pour intégrer le capital immatériel dans les politiques publiques au niveau national et s'assurer également de l'efficience de ces politiques pour atteindre les objectifs escomptés. Où en sont les préparatifs pour la COP 22 et la coordination entre les différents acteurs du comité de pilotage ? Le comité de pilotage travaille d'arrache-pied pour faire en sorte que la COP de Marrakech soit la COP de l'action et de l'innovation. L'ensemble des pôles travaillent de manière cohérente pour que la présidence marocaine de la COP22 constitue une étape majeure dans la lutte contre le réchauffement climatique et propose un nouveau paradigme civilisationnel au profit des générations futures. C'est ainsi que, outre les gouvernements qui négocient et la société civile qui se mobilise, un événement regroupant les parlementaires du monde entier sera tenu en marge de la COP22 pour les sensibiliser à la nécessité d'intégrer la dimension climatique dans les différentes lois qui leur sont soumises. Parallèlement, un Sommet des Consciences sera organisé par le CESE pour renforcer le dialogue interreligieux autour du climat.