Quatre ans après sa libéralisation, le fret maritime semble être dans la tourmente. Le constat vient cette fois des armateurs marocains. Aujourd'hui, ces derniers affirment que leur chiffre d'affaires a reculé de 25% en une année, en s'établissant en 2010 à près de 3,5 milliards de DH. En revanche, leurs concurrents étrangers qui sont visiblement bien outillés affichent pour la même période un chiffre d'affaires en forte progression, de 16,4% à plus de 14,66 milliards de DH. Ce déphasage en dit long sur la compétitivité de la flotte marocaine, qui doit faire face à une concurrence qui s'appuie sur des avantages économiques et fiscaux très importants. «Les compagnies battant pavillon marocain qui succombent sous le poids des charges économiques et fiscales doivent concurrencer des compagnies étrangères qui en sont totalement exonérées. Quant à nos charges d'exploitation, elles sont en dessus de celles des Européens», note Mustapaha Fakhir, secrétaire général du comité central des armateurs marocains (C.C.A.M). En effet, déjà en en 2000, plus de 65% de la flotte marchande mondiale naviguait sous pavillon de complaisance. Cette pratique consiste à immatriculer un navire dans un pays qui est peu contraignant en matière de fiscalité, de sécurité et de droit du travail, ce qui réduit les coûts d'exploitation. À titre d'exemple, au Liberia, pays très connu pour cette pratique, la charge fiscale annuelle d'un navire de 20.000 tonnes n'est que de près de 10.000 dollars. Selon les armateurs marocains, «les flottes de pavillon de complaisance diminuent leur part de marché». Pour eux, «la situation est aujourd'hui très critique, notamment suite à l'aggravation du solde négatif de la facture du fret maritime, qui se chiffre cette année à plus de 22 milliards de DH». La libéralisation n'a rien arrangé Pour faire face à ces libres immatriculations, des pays comme la France ont permis à leurs compagnies de s'inscrire dans ce qui est appelé un pavillon bis. Ce dernier se caractérise par des allégements fiscaux et salariaux très importants. À cela s'ajoutent les frais d'assurance qui reviennent plus cher aux compagnies nationales, celles-ci n'ayant pas les mêmes capacités de négociation avec les assureurs qu'ont leurs concurrentes européennes. Par ailleurs, les armateurs estiment que la libéralisation du transport maritime n'a pas atteint ses objectifs. Ainsi, le coût du fret maritime est resté quasi stable, aussi bien par rapport à la facture des échanges extérieurs (4,39% en 2007, contre 4,1% en 2010) que par rapport au PIB. Quant à la facture du fret, elle est passée de plus 16,86 milliards de DH en 2007 à plus de 18,20 milliards en 2010. Ainsi, les professionnels demandent «qu'ils soient mis sur le même pied d'égalité avec leurs homologues européens, qui payent à l'Etat du pavillon uniquement une taxe au tonnage». Ces derniers ne sont pas non plus soumis ni à l'impôt sur les bénéfices ni à la TVA ni aux autres impôts et taxes. Les marins qu'emploient ces compagnies bénéficient d'une exonération de l'impôt sur le revenu. Concrètement, les armateurs marocains demandent la suppression de la retenue à la source de 10% sur les redevances versées par les affréteurs marocains aux armateurs étrangers et l'instauration de la taxe au tonnage. Dans ce dernier dispositif, les entreprises sont imposées, non plus en fonction de leurs bénéfices, mais en fonction du tonnage des navires qu'elles exploitent, abstraction faite de leur résultat d'exploitation. Les doléances comprennent également la création d'un pavillon bis et la mise en place d'une législation incitative à l'investissement. Enfin, les armateurs proposent d'adopter un nouveau code du commerce maritime, en remplacement de celui qui est en vigueur depuis 1919. Pour rappel, la libéralisation du transport maritime a été décidée suite à une étude sur la compétitivité du pavillon marocain, qui en 2005 comptait 43 navires de 300.000 TPL (contre 34 aujourd'hui) et 17 armateurs qui réalisaient un chiffre d'affaires de 3,4 milliards de DH et un taux de couverture de la balance du fret de 17,2%. Cette étude avait pour objectif de mettre en place un secteur à faible coût et pérenne, via la mise à niveau de la compétitivité des opérateurs marocains. Elle avait conclu que les charges économiques et fiscales supportées par les armateurs marocains étaient au dessus de la moyenne européenne, ce qui entravait la compétitivité du secteur. Suite à ces conclusions, plusieurs mesures de redressement avaient été annoncées. Il s'agissait entre autre d'adopter un nouveau code du commerce et d'instaurer un cadre fiscal avantageux, dans le but d'assurer une concurrence loyale, notamment à l'égard des compagnies maritimes dont les navires naviguaient sous pavillon de complaisance. En 2007, le ministère du Transport annonce la libéralisation du secteur et cède la COMANAV au Groupe CMA CGM pour de 2,5 milliards de DH. «Cette libéralisation s'est faite sans aucune réciprocité pour le pavillon national dans les pays dont les flottes pourront opérer librement au Maroc», rappelle-t-on auprès du conseil central des armatures marocaines. À partir de cette année, certains opérateurs ont initié un programme de renouvellement de leur flotte, dont le montant d'investissement avoisine lourdement les 3,4 milliards de DH. Les années fastes Aujourd'hui, la performance du secteur est de loin en dessous des réalisation des années 1970, où l'intervention de l'Etat avait permis de constituer une flotte assez compétitive qui, en 1990, comptaient 65 navires. Cette intervention s'est traduite par l'adoption en 1973 du code des investissements maritimes, qui accordait des primes et des ristournes d'intérêts aux armateurs, dans le but d'encourager l'acquisition de navires. Cette mesure a permis en outre d'augmenter durant la même période le tonnage transporté par les armateurs marocains de 920.000 à plus de 7.8 millions de tonnes. Quant au chiffre d'affaires annuel du secteur, il avoisinait 2,5 milliards de DH, soit un taux de couverture de la balance fret de 25%.