À chaque rentrée scolaire, les mêmes litanies reprennent. Notre système éducatif coûte cher et ne rapporte que des problèmes. Notre enseignement public n'est plus que l'ombre avachie de ce que doit être un enseignement moderne et efficace. Tout le monde le sait et cette vérité scandaleuse est devenue une réalité acceptée comme une fatalité. Ceux qui ont les moyens de s'extirper des griffes d'une école synonyme d'échec se saignent pour assurer à leurs enfants une place dans la société du savoir. Nous avons l'impression de vivre encore sous le régime makhzénien ancestral, où les tribus soumises devaient payer des taxes au pouvoir central, sans en espérer en retour un quelconque service. L'Etat a en partie trouvé la formule pour gérer ce secteur budgétivore. Il a encouragé l'enseignement privé en le défiscalisant, sans inclure dans cette générosité le citoyen, qui continue à payer des impôts censés financer les services publics. Quand nous payons de notre poche l'enseignement de nos enfants, notre santé et notre transport, on se demande à quoi servent nos impôts. On vous rétorquera que les écoles publiques existent, que les hôpitaux et dispensaires sont partout et que les routes nationales mènent aux quatre coins du royaume. Certes, mais ils ont tous une caractéristique commune : on n'y recourt que quand on n'a pas d'autre choix, car ils sont dangereux. L'Etat a compris que pour réduire ses dépenses, il n'avait qu'à offrir un service public de mauvaise qualité. L'affaire est si rondement menée qu'on a fini par rendre les écoles de la commune d'Anfa de véritables lieux de désolation. Les écoles ont rompu avec leur mission de socialisation et sont devenues de véritables ghettos où les enfants d'une classe sociale défavorisée courent vers l'échec. Cette misère a offert au ministère une opportunité inouïe : non seulement il a réduit ses dépenses dans ces communes, mais il a caressé l'espoir d'engranger des bénéfices en cherchant un moment à vendre de belles bâtisses dont certaines sont des monuments historiques. Pourquoi notre système reste, malgré tous les efforts, rétif aux réformes ? On pense tout d'abord à l'efficience externe. Notre école enseigne des savoirs et des aptitudes sans valeur sur le marché du travail. C'est une analyse qui n'est pas tout à fait juste. S'il n'y avait que ce problème d'efficience externe, nous aurions des diplômés avec des compétences quand même. On peut en douter, quand on voit des bacheliers avec des moyennes à faire pâlir d'envie Einstein lui-même, incapables de produire une phrase correcte dans n'importe quelle langue. Peut-être est-ce alors un problème de méthode et de choix éducatif ? Rien de plus simple que d'appliquer des méthodes qui ont fait leurs preuves ailleurs. Nous n'avons rien à inventer. Mais le plus pertinent des contenus avec la plus novatrice des méthodes ne donneront rien, si le professeur n'est pas motivé. Ce raisonnement plutôt étriqué, mais largement partagé, pousse à croire que l'augmentation des salaires est l'unique source de motivation du corps professoral. C'est très prolétarien comme vision. Toute autre motivation, comme la formation continue, l'aide à la publication et la recherche sont comprises comme des punitions. Chaque réforme s'est ainsi accompagnée de ses lots de révisions de salaire. Par contre, aucune n'a mis en place un système effectif d'évaluation où les enseignants «défaillants» seraient pénalisés. Les professeurs se considèrent comme une corporation égalitaire où les avantages se méritent par le statut et non par le travail. Ces avantages sont donc généralisés et toute distinction devient une discrimination. Ainsi, les plus productifs des enseignants ont strictement la même promotion que ceux qui se contentent du minimum d'effort. Tout le monde finit par travailler au ralenti, c'est une question de clairvoyance. Un système qui ne se donne pas les outils pour s'améliorer finit toujours par dépérir. Mais que ce soit au niveau des ressources humaines ou à celui de la méthode et des contenus, la réforme de l'enseignement nécessite beaucoup de lucidité et de courage. La question est éminemment politique. Dans quelques jours, nous aurons droit à une conférence de presse du ministère, qui nous apportera les bonnes nouvelles : le nombre de classes a augmenté, ainsi que le nombre de professeurs et d'étudiants. Le taux de réussite s'est amélioré et le gouvernement fait des efforts colossaux «pour maintenir» la qualité de notre système. On croit rêver, mais en réalité, le département est géré avec la plus belle des langues de bois. Notre système éducatif est en crise depuis des décennies. Pour nous en sortir, nous avons besoin de beaucoup d'audace politique. Lorsqu'on confie ce département à un homme politique soucieux de gérer sa carrière sans prendre trop de risque, on se condamne forcément à l'échec. S'il y a un domaine qui ne doit pas être soumis aux négociations autour d'un équilibre numérique dans la distribution des porte-feuilles ministériels lors de la constitution du prochain gouvernement c'est bien celui de l'éducation. Il ne devrait être confié ni à un technocrate qui privilégiera l'aspect technique, ni à un téméraire qui saisit la patate chaude sans se rendre compte qu'il n'a ni les moyens ni le courage de la maintenir longtemps dans sa main. Le prochain gouvernement devra forcément prendre des décisions qui fâchent, où l'effort devrait être partagé entre le gouvernement, les parents, les étudiants et les enseignants. Sinon, on attendra encore qu'un rapport calamiteux vienne nous rappeler une vérité qu'on voudrait toujours oublier : nous n'avons pas le système que nous méritons.