L'environnement économique, financier et social mondial, est resté sombre tout l'été durant. Nombre d'analystes reconnaissent la gravité de la situation, due non seulement à la faiblesse du traitement qui a été appliqué à la crise 2007-2009 et à la nature strictement budgétaire et asocial de ce traitement (Stiglitz), mais aussi et surtout, au fait qu'on soit vite revenu, tant aux USA, qu'en Europe, dès que les premiers signes de relance sont apparus fin 2009, aux pratiques habituelles d'avant-crise, et abandonné les réformes structurelles qui s'imposent. C'est au point qu'un sentiment de risque de crise majeure taraude, de plus en plus, les esprits. Ce sentiment est entretenu par les multiples évolutions significatives, telles que la dégradation de la note américaine et japonaise par les agences, les difficultés budgétaires et bancaires en Europe, les désordres persistants de l'euro et la différence de vues entre les décideurs européens au sujet du traitement à leur administrer, l'envolée spectaculaire de l'or, signal d'une frilosité certaine et d'un retrait, néfaste et malvenu, de liquidités nécessaires à la croissance économique ... Cela amène les opinions publiques à prendre plus au sérieux les mesures drastiques proposées ici et là. Comme la «règle d'or», qui équivaut à une résignation forcée à accepter un niveau de vie réduit et un réajustement du modèle de croissance basé sur le crédit expansif ou la taxation des hauts revenus et des opérations financières, pointant ainsi du doigt les inégalités sociales criardes et la spéculation financière, ce qui était inimaginable il y a peu. Comme aussi, du côté des dépenses, on n'hésite plus à attaquer de front les budgets militaires, qu'on préconise de sabrer, tant pour réduire les déficits budgétaires, que pour... nourrir les peuples affamés du sud et calmer les révoltes populaires qui se mondialisent en s'étendant à un nombre croissant de pays, y compris développés et démocratiques ! (Friedman). Cet environnement mondial et européen influe forcément sur l'économie nationale, à divers niveaux. De plus, le nouveau contexte politique national, marqué par les premières élections législatives qui seront organisées dans le cadre de la nouvelle Constitution, donne au projet de loi de Finances 2012, en préparation, une importance toute particulière, du fait que ce projet est préparé dans un contexte de montée des revendications sociales et surtout, parce qu'il est le premier à l'être dans le cadre de la nouvelle Constitution, dont il devrait respecter les principes fondamentaux qu'elle énonce, tels que l'équilibre budgétaire. Un bilan mitigé dans un contexte agité Le bilan 2011 de l'économie nationale est, si l'on peut dire, un verre à moitié plein ou encore, un «carré magique» à seulement deux indicateurs positifs. En effet, les données disponibles affichent un taux de croissance appréciable (4 à 5%) et un taux d'inflation maîtrisé (2% environ), mais aussi un déficit budgétaire élevé, malgré les privatisations opérées (autour de 6% du PIB), un endettement public avoisinant les 53% du PIB, des IDE en baisse, un déficit commercial accru, des réserves en devises en recul (l'équivalent de moins de 5 mois d'importation), un taux de chômage en reprise et des valeurs boursières en perte de vitesse, y compris certaines valeurs bancaires liées aux capitaux européens. Il est vrai que le royaume a dû faire face à un baril de pétrole renchéri, à des augmentations salariales généralisées et à des subventions à la consommation en forte hausse pour maintenir la paix sociale. Aussi, les moteurs de la croissance sont-ils en évolutions divergentes. Si les exportations manufacturières semblent avoir repris dans certains secteurs, elles risquent de ralentir à nouveau, étant donné l'incertitude qui plane sur les marchés traditionnels du Maroc. Quant à la consommation privée, elle maintient le cap, à l'inverse de la demande publique qui devrait, en ce qui la concerne, marquer le pas. Combien même l'Etat voudrait maintenir le rythme accéléré imprimé ces dernières années aux infrastructures publiques, il ne le pourrait pas. Les enseignements à tirer des cas de pays comme la Grèce, le Portugal ou l'Espagne, chez qui s'est opérée une nette rupture entre le niveau des investissements en infrastructures et celui des investissements productifs, ne devraient pas être perdus de vue. Bien plus, des tendances lourdes devraient retenir toute l'attention à moyen terme. C'est le cas de la récession mondiale qui se précise, du retournement de tendance de la longue phase du cycle ascendant au Maroc, de l'entrée en plein régime des ALE signés avec nos multiples partenaires (dès mars 2012 vis-à-vis de l'UE, avec qui nous sommes, de plus, en négociations agricoles serrées) de la baisse des IDE, de la la fermeture des frontières européennes face à l'émigration, de la baisse des recettes douanières, de la stagnation, voire la baisse des transferts des MRE, du caractère erratique des recettes du tourisme, avec une tendance à la diminution des budgets familiaux européens, du tarissement des privatisations, du risque de cessation de paiement qui menace à l'horizon 2018 le système national des retraites si