Un vent de déprime souffle sur le marché des bijoux en or, à Casablanca. La demande en or enregistre une baisse inquiétante. Le chiffre d'affaires des bijoutiers aurait chuté de 50%. Les bijoutiers que nous avons rencontrés récemment à Casablanca n'ont pas le moral. Flambée des prix de l'or, ralentissement de l'activité, rareté ou encore concurrence faite aux bijoux fabriqués par les artisans marocains... Il faut dire que, selon les professionnels, le secteur de l'or ferait face à de gros problèmes. Lundi 15 février, les acheteuses n'étaient pas nombreuses chez les bijoutiers que nous avons visités. Elles se font même rares depuis un certain temps, regrettaient des commerçants de Kissariat Haffarine. La flambée des prix du métal jaune ne cessent d'atteindre des niveaux élevés. Ces prix devraient exploser en 2016, selon Mostafa Belkhayat, un expert international de l'or. Pour les quelques visiteuses que nous avons rencontrées, les prix d'achat de l'or sont si élevés, qu'elles sont tentées de vendre leurs anciennes parures. «On a toutes dans nos mallettes de vieux bijoux en or. Et avec des prix qui flambent, je ne peux plus en acheter. Je suis tentée de vendre mes anciens bijoux plutôt que d'en acheter», souligne Karima, 34 ans. À Bab Marrakech, Hay Mohammadi, Derb Ghellaf ou encore kissariat Haffarine, le prix de l'or non travaillé coûte, à date d'aujourd'hui, 270 DH/gr. À la vente, il dépasse les 400 DH/gr, contre 150 DH en 2006. Pour certaines parures, le gramme peut aller jusqu'à 425 DH. Pour le bijou vendu par Karima, le prix qu'on lui a proposé a atteint 15.000 DH, soit une plus-value de plus de 200%, selon l'orfèvre. Dans le détail, le prix qui lui est proposé est de 260 DH/gr contre 90 DH il y a dix ans. «Ce bijou va être fondu. Mais s'il allait être vendu en l'état, son prix se serait situé entre 330 et 340 DH/gr», nous explique ce bijoutier à Bab Marrakech, dans l'ancienne médina. Le semi-précieux a la cote Le prix d'un article en or, explique celui-ci, englobe d'abord le coût de l'or brut auquel s'ajoutent les prix de la main-d'œuvre, du poinçonnage (autorisation de vente de l'Administration des douanes), ainsi que la marge bénéficiaire de l'orfèvre qui peut aller jusqu'à 50 DH. Selon les orfèvres, les clientes préfèrent les bijoux d'or légers. Et il est plus difficile d'écouler les grandes pièces travaillées à l'ancienne, à l'instar des «mdammate» (ceintures en or). C'est dire que la flambée des prix du métal jaune a eu d'importantes conséquences sur le secteur. Selon des bijoutiers de la galerie commerciale de Ben Omar (quartier Mâarif), c'est cette flambée qui a poussé les acheteuses à se tourner, depuis un certain temps déjà, vers les bijoux semi-précieux dont les prix sont plus abordables. «Ces pièces, qui sont bien travaillées, commencent à avoir la cote. On croirait que ce sont des bijoux en or», précisent ces mêmes bijoutiers. Selon eux, cinq opérateurs ont choisi d'intégrer ce marché de joyaux semi-précieux, lesquels sont fabriqués en Italie. Le marché de l'or serait-il en crise? En tout cas, les bijoutiers rencontrés sont unanimes: la demande en or a diminué. «Les ventes ont chuté de 50 %», est-il indiqué. Toutefois, leur activité ne serait pas véritablement menacée pour autant. «Pendant certaines périodes de l'année, on constate une demande pour les articles travaillés traditionnellement. Il s'agit généralement d'une clientèle étrangère», souligne Houceine, un bijoutier à Bab Marrakech. Les propriétaires des petits ateliers sont les premiers à ressentir les conséquences de la hausse des prix du métal précieux. «Des artisans ont mis la clé sous le paillasson et les fermetures devraient continuer. L'activité risque de disparaître si rien n'est fait», d'après des professionnels de la place. Pour eux, cette situation est due à la concurrence turque et italienne : «les bijoux produits dans ces deux pays font de la concurrence aux pièces fabriquées par les ateliers locaux». L'autre préoccupation, c'est l'approvisionnement en or qui connaît quelques difficultés. Ainsi, sur le marché local, il n'y a que l'or provenant du recyclage des anciens bijoux achetés au marché de la «dlala», sorte de «criée de l'or». Contrebande Mais ce marché de l'or est-il réglementé au Maroc ? Existe-t-il une plateforme où les professionnels peuvent acheter de l'or ? Les bijoutiers approchés répondent par la négative. «Il n'y a pas de plateforme où nous pouvons acheter la matière dont nous avons besoin pour la fabrication des articles dans nos ateliers. Il n'y a pas de plateforme où nous pouvons avoir des documents en bonne et due forme», disent-ils. Selon nos sources, cela ouvre la voie au phénomène de contrebande dans le secteur. Du côté des bijoutiers, on se plaint également d'un autre problème. Le marché connaîtrait une pénurie en or, laquelle serait due à des fuites de l'or marocain vers d'autres pays, notamment ceux du Golfe. Ceci dit, ces sorties de métal jaune se feraient aussi de façon légale. «Il n'y a pas que les sorties informelles. Les «fuites» de l'or se font aussi avec des documents officiels autorisant la vente de l'or raffiné à l'étranger», déplore-t-on. «Des bijoutiers de Casablanca achètent, pour le compte d'opérateurs ayant de grands capitaux, de grandes quantités d'or (des sabikates en or de 300 grammes chacune). Ces sabikates sont ensuite vendues aux Emirats arabes unis, en Arabie saoudite ou encore dans certains pays européens», martèlent des bijoutiers de Kissariat El Menjra, où une grande partie de ces opérations de «fuite» seraient menées.Au Maroc, le métal jaune a toujours été considéré comme valeur refuge. En témoignent d'ailleurs les exigences formulées par les parents dans la constitution de la dote de leur fille lors de son mariage. Cette réalité serait-elle toujours d'actualité surtout que le prix de l'or ne finira pas de flamber au Maroc, selon les dires des experts de l'or ?