jamais on tarde à le réformer, de la poursuite des tensions sur le marché de l'emploi, du manque d'harmonie entre les divers plans sectoriels et la fragilité de l'offre qui se traduit par des exportations à faible valeur ajoutée, de l'absence d'un véritable plan intégré de développement des PME, de la faible participation à la croissance économique de l'immatériel et de l'innovation ... C'est dire, que la situation appelle une action en profondeur, qui dépasse les traditionnelles mesures de politique économique. Des mesures traditionnelles de politique économique, oui, mais est-ce suffisant ? Aucune institution politique, aussi démocratique soit-elle, ne pourra créer elle-même de l'emploi, dimension ô combien sensible. Seules les entreprises en sont capables- des entreprises socialement responsables, s'entend. Donc, croissance, compétitivité et emploi constituent les éléments du difficile optimum à trouver. Au plan budgétaire, quelques leviers prioritaires paraissent devoir être actionnés, dans le but de mieux maîtriser les dépenses et essayer de mobiliser davantage de ressources : Toutefois, la politique économique ne se réduit pas au seul volet budgétaire. Dans un contexte de sous-liquidité, qui va continuer certainement, étant donné le recours accru à l'emprunt intérieur pour faire face aux tensions budgétaires, et de difficultés de certaines banques liées à leurs maisons-mères européennes, la politique monétaire de ciblage direct de l'inflation ne paraît pas pouvoir être totalement efficace. Les structures de notre marché monétaire et les restructurations en cours dans le marché financier ne permettent pas de garantir l'efficience requise, surtout dans une conjoncture de sérieux risque de reprise de l'inflation. Par ailleurs, il serait hasardeux de prêcher une libéralisation totale de la politique de change dans les conditions actuelles, combien même la valeur externe du dirham lesterait l'exportation. Bien sûr, la question lancinante demeure celle de la croissance, de l'emploi et du social. Comme il n'y a pas de mystère, faire plus de social nécessite plus de croissance économique. La problématique porte alors sur les modalités susceptibles d'accélérer durablement le rythme de croissance économique pour générer les 2 à 3 points qui manquent. Cependant, si le traitement économique est incontournable, il faut reconnaître que l'essentiel de la réponse est politique. L'espoir réside dans l'application dans les règles de l'art des dispositions de la nouvelle Constitution. La nouvelle Constitution ouvre la voie aux réformes nécessaires On pourrait être tenté de comprendre l'idée selon laquelle le projet de loi de finances en préparation, serait un simple projet de transition. En effet, pourquoi un gouvernement sortant devrait-il prendre des risques en ouvrant des dossiers complexes? D'ailleurs, combien même ce gouvernement se déciderait à le faire, son successeur, que les urnes porteront aux commandes en novembre prochain, pourrait être incité à tout refaire, à commencer par une loi de finances rectificative, apte à lui permettre d'appliquer la politique de sa nouvelle majorité, si bien sûr nouvelle majorité il y a. Cette tentation n'a pas lieu d'être. La continuité de l'Etat impose au gouvernement en place de faire le travail que la conjoncture impose, d'autant plus que le tableau de bord de l'économie nationale ne présente pas que des clignotants verts et que la poursuite de l'attentisme risque de tarir davantage les ressources et d'accentuer la désaffection du travail. C'est pourquoi le projet de loi de finances 2012 doit être préparé comme il se doit, c'est-à-dire, dans l'esprit de la nouvelle Constitution. On doit tout autant veiller à organiser des élections transparentes irréprochables. Des élections propres sont la clé pour constituer un gouvernement fort, qui pourrait, sous l'égide du souverain, prendre les décisions qui s'imposent, y compris les plus douloureuses. Seules des réformes audacieuses peuvent assainir durablement l'environnement des affaires, mettre le pays au travail accéléré - y compris ceux qui sont dans la rue pour demander des emplois administratifs, que l'Administration ne peut, d'ailleurs, offrir. Il s'agit de mobiliser de nouvelles ressources et de réconcilier des contribuables récalcitrants avec la fiscalité (tant ceux qui ne paient pas parce qu'ils sont cachés ou exonérés pour de nombreuses raisons, que ceux qui paient à contrecœur, parce qu'ils estiment n'avoir pas en retour des services publics suffisants, ou ne pas avoir de regard sur la manière dont est dépensé l'argent collecté). La Constitution a inscrit l'équilibre budgétaire comme orientation, qui certes ne devrait pas être pris comme principe rigide, mais comme une dynamique, étant donné l'importance des besoins sociaux. C'est l'occasion, obligée du reste, de réformer profondément la loi organique des finances, pour appliquer les principes constitutionnels retenus de régionalisation, d'évaluation, de contrôle...etc. C'est la clé aussi pour mieux diversifier notre partenariat en affaires avec les étrangers qui hésitent encore à cause de la fausse image de «chasse gardée», qui colle à la peau de l'économie marocaine